La Cathédrale ^^
DE
STRASBOURG
TiOnCB mST01{lQUB "ET A1{CntOLOGlQUE
QEORQES DELAHACHE
PARIS
I). A. LONGUET, ÉDITEUR
a5o, fai;bouiiu saint-Martin, a5()
1910
La Cathédrale
DE
STRASBOURG
DU MÊME AUTEUR
Alsace- Lorraine — La Carte au Liséré vert
(Ouvrage couronné par l'Académie Française)
HACHETTE ET G^% ÉDITEURS
La Cathédrale
DE
STRASBOURG
T^OTICB mST0J(7QlŒ ET j^J{CKÉOLOGJQlŒ
PA.R
GEORGES DELAHACHE
PARIS
D. A. LONGUET, ÉDITEUR
a5o. Faubourg SAizfT-MARTiif, a5o
V
^1
If
Nft
S651
AVERTISSEMENT
DE L'ÉDITEUR
Avec ce volume se poursuit la série de Notices histo-
riques et archéologiques sur les grands monuments,
publiée sous la direction de M. PaulVitry, conservateur
adjoint au Musée du Louvre.
Les deux volumes déjà parus, l'un sur l'Église Abba-
tiale de Saint-Denis et ses tombeaux, par MM. Paul
Vitry et Gaston Brière, l'autre sur la Cathédrale Notre-
Dame de Paris, par M. Marcel Aubert, ont montré à
quel type d'étude et à quel genre de documentation
graphique nous nous étions arrêtés. D'autres suivront,
consacrés à des monuments tant français qu'étrangers
parmi lesquels nous pouvons dès maintenant désigner :
Le Palais de Justice de Paris et la Sainte- Chapelle,
par M. Henri Stein, sous-chef de Section aux Archives
Nationales.
L'Abbaye de Westminster, par M. Paul Biver.
Le Palais des Papes d'Avignon, par M. Robert
Michel, archiviste paléographe, ancien membre de
l'École française de Rome.
La Cathédrale de Burgos, par Emile Bertaux, pro-
fesseur à l'Université de Lyon.
CATHÉDRALE DE STRASBOURG
II- Il JLILl^iLI
VUE GÉNÉRALE
NOTICE HISTORIQUE
LES ORIGINES (JUSQU'AU Xh SIÈCLE)
Dans l'antique Argentoratam, née d'un poste militaire éta-
bli par Drusus quinze ans avant Jésus-Christ, et devenue vers
I . Grandidier (abbé), Essais historiques et topographiqaes sur l'Église calhé'
drale de Strasbourg, Strasbourg, Levrault, 1782, in-i8. — Schneegans (L.),
Essai historique sur la Cathédrale de Strasbourg, dans : Revue d'Alsace, i836,
— Piton (Fréd.), La Cathétlrale de Strasbourg, Strasbourg, Piton, 1861, in-8°.
— G. ScHMiDT, Notice sur la Ville de Strasbourg, Strasbourg, Schmidt et
Grucker, i843, in- 16. — Dumont (Albert), La Cathédrale de Strasbourg,
Remarques archéologiques (tirage à part de Li Revue Archéologique), Paris,
Didier, 187 1, in-8°. — Kraus (D' ¥t.-\.), Kunst und Allerthum im Unier-
Elsass, Strasbourg, Schmidt, 1876, in-8'. — Seybotii (Ad.), Strasbourg his-
torique et pittoresque, vStrasbourg, Imprimerie alsacienne, 1894, in-4°. —
Dbhio(G.), Das Munster Unserer Lieben Frau, dans Strassburg und seine Bauten,
Strasbourg, Trùbner, 189^, 'la-li". — Dacbeux (chanoine), La Cathédrale de
Strasbourg, Strasbourg, Imprimerie alsacienne, 1900, in-fol. — Leitschuo
(F.-F.), Strassburg, Leipzig, Seemann, 190/1, in-4'. — Welschisgeb (Henri),
a LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
le vi^ siècle la ville des routes (Stratebargum, — Strasbourg),
les missionnaires du christianisme arrivèrent de bonne heure :
la voie romaine passait là, qui reliait l'Italie au nord des
Gaules et qui conduisait vers Mayence, Trêves, Cologne, les
propagateurs de la foi nouvelle. Que saint Materne, dès le
milieu du premier siècle, ait évangélisé le pays, où l'apôtre
saint Pierre lui-même l'aurait envoyé : la tradition n'est donc
pas sans vraisemblance.
Au iv^ siècle, Strasbourg était déjà métropole d'un évèché,
d'un de ces petits évêchés du christianisme jeune, dont
l'action rayonnait immédiatement d'un centre urbain sur la
campagne environnante, organisation primitive où l'évéque,
pour diriger d'une main plus sûre ceux qu'il chargeait de
porter la bonne parole autour de la ville, aimait à les faire
vivre en communauté près de lui : première origine de cette
Cour des Frères (Bruderhof) qui occupait l'emplacement
actuel du séminaire, à l'orient de la cathédrale, et dont le
souvenir se retrouve dans le nom d'une des rues voisines, la
rue des Frères; première origine aussi, sans doute, de cette
appellation de monasterium sous laquelle on a désigné de bonne
heure la cathédrale de Strasbourg et dont la tradition s'est
conservée à travers les siècles, puisque aujourd'hui encore on
l'appelle, dans le pays, le Munster : appellation d'ailleurs com-
Slrasbourg, Paris, Laurens, 1906, in-4°. — Wentzcke (P.), Urkunden und
Regesten zur Baugeschichle des Strassburger Mûnsler. dans Strassburger Mùnster-
Blalt,lY,Y, Strasbourg, Beust, 1907, 1908, in-^".
M. Paul Vitry, conservateur-adjoint au Musée du Louvre, qui dirige avec
tant de compétence et de conscience la collection des Notices historiques et ar-
chéologiques sur les grands monuments, a bien voulu m'aider de ses conseils au
cours de mon travail; M. Lucien Gromback, architecte à Strasbourg, m'a éga-
lement prêté, à plusieurs reprises, son précieux concours; l'un et l'autre ont
relu les épreuves du présent volume ; qu'ils veuillent bien trouver ici l'ex-
pression cordiale de mes remerciements.
NOTICE HISTORIQUE. 3
mune a beaucoup d'églises de la vallée du Rhin (Constance,
Bâle, Golmar, Fribourg), sans qu'elle implique nécessaire-
ment le souvenir de quelque ancien monastère, au sens propre
du mot.
Quant à l'édifice lui-même, son origine n'est pas moins
lointaine et remonte également aux premiers siècles du chris-
tianisme, mais, jusqu'au commencement de la construction
actuelle, en ioi5, on ne peut rien affirmer de précis à son
sujet. Remplaça-t-il, à cet endroit même, un temple païen?
temple de Mars? temple d'Hercule? On l'a cru longtemps. La
cathédrale a conservé jusqu'en i525, dans une petite chapelle
(Saint-Michel), un Hercule de bronze que les gens du pays
appelaient Crutzmana, Kriegsmann, héros de la guerre, et qui
a disparu au xvi" siècle; d'autre part, un puits situé dans le
collatéral droit, près de la chapelle Sainte-Catherine, et qui
resta ouvert jusqu'en 1766, aurait servi autrefois aux païens
pour laver les victimes qu'ils sacrifiaient à Hercule, avant
d'être bénit par saint Rémi pour servir de baptistère : deux
preuves plus traditionnelles sans doute que réelles, quoi-
que Albert Dumont s'y soit arrêté.
On ne sait rien que de traditionnel aussi de la construc-
tion, en cet endroit, pour remplacer le temple païen, d'une
église chrétienne au iv* siècle, contemporaine de saint Amand
et de la fondation de l'évêché ; — ni de la destruction de cette
première église par les barbares en 406-407 ; — ni de l'église
qu'aurait élevée Clovis en 5o4-5io, et dont il était trop ten-
tant de rattacher la construction au célèbre vœu de la bataille
de Tolbiac : le roi païen se faisant chrétien s'il remporte la
victoire, et, suivant les vieilles chroniques strasbourgeoises,
promettant d'ériger des temples à son Dieu nouveau.
Specklin, au xvi' siècle, a même donné une description de
4 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
l'église de Clovis * : édifice construit en bois et en mauvais
moellons, de forme rectangulaire, couvert d'une immense
toiture, éclairé seulement par une fenêtre ouvrant dans la
muraille vis-à-vis de la porte d'entrée ; trois nefs séparées par
des palissades, la nef du milieu dépassant les autres vers
l'ouest et formant une sorte de vestibule, la nef du nord
destinée aux femmes, la nef du sud aux hommes, les uns et
les autres ne se réunissant, dans la nef centrale, que pour la
prédication et pour la célébration du baptême. Mais, en réa-
lité, ici encore, nous n'avons, au point de vue de l'histoire ni
de l'architecture, aucune certitude. Tout ce qu'on peut dire,
c'est qu'il y eut sans doute, à cet endroit, à cette époque, une
église chrétienne et construite en bois. Quant à la participa-
tion de Clovis à cette œuvre, on n'en voit aucune mention
dans son histoire; il n'en reste que quelques traces plus ou
moins vagues : une ancienne médaille (aujourd'hui disparue)
qu'on aurait trouvée dans une maison voisine de la cathé-
drale, et où l'on voyait, d'un côté, Clovis à cheval, de l'autre,
son église avec trois tours et trois portails; — une phrase
d'un chroniqueur, rapportée par Kœnigshoven^, et qui attri-
buait à Clovis la fondation de la^jcathédrale : — et la pré-
sence, dès le xiii^ siècle, aux contreforts de la façade prin-
1. Daniel Specklin, ingénieur et architecte strasbourgeois (i 536-1 689) a
laissé un ouvrage manuscrit, détruit clans l'incendie de la Bibliothèque de la
ville lors du bombardement de 1870, et dont M. Rod. Reuss a publié les frag-
ments qu'il a pu recueillir : Les Colledanées de Daniel Specklin, chronique
slrasbourgeoise du XVI' siècle, Strasbourg, Noiriel, i8go. in-8°. Voir aussi
sur Specklin, ainsi que sur les autres historiens anciens de la cathédrale qui
seront cités dans la suite : Rod. Reuss, De scriptoribas rerum alsaticarum his
toricis inde a primordiis ad sœculi XVIII exilum, Strasbourg, Bull, 1898, in-8°
2. Jacques Twinger de Kœnigshoven (i346-i43o), chanoine de Saint
Thomas, auteur d'une compilation qui est restée, dit Seyboth (ouu. ciT^, p. 480)
« la chronique strasbourgooise par excellence » .
NOTICE HISTORIQUE. 5
cipale, de la statue équestre de Clovis (avec celles de Dagobert
et de Rodolphe de Habsbourg) comme bienfaiteur de la cathé-
drale.
De l'époque carolingienne nous avons du moins un témoi-
gnage littéraire curieux. Un moine d'Aquitaine, Ermoldus
Nigellus, exilé à Strasbourg, fit la description de l'édifice dans
un poème en vers latins dédié à Louis le Débonnaire (826) et
qui même lui valut sa grâce ^ Il semble bien, d'après le poète,
que le maître-autel fût dédié à la Vierge Marie — patronne
de la cathédrale dès cette époque, par conséquent; — qu'il y
eût, à droite du chœur, un autel à saint Paul, à gauche un
autel à saint Pierre, au milieu de la nef et dans le fond deux
autres autels, l'un à saint Michel, l'autre à saint Jean-Baptiste.
Un incendie survenu en 878 ne nécessita qu'une restau-
ration partielle ; et l'ensemble de la construction antérieure
— qu'elle fût d'origine mérovingienne ou carolingienne —
subsista jusqu'au commencement du xi* siècle, où le ciel et
les hommes semblèrent s'unir contre elle. Ce fut d'abord —
Hermann, duc de Souabe et d'Alsace, étant l'un des com-
pétiteurs [d'Henri II au trône impérial — la lutte de cet
Hermann contre l'évoque de Strasbourg, Wernher, partisan
d'Henri, et la ville prise d'assaut, et l'église incendiée et
pillée (1002). Puis, cinq ans plus tard, le jour et la nuit de
Saint-Jean-Baptiste (24 juin 1007), un orage déchaîna la
foudre sur la cathédrale, dont il ne resta probablement rien
debout.
I. Carmen elegiacum, liv. lV(Muratori, Rerum Italicarnm Scriplores, Milan,
1726, t. II, p. 76-77.)
« Ilsec quoque clam canerem, Slrazburc custode laebar,
Delicli proprii conscius, atqae reus,
Virgo Maria tibi quo lempla dicala nilescant... n
6 [LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
II
LA CONSTRUCTION DE LA CATHÉDRALE (DU Xl« SIÈCLE JUSQU'A 1275)*
C'est après cette destruction de 1002- 1007 que commença
la construction nouvelle, celle qui devait, après quatre siècles
de développements successifs, d'accidents et de réparations,
produire la cathédrale telle que nous la contemplons encore
aujourd'hui.
Les pillages de 1002 qui avaient [ruiné l'église eurent du
moins la conséquence heureuse et imprévue de procurer à
Wernher le moyen de la rebâtir : vaincu, le duc Hermann
avait été contraint par l'empereur de céder à l'évêque la riche
abbaye de Saint-Étienne. L'évêque s'en servit sans doute avec
discrétion, se contentant de réduire pour un temps les pré-
bendes des chanoinesses, n'affectant au rétablissement de la
cathédrale que la différence ainsi disponible; mais c'était
déjà un premier fonds, que vinrent grossir, après l'incendie,
les cotisations des clercs, les libéralités de l'empereur Henri,
les nombreuses collectes faites dans le peuple, qui ne ménagea
à Dieu ni son argent ni sa peine. De quinze et vingt lieues à
la ronde, des corvées de serfs et de paysans amenèrent de
la vallée du Cronthal (entre Wasselonne et Marlenheim) les
blocs de grès destinés à l'édification de l'œuvre nouvelle, et
I. Outre les ouvrages cités p. i, notamment ceux de Grandidier, Schneegans,
Piton, Dacheux, Kraus, Dehio, et que nous ne citons plus qu'une fois pour
toutes, ayant eu recours à eux dans presque toutes les parties de notre travail :
Knautb (J.), Der Letlner des Munsters — Ein verschioundenes Kunstwerk, dans
Slrasb. M.-Bl., 1" année. igoS-igoA, p. 33 et suiv. — Die Bauschâden am
Slrassbarger Munster, conférence faite à la cathédrale le i3 décembre 1909.
NOTICE HISTORIQUE. 7
dont la teinte rose donne à la cathédrale un si original et si
séduisant aspect. La place aujourd'hui plantée d'arbres qui
s'étend au sud, entre la cathédrale et le château de Rohan, a
même conservé de cette époque, dans le peuple, le nom de
cour des corvées {FronhoJ^) : pendant des années, on y don-
nait à manger et à boire aux hommes d'enthousiaste foi qui
avaient charrié jusque-là, par les pentes et par les plaines, les
matériaux de l'œuvre à venir.
En loio, les fondations furent jetées, à une profondeur
moyenne de vingt-trois pieds sous terre. Dans toute la région
de Strasbourg, les infiltrations du Rhin et de l'Ill sont nom-
breuses, et elles l'étaient plus encore à une époque où le cours
des fleuves et des rivières n'avait pas encore été endigué,
régularisé, civilisé; aussi plus d'une légende se forma, non
sans un fond de vérité, mais simpliste jusqu'à la fantaisie,
et singulièrement tenace : les fondations de l'immense ca-
thédrale reposant sur des pilotis, ou même sur une grille
au-dessous de laquelle on peut se promener en bateau jus-
qu'au Vieux-Marché-aux-Herbes. En réalité, des fouilles
faites au xvii* siècle, d'autres que nécessita au xix** l'établis-
sement du paratonnerre, ont montré (outre quelques pilo-
tis, il est vrai) une couche de pierres de taille, au-dessous
de laquelle s'étend une terre glaise épaisse artificielle (char-
bon de terre et brique), puis une épaisseur de terre glaise
naturelle, et de gravier enfin, jusqu'à la couche pénétrée
par l'eau, dont le niveau varie en effet avec celui de la ri-
vière.
L'église — telle fut l'activité déployée — aurait été achevée
dès 1028, l'année de la mort de Wcrnher, c'est-à-dire après
1. D'autres, il est vrai, donnent à ce mot un sens différent: cour du
seigneur, c'est-à-dire, ici, de l'évêque.
8 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
treize ans de travail. De quelques événements qui suivirent,
— comme la confirmation des biens et privilèges de la cathé-
drale décrétée à Spire par l'empereur Henri III en io48, ou
la visite, deux ans après, du pape d'origine alsacienne Léon IX
qui accorda des indulgences pour la continuation des travaux
— on ne saurait tirer de conclusion précise sur l'état de l'édi-
fice à ce moment. Mais, à n'en pas douter, on y reconnaîtrait
fort mal notre cathédrale d'aujourd'hui. S'il nous reste
quelque chose de celle de Wernher, ce n'est sans doute que
dans le chœur et dans le transept; la nef, au contraire, si
elle demeura dans son état ancien au cours du xn" siècle —
on sait notamment qu'un peuple nombreux s'y pressa, le
23 décembre ii45, pour entendre saint Bernard célébrer la
messe, ce qui semble indiquer qu'on n'y faisait pas de grands
travaux à cette époque, — devait se transformer et se déve-
lopper au xiir siècle selon le pur style gothique.
D'ailleurs, pendant tout le xii^ siècle, une série d'incendies
— en ii3o, en ii4o, en ii42, en ii5o, en 1176 — obli-
gèrent à rajeunir partiellement le passé. Mais on ne sait pas
avec exactitude dans quelle mesure ils endommagèrent l'édi-
fice. Il est probable seulement que les travaux ne furent guère,
dans les trois premiers quarts du siècle, que de réparation
et de restauration ; les nouveautés n'apparurent sans doute
qu'après 1 176.
C'est alors, en effet, que l'évèque Conrad P' lança des
lettres d'indulgence pour la reconstruction de la cathédrale :
(( ...ecclesia Argentinensis, in qua memoria healse Dei genitricis
veneratur et colitur, in meliorem statum reedijicetur » : lettres
qu'on attribua longtemps à l'évèque Conrad III de Lichten-
berg, postérieur d'un siècle, mais qui apparaissent maintenant,
pour des raisons de style et d'écriture, comme contempo-
raines de l'in-
cendie de
II 76 *. Les
travaux du-
rent commen-
cer aussitôt : le
fait que l'évê-
que Henri P'
fut enterré en
II 90 dans la
chapelleSaint-
André, entre
le chœur et le
croisillon sud ,
laisse supposer
que le transept
était alors con-
struit jusqu'à
une certaine
hauteur. Ils
avancèrent, —
lentement, —
aidés par les
générosités des
particuliers :
c'est peu après
celte date que
I . Ou peut-être
^ Conrad II(i 190-
laoa), d'après 1*.
Wentzcke,ar<.cj7J.
10 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
se place le premier legs fait à la fondation qui sera connue
sous le nom d' Œuvre Notre-Dame : celui de u Hugo dictas
Slegeren )) et sa femme a Metza », le 3i août i2o5. Des
chapelles dans le cloître furent élevées, celle de Saint-
Georges, consacrée en 1242, celles de Saint-Grégoire et
Saint-Biaise, consacrées en i256.
A la même époque (milieu du xiii® siècle), — et dû peut-
être à l'architecte Werlinus* de Nordelahe — remontait l'ad-
mirable jubé qui fut détruit en 1682 et dont quatre estampes
de Brunn au xvii^ siècle donnent une idée assez précise. Il
s'étendait à l'entrée du chœur; du côté du sanctuaire, il pré-
sentait deux ouvertures, une également à chacune de ses ex-
trémités latérales, et sept du côté de la nef : de celles-ci, dont
l'arc dessinait un tiers-point, la première et la troisième vers
le nord étaient partagées elles-mêmes en deux par une mince
colonne, un quadrilobe s'ouvrant entre le tiers-point de l'arc
supérieur et les arcs trèfles des baies secondaires ; chacune de
ces sept ouvertures était couronnée d'un gable élégant ; dans
chaque tympan, un groupe de petites figures; dans le champ
libre entre les gables successifs, debout sur des consoles et cou-
vertes d'un dais, les statues de la Vierge avec l'Enfant, et des
Apôtres, entre des anges qui planaient, tendant des couronnes
vers elles; statues longtemps égarées, qu'on retrouva en iSgS,
à demi cachées entre des moulures, au bas de la tour octo-
gone, un peu au-dessus de la plate-forme, — beaux spéci-
mens de la sculpture française du milieu du xiii^ siècle, avec
I. Architecte de la cathédrale vers laBo. Nous suivrons, pour les noms et
les dates des architectes de la cathédrale, la liste publiée dans le Strassburger
Mûnster-Blatl, 2' année, 1906, p. 3i-32, On ne trouve dans cette liste, avant
Werlinus do Nordelahe, que Hermann Auriga (Pvers 1 300) et Rodolphe
(vers laSo).
NOTICE HISTORIQUE. ii
' beaucoup de grâce tranquille dans les visages, de simplicité
S dans les attitudes et le vêtement, quelque chose enfin de l'élé-
i gance fine et délicate des figures du portail sud. L'autel dit
, frûh-altar (a autel du matin )) , — ainsi appelé parce qu'on y
; disait la première messe) dut être construit également vers le
. milieu du siècle (la lettre d'indulgence du cardinal-légat Hugo
est de 1202), et indiquait par sa situation, sous le jubé entre
le chœur et la nef, l'achèvement des travaux de la partie est ;
un autre, à côté de celui-là, fut dédié à la Vierge, par un
citoyen de Strasbourg, « vir venerabilis Heinricus, civis Argen-
tinensis, dictus Wehelin )), en 1264. Le renouvellement de la
nef était commencé depuis 1200 : a œuvre nouvelle », « œuvre
nouvelle grandiose », disent un cardinal en i255 et un évêque
en 1264. — œuvre aux aspects variés, qui rappelle les fleurs
printanières, attire le regard et le séduit*, écrit le troisième
Conrad dans ses lettres d'indulgence du 28 janvier 1276, —
l'année même où la nef devait s'achever, le 7 septembre,
veille de la Nativité de la Vierge^.
L'église était donc terminée avant la fin du xiii* siècle, —
mais sans le portail ni les tours ; la façade romane subsistait,
avec un narthex : un mur de fond, en effet, fermait sans doute
la nef et la séparait de la façade; il est même probable aujour-
d'hui que cette disposition subsista lors de l'édification de la
façade nouvelle et ne disparut qu'à la fin du xiv" siècle, au
moment de la construction de ce raccord entre les deux tours
dont nous parlerons plus loin.
I . « Quia opus ecclesiae argentinensis sicut Jlores maii variis ornatibus consar-
gens in altam oculos aspicienlium magis et magis allicit et eisdem dulcibas oblec-
taminibus alludil... » (Kr\u8, oav. cité, p. 863).
3. (( Anno Domini 1275. 7 id. septembris vigilia Nativilalis beatae Virginis
compléta est structura média lesludinum superioram. . . » (Annales Argenlinenses, dans
Kraus, ouv. cité. p. 363).
13 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
III
LES TRAVAUX D'ERWIN ET L'ACHÈVEMENT DE LA TOUR (1275-1439)*
Deux causes activèrent l'achèvement de V œuvre grandiose :
une institution, et un homme.
L'institution, c'est l'Œaure 7Voire-Z)ame-. Les modifications
qui se firent dans l'administration financière de la cathédrale,
les unes un peu avant, les autres un peu après cette année
1275, avaient contribué à hâter les travaux et contribuèrent
plus encore à les rendre réguliers dans l'avenir. Les luttes
1. D***, L'Œuvre Notre-Dame de Strasbourg, dans : Revue Catholique (C Al-
sace, t. IV-V-VI, 1862-63-64. — F. Bluhstein et Ad. Setboth, Urkunden des
Stifs genannt Unser-Lieben-Frauen-Werk (Carlulaire de l'Œuvre de Notre-Dame
de Strasbourg, Strasbourg, Imprimerie alsacienne, 1900, in-8°. — Gérard (Ch.),
Les Artistes de l'Alsace pendant le Moyen Age, Colmar, Barth, — Paris, Sandoz
et Fischbacher, — 1878, 2 voL in-S". — Teutsch(A.), La tombe d'Erwin, dans :
Revue d Alsace, i836. — Schneegans (L.), L'Epitaphe d'Erwin de Steinbach,
dans : Revue d'Alsace, 1862 ; — Les Architectes de Strasbourg , dans : Annales Ar
chêologiques de DmRON, t. VIII, i848. — Chardin (F.), Observations sur une
médaille commémorative frappée d Strasbourg en 1565 dans : Revue d'Alsace,
1862 . — MuNTz (Eug.), Les architectes alsaciens à Milan au XV° siècle, dans :
Revue alsacienne, 1888. — Laugel (A.), L'Art alsacien, ses origines et les
conditions de son développement, Mulhouse, Bader, 1906, broch. in-8°.
2. «... La fondation do l'Œuvre Notre-Dame de Strasbourg a pour origine
la réunion de dons, de legs, de cotisations du clergé, de libéralités des princes,
de quêtes et d'aumônes, provoqués et recueillis en vue ou à l'occasion de la
construction, comme aussi de la restauration ou de l'entretien de la cathé-
drale ; le tout fait en l'honneur et sous l'invocation de la Sainte- Vierge.
patronne de la Cathédrale et do la ville... Cette Église est ainsi le Monument,
Opas, Werk, l'Œuvre de la piété des fidèles, voué à la Vierge; d'où le titre :
Unser-F''owen-Werk, Œuvre Notre-Dame ; par suite aussi la fondation qui a
pour cause unique et pour objet spécial la construction, la restauration et
,|entretien de ce monument, s'appelle Fondation de l'Œuvre Notre-Dame. »
(D***, art. cité, t. IV. , i802, p. 3y 1-392.)
CATHÉDRALE DE STRASBOURG
LA GALERIE DES APOTRES
(Fragment du projet original')
NOTICE HISTORIQUE. i3
i perpétuelles dont Strasbourg était le théâtre et l'objet, les
(hostilités souvent sanglantes entre l'évêque et la bourgeoisie,
|la pénurie d'argent qui en était la conséquence, avaient plus
id'une fois, jusqu'alors, entravé le labeur des maîtres et des
iouvriers. Après la mort de leur évêque Gautier de Géroldseck,
que les Strasbourgeois avaient battu à la journée célèbre de
Hausbergen, une transaction fut arrêtée entre la ville et le
Grand-Chapitre, qui reconnut la justesse des droits de Stras-
bourg contre ceux que l'évêque avait réclamés; en outre, pour
qu'à l'avenir aucun évêque ne perçût plus les revenus des
dons faits pour l'entretien de l'église, « dont les évêques
jouissaient sans profit pour la bâtisse, qui tombait en ruines »,
1^- chanoines se réservèrent désormais cette gestion, la confiant
elui d'entre eux qui, dans le Grand-Chœur, possédait la
nrc'bende de Saint-Florent : il devra administrer la fondation
io manière à en augmenter le mieux qu'il pourrait l'utilité
propre ))* (i 263-1 264). De la même époque date le Livre des
^V' nfaiieurs (conservé aux Archives de la Ville), où furent
ulièrement inscrites les donations des fidèles destinées à
mer le fonds de construction et d'entretien de la cathédrale,
lations variées, témoignages de la foi des humbles comme
- riches, — vignobles et châteaux, chevaux de bataille
sommes d'argent, bijoux de nobles dames, tabliers de
sannes, armures de soldats. De cette époque aussi, l'acqui-
lon d'une maison où seraient centralisés les services de cette
lion financière ^.
Vdministralion et domicile, l'Œuvre Notre-Dame était
ne constituée, — fabrique uniquement destinée à subvenir
I ' /.,'/ eidem prxsit et prosil, ipsius ulilltatem, prout melius fueril, promo-
'0 ». (D"*, art. cite, iSHa, p. iiSo-^Si).
- En 127/4. La Maison-ISotre-Dume (Frauenhaus) , w quo inhabitare soient
t4 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
aux frais concernant l'édifice, indépendante de la fabriqu
qui supporterait les frais du culte, et bientôt complètemen
indépendante aussi du clergé même. On s'aperçut vite, ei
effet, que la gestion des chanoines, établie par l'accord d
1263, n'était pas une garantie suffisante contre le renouvel
lement des erreurs passées : ils avaient sans doute été j
mauvaise école, puisqu'en 1290, quand il fut question di
refaire la toiture de la cathédrale, on constata que les « jeune
chanoines » , suivant l'expression de Grandidier, avaient dila
pidé le fonds. S'agit-il là, en vérité, de dilapidations réelles
ou simplement d'incapacité administrative? Depuis plus d(
trente ans, les membres nobles du chapitre avaient renoncé ;
la vie commune, s'étaient séparés des roturiers, ne leu
laissant que neuf canonicats sur trente-six ; ils avaient formi
le Grand-Chapitre^ tandis que les roturiers, exclus peu à pei
de la liste des capitulaires, se constituaient en une corporatioi
à part, le Grand-Chœur. Peut-être ces trente années avaient-
elles accru la rivalité entre les uns et les autres, ouvert le
yeux des « anciens )) chanoines, les chanoines du Grand-
Chœur, sur la légèreté des « jeunes » , ceux du Grand-Chapitre
nobles qui n'avaient pas l'habitude et le soin des compte
financiers ? Ces anciens, ces roturiers, connaissaient-ils, pa;
contre, les qualités d'ordre et de régularité de la bour
geoisie? Sentaient-ils même, déjà, confusément que la cathé-
drale de Strasbourg ne devait pas être et ne serait pas uni-
quement le signe de l'Église, mais l'âme de la Cité? Ils prièren
donc l'autorité municipale, le « Magistrat », — qui certes n(
demandait pas mieux, — de se charger de l'administralior
de la fabrique et d'en nommer les receveurs. Avec discrétion
fabricae procuratores ». L'acquisition de cette maison indépendante de réglis*
est encore un indice de l'indôpondance de l'Œuvre. Voir p. 186.
I
NOTICE HISTORIQUE. iS
— car, malgré ce transfert de gestion, il s'agissait toujours
; de biens d'origine ecclésiastique et destinés à un édifice reli-
i gieux — la ville prit l'habitude de nommer un prêtre-rece-
veur et de lui adjoindre, comme greffier, un chapelain; en
1 outre, il fut convenu que les chanoines seraient présents à
la reddition annuelle des comptes. Mais, peu à peu, l'élément
ecclésiastique devait disparaître, et l'administration de
l'Œuvre Notre-Dame s'est maintenue municipale, à travers
tous les changements de régime politique et religieux*.
L'institution à peine créée, un homme se trouva, qui s'en
servit aussitôt brillamment : l'illustre Erwin de Steinbach,
l'architecte de la façade occidentale, dont la renommée s'est
étendue sur l'œuvre tout entière, qu'on a maintes fois
appelée la Cathédrale d'Erwin. Son nom se rencontre pour la
première fois dans un document allemand de 1284 - « Meister
Erwin Werkmeister )) , «Maître Erwin, maître d'œuvre» ; puis,
plus tard, « magister Erwin », sur la balustrade de la chapelle de
Marie qu'il construisit en i3i6 et dont un fragment est
conservé à la Maison de l'Œuvre ; enfin, a magister Erwin guher-
natorfabricœ ecclesiœ », sur sa pierre tombale. Aucune de ces
mentions ne l'appelle de Steinbach : l'inscription où se trou-
vait cette dénomination, « magister Enuinus de Steinbach^ »,
quoique se rapportant à un fait de 1277, était certainement de
1. Voir toutefois les réserves que fait A. Hanauer, clans L'Œuvre Noire-
Dame de Strasbourg (Bev. catli. d'Als., 1901). — (On peut noter ici que de
Tadministration de i'CEuvre dépend l'atelier des laillears de pierre de la cathé-
drale, installé, encore aujourd'hui, entre les contreforts de la nef, du côté sud,
— corps d'ouvriers spécialement et continuellement occupés aux travaux de
réparation et d'entretien de l'édifice.)
2. « Anno Di. M. CC. LXX. VIL in die beali Urbani hoc gloriosum opus
inchoavil Magister Enuinus de Steinbach » : inscription en caractères gothique»
qui éUiit placée dans la voûte du portail nord de la façade occidentale, et dont
ne subsiste que le souvenir.
i6 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
beaucoup postérieure à cette date : ce qui n'empêche pas que
la tradition maintient le nom de Steinbach accolé à celui
d'Erwin, et qu'on a même élevé un monument au maître
célèbre dans un petit village homonyme du grand-duché de
Bade.
Ce que fut la pensée d'Erwin, il est difficile de le con-
cevoir précisément. Il est vrai que, pour l'étude de cette par-
tie de l'édifice, des documents graphiques invitent à ne pas
se contenter de l'habituel collationnement entre des dates de
faits historiques et des examens de détails architecturaux :
ces documents curieux, conservés à la Maison de l'Œuvre
Notre-Dame*, ce sont les plans dits d'Erwin, quoiqu'un ou
deux seulement d'entre eux soient, sinon de sa main, du
moins de son temps et sans doute de son inspiration : un ou
deux sont antérieurs à lui, tous les autres sont postérieurs ou
remaniés postérieurement (xiv^-xv^ siècles). Ce qui est certain,
d'après l'étude de ces documents, c'est que la façade devait
toujours comprendre un étage inférieur avec trois portails, uiê
deuxième étage avec une rose et deux fenêtres latéralesi
Toutefois, certaines comparaisons qu'on peut faire entre euû
permettent de suivre les variations par où l'idée a passé. — Ainsi,
au-dessous des fenêtres du deuxième étage devait courir un0t
galerie — réminiscence probable d'Amiens et de Paris •
très importante dans le plus ancien, semble-t-il, de ces docuH
ments, moins importante dans le suivant, et qui finalement!
ne fut pas exécutée du tout. — D'autre part, d'après ce
deuxième document, un de ceux où l'on trouve probable-
ment la véritable pensée d'Erwin^, l'espace au-dessus de Ifi
rose serait resté vide, les troisièmes étages des tours, jointf
1. Voir p. iSli.
2. C'est ce document que nous reproduisons ci-contre, on le simpliGant.
CATHÉDRALE DE STRASBOURG
VUE DU COTÉ NORD
(d'après une ancienne gravure)
Reslitulion schûmalique du projet d'Erwin, d'après les dessins
de l'Œuvre Notre-Dame.
i8 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
depuis par une maçonnerie intermédiaire, seraient restés isolés
l'un de l'autre ; d'ailleurs, qu'Erwin n'ait été pour rien dans
le projet de ce lourd massif de maçonnerie, l'édifice même en
offre des preuves non douteuses : sur leurs côtés maintenant
masqués, les tours ont des fenêtres tout à fait pareilles à
celles des côtés extérieurs; sur la tour du sud, les ornements
de la corniche supérieure sont achevés au côté masqué
comme aux côtés extérieurs, et les fenêtres de cette tour sont
garnies de leurs meneaux; si ces ornements de la corniche
et si ces meneaux manquent dans la tour du nord, c'est que
l'on ne conçut l'idée de s'écarter du plan primitif d'Erwin
pour exécuter le massif intermédiaire que juste au moment
où la construction et l'ornementation des tours en était
arrivée à ce point, c'est-à-dire environ cinquante ans après
la mort d'Erwin. — D'après le même document encore, ces
troisièmes étages des tours se seraient, à la hauteur de la plate-
forme actuelle, prolongés chacun en une flèche pyramidale,
dans le genre peut-être de la flèche à jour qui s'éleva,
contemporaine de ce document, au milieu de la façade de la
cathédrale de Fribourg. . . On le voit : entre ce qu'a pu vou-
loir Erwin et ce qui a été réalisé, les différences ne manquent
point.
C'est le 2 février 1276, c'est-à-dire exactement six mois
après l'achèvement de la nef, que furent jetés solennellement
les fondements de la façade occidentale. Ce jour-là, jour de
la Purification de la Vierge, l'évêque, Conrad de Lichtenberg,
célébra la messe sur l'autel de la patronne de l'église, implora
sa bénédiction, fit trois fois, suivi de tout le clergé, le tour de
l'emplacement de la façade, le bénit et le consacra, enfonçant
une pelle dans le sol et rejetant trois pelletées de terre pour
préluder au travail des ouvriers... Une rixe s'ensuivit : cha-
NOTICE HISTORIQUE. 19
cun des ouvriers voulait travailler avec la pelle de l'évêque et
à la place même qu'il avait occupée. Il y eut mort d'homme,
et l'évêque, effrayé de ce présage, fit suspendre les travaux
pendant neuf jours, au bout desquels il procéda à une nou-
velle consécration. Un an après, le 26 mai 1277 (S'-Urbain),
il posa la première pierre de la tour, cérémonie qui fut rap-
pelée, ultérieurement sans aucun doute, par l'inscription que
nous avons citée plus haut : Vœuvre glorieuse d'Erwin était
enfin commencée. En 1291, — malgré l'ébranlement causé
par le tremblement de terre de 1289, — elle s'élevait assez
haut pour qu'on pût poser, à la base du deuxième étage
où elles sont encore aujourd'hui (refaites), les statues éques-
tres de Clovis, de Dagobcrt et de Rodolphe de Habsbourg.
Le grand incendie de 1298 contraignit à des réparations
dans les parties antérieures et retarda sans doute les travaux
de la façade. L'empereur Albert, fils de Rodolphe de Habsbourg,
venait de passer quelques semaines à Strasbourg, pour sur-
veiller de là les partisans que son rival Adolphe de Nassau
comptait en Alsace. Quand il partit, le jour de l'Assomption,
un des valets de sa suite laissa par mégarde brûler une lumière
dans l'écurie d'une maison voisine du Fronhof ; un incendie
se déclara ; plus de trois cents maisons de la ville furent ré-
duites en cendres, et, par la corde d'une grue qui servait à
monter les pierres de la construction nouvelle, le feu gagna
un des échafaudages, puis le toit de la cathédrale.
Les critiques ont longuement discuté sur les dégâts qu'avait
dû causer cet incendie*, mais sans avoir pu jamais les déter-
miner exactement. Le grand nom d'Erwin dominant toute
celte époque, on n'était pas fâché, non seulement de faire
I. Voir surtout Khaus, oav. cité, p. 3G7-373, et aussi Dehio, ouv. cUé,
p. 172-17G.
30 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
intervenir l'illustre architecte dans la réparation du dom-
mage, mais encore de le voir présider à une reconstruction
totale de la nef que l'incendie aurait rendue nécessaire;
aussi a-t-on fait valoir, en faveur de cette hypothèse, des
témoignages d'ordres très divers. — Gomme le contempo-
rain Ellenhard avait employé l'adverbe penitus en parlant de
la destruction causée par le feu S certains l'avaient traduit
par : de fond en comble, traduction plus littérale qu'il ne
convient aux chroniques de cette époque, particulièrement
quand elles sont faites de souvenirs écrits par des tiers et seu-
lement réunis par l'auteur nominal ; peut-être fallait-il faire
davantage attention au contexte, qui rend possible une autre
explication : destruction complète des orgues, cloches et autres
objets mobiliers, laissant subsister le corps de l'édifice malgré
les atteintes de l'incendie. — Gomme, d'autre part, la nef
comporte des différences de style sensibles, on en concluait
qu'Erwin — qui l'aurait refaite — l'avait refaite en deux
fois, les deux travées de l'est d'abord, les cinq autres ensuite,
interrompant d'ailleurs pour ce travail celui de la façade : on
ne remarquait pas que les vingt-cinq années de durée de la
construction de la nef (i 250-1276) suffisaient à expliquer nor-
malement ces différences, sans qu'on ait besoin de recourir à
une intervention d'Erwin après catastrophe, — et que d'ail-
leurs les différences sont encore plus sensibles entre la nef et
la façade occidentale qu'entre les différentes parties de la nef.
Gonçoit-on, au reste, qu'Erwin se soit astreint, dans la nef, à
la résurrection d'un style antérieur à lui, lorsque, dans
toutes les œuvres qui lui sont plus sûrement attribuées, il
I. Voir Khaus, p. 3G7-368, et, pour Ellenhard : Chronique de Godefroi
dEnsmingen {11 3 2- 13^2), ]iuh\ièG par Joseph Liblin (Strasbourg, Simon, 1868,
in-S"), p. Sa.
CATHÉDRALE DE STRASBOURG
VUE GÉNÉRALE
(■l'après une ancienne lithographie)
NOTICE HISTORIQUE. 21
s'est montré fidèlement passionné d'un art plus jeune ? — On
a cherché d'autres preuves encore; on a invoqué, par exemple,
la similitude des marques de tâcherons*, dont plusieurs se
retrouvent les mêmes à la façade occidentale, au transept, et
dans diverses parties de la nef, en s'appuyant sur cette con-
statation comme sur un terrain solide : or, si au xv* et
au xvi° siècles les marques d'ouvriers, étant alors employées
suivant des modes déterminés, peuvent fournir des indica-
tions utiles sur leurs auteurs, il n'en est pas tout à fait de
même pour le xii% le xin% même le xiv^ siècles, où elles appa-
raissent plutôt comme des signes commodes en vue du travail
à répartir ou du compte à régler, que comme des signatures ;
d'ailleurs, en fait, on rencontre les mêmes marques dans des
parties de l'édifice qui ne sont évidemment pas contempo-
raines les unes des autres, ou dans des édifices qui sont d'autres
époques : à Saint-Georges de Schlestadt, église du style de
transition, par exemple, on retrouve des signes qui, à la
cathédrale de Strasbourg, figurent à la coupole du chœur
— fin du style roman — et à la façade occidentale — du
style gothique avancé.
Il est à présumer, dans ces conditions, que l'incendie de la
toiture en 1298 n'a pas affecté plus profondément la nef
elle-même que les incendies de i384, de 1769 et de 1870, — et
qu'on se contenta de faire les restaurations indispensables,
augmentées sans doute de quelques ornementations nouvelles,
comme cette célèbre procession animale^, qui fut sculptée à
ce moment-là sur un chapiteau et qui devint plus tard
I. KIotz et Didron ont compte a^a variétés de signes lapidaires à la cathé-
drale de Strasbourg (^Les signes lapidaires au Moyen âge, dans les Annales
archéologiques de Didron. t. III, p. 3i et suiv.).
3. Voir p. 112.
22 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
scandaleuse... S'il n'est donc pas sans vraisemblance qu'Er-
win, maître de l'œuvre, ait travaillé à la réparation des
dégâts, il est peu probable qu'ils aient provoqué la naissance
d'une œuvre nouvelle dont Erwin aurait été le créateur.
On ne saurait attribuer à Erwin, en dehors de la façade occi-
dentale, que le tombeau de Conrad de Lichtenberg et la
chapelle de la Vierge. Le tombeau de Conrad de Lichtenberg
existe toujours, dans la chapelle Saint-Jean-Baptiste, où
nous le verrons tout à l'heure. Quant à la chapelle de Marie,
elle n'existe plus, depuis les remaniements de 1682. Elevée en
i3i6 entre la chaire et le chœur, à côté du jubé, elle servait
au Magistrat de la ville, aux princes, aux hôtes de distinc-
tion, qui s'y plaçaient pour écouter le sermon. Elle portait,
sur la balustrade, plusieurs inscriptions en grosses lettres,
y Ave Maria, le Credo, et ce texte commémoratif : « M. CGC. XVI .
Aedijicavit hoc opus magister Erwin. Ecce Ancilla Domini,
Fiat mihi secundum verbum tuum. Amen » — dont les derniers
mots sont peut-être un rappel touchant de la mort de la
femme d'Erwin, survenue cette même année i3i6.
Erwin mourut deux ans après. La femme d'Erwin avait
légué à l'Œuvre sa robe et son manteau, ((togam et tunicam));
Erwin, en mourant, lui légua son cheval et une rente de
quatre onces deniers, uequum et redditus quatuor unciarum)) Al
fut enterré dans un petit cimetière attenant à la cathédrale,
qui avait jusqu'en 1290 contenu une chapelle de Saint-Michel
et qui était situé derrière la chapelle Saint- Jean-Baptiste, à
l'endroit où une petite cour porte encore aujourd'hui le
nom de Leichhôfel, u petite cour des cadavres ». Son
épitaphe, en caractères gothiques du xiv* siècle, y existe
toujours, (( an S. Johannis Capell an der Seulen », comme
écrivait Osée Schad au xvif siècle, — sur la partie inférieure
NOTICE HISTORIQUE. »3
d'un des contreforts de la chapelle, où elle demeura long-
temps cachée^. Goethe, au xviii^ siècle, plein de ferveur pour
Tœuvre d'Erwin, dit éloquemment sa peine d'avoir en vain
cherché la pierre tombale du maître et dédia à des mânes
peut-être sans gîte l'hommage de son religieux enthousiasme^.
C'est seulement en 1816 |que Sulpice Boisserée, le promoteur
de la reprise des travaux du dôme de Cologne, et le Stras-
bourgeois Maurice Engelhard retrouvèrent, derrière des tas
de charbons amoncelés, la pierre tombale du grand archi-
tecte ^
Elle comprend, à la fois, l'épitaphe de la femme d'Erwin* :
n Anno Domini M CCC XVI XII kalendas augusti obiit domina
Husa uxor magistri Erwini », — celle d'Erwin : « Anno Domini
M CCC XVIII XVI kalendas febraarii obiit magister Érwinus
gnbernator fabricœ ecclesiœ argendnensis )) , — une troisième
enfin, traversée à la troisième ligne par une raie horizontale
qui indique une jointure de pierre; c'est la tombe d'un
autre maître Erwin, fils du grand Erwin'^ : « Anno Domini
I . Osée Schad (i 586- 1626), diacre de Saint- Pierre-le- Vieux, a laissé une des-
iption, illustrée, de la cathédrale de Strasbourg, sous le titre de : Summum
jentoratensium templam... Strasbourg, 1617, in-S".
3. Von Deulsclier Baukunst, avec la dédicace ; D. M. Ervini a Steinbach
(Œuvres de Gœthe, édit. Georg Witkowski, Stuttgart, Union Deutsche
Verlagsgesellschaft, in-i6), tome 26, p. 171. Voir aussi tome 17, dans Wahr-
heit und Dichtuny, livre 9, et tome 26, Drilte Wallfahrt nach Erwins Grabe.
3. Lors de la pose du paratonnerre en i835, on creusa la petite cour de la
chapelle Saint- Jean-Baptiste pour y établir un puisard ; on découvrit, au
cours de cette opération, un vieux cercueil en pierre, à demi brisé, rempli de
terre et d'ossements pêle-mêle, des fragments de dalles, d'autres ossements épar-
pillés dans la terre-
'i. Nous ne tenons pas compte, dans la citation de ces épitaphes, des abré-
I allons de l'original ni des singularités orthographiques, comme apprilis ou
filiitts dans la troisième.
5. Ou petit-fils, suivant quelques-uns : mais nous ne compliquerons pas
encore la discussion...
3& LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
M CGC XXXVIIII XV kalendas aprilis obiit magisier Johannes
Jilius Erwini magisiri operis hujus ecclesiœ ».
La différence des titres employés dans ces trois épitaphes
a provoqué naturellement de nombreux commentaires. Il
semble que magisier, dans la première, veuille dire simple-
ment maître Erwin, tandis que maître de Vœuvre, magister
operis y titre qui, à Strasbourg, commençait alors seulement à
désigner l'architecte plutôt que le receveur, ne se trouve ici
que dans la troisième épitaphe, postérieure de vingt-deux
ans à la première. Quant à celui qui figuré dans la deuxième
épitaphe: gubernator fabricœ ecclesiœ argeniinensis, n'indique-
t-il pas qu'on dut conférer à Erwin, dans les dernières années
de sa vie, une sorte de direction supérieure et générale .»^ Ques-
tions complexes de latinité médiévale et d'architecture, non
résolues encore définitivement.
Le xiv*" siècle, après la mort d'Erwin, vit s'ajouter à
l'œuvre quelques constructions importantes que le maître
n'avait pu prévoir.
D'abord, dans les parties de l'édifice auxquelles il ne
devait s'intéresser que comme gubernator : en i33i, l'édi-
fice s'accrut de la chapelle Sainte-Catherine que l'évéque
Berthold de Bucheck fit construire dans l'angle du croisillon
et du bas-côté sud; et, en i384, après le sixième grand incen-
die de la cathédrale, on se mit à édifier, au-dessus de la cou-
pole du chœur, cette toiture à huit faces qui fut connue sous
le nom de mitre et qui subsista jusqu'en 1759 : sur
chacune des huit faces, au-dessus de la colonnade, un pignon
ou gable, orné de lobes aveugles, le faite des huit pignons
ne dépassant pas la hauteur du toit de la nef.
C'est à partir de cette époque aussi que l'œuvre artistique
personnelle d'Erwin, la façade occidentale, changea d'aspect,
NOTICE HISTORIQUE. 2&
dans sa partie supérieure du moins.En i365,en effet — si l'on,
peut se guider avec quelque sûreté dans les expressions de tour
neuve et de tour ancienne employées par le chroniqueur Kœ-
nigshoven * — la tour du nord (ou tour neuve) fut achevée, la
tour du sud (ou tour ancienne) l'ayant été antérieurement ; et
c'est seulement, on l'a vu, après l'achèvement des tours (donc
après 1 365) que pouvait naître le projet de les réunir parle mas-
sif intermédiaire actuel. Quel fut l'auteur de cette construction
intermédiaire que notre œil est aujourd'hui habitué à confondre-
dans l'ensemble du monument, mais dont la massivité ne lui
échappe pourtant point ^ ? quel architecte faut-il accabler sous.
les critiques dont elle a été l'objet? Gerlach ? Guntz ? Michel
de Fribourg^? on ne sait. On ne sait même pas à quel des-
sein répondait exactement cette addition : était-elle vraiment,
nécessaire pour servir d'appui aux tours?... les cloches ne pou-
vaient-elles pas trouver un autre logement?... Peut-être y faut-
il chercher une cause profonde où se mêlent des considéra-
tions techniques et morales. La bourgeoisie, chaque jour plu&
puissante, et plus influente aussi chaque jour dans la direction
des travaux, poussa moins sans doute à la continuation des deux,
tours selon le projet primitif qu'au prompt achèvement — et
à la surélévation — d'une d'entre elles* : ainsi l'amour-propre
des Strasbourgeois éprouverait une plus prochaine satisfaction,
1. Dans Kraus, oiiv. cité p. 38i ; « ...lurris nova... tarris antiqaior... »
2. Nous avons reproduit (planche II) un fragment du projet pour cette-
construction intermédiaire ; le document original est conservé à l'Œuvre
Notre-Dame. Voir aussi p. i36.
3. Successeurs immédiats du grand Erwin : Jean Erwin(i3i8-i339), Jean
Gerlach (1341-1871), Conrad ou Cuntz (1372-1383), Michel de Fribourg.
'^i383-i397).
h- Il ne faut d'ailleurs pas oublier que, non loin de Strasbourg, de l'autre
:^tc du lUiin, la tour de Fribourg s'élevait déjà depuis près d'un siècle, et
jue l'émulation pouvait n'être pas étrangère aux projets des Strasbourgeois.
26 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
et plus éclatante; mais, dès lors, tout l'effort étant concentré
sur une des tours, pour que l'autre ne parût pas disgracieuse-
ment amputée, la nécessité du massif intermédiaire s'imposait.
Hypothèses encore . . .
Pour les travaux de la tourmême, on est mieux renseigné. Le
premier architecte qui travailla à son prolongement fut Ulrich
d'Ensingen, un Souabe. C'est le samedi avant la Pentecôte de
1899 que le nom du nouveau maître apparaît dans les comptes.
Peut-être aussi faut-il l'identifier avec un Ulrico de Frissingen
qui avait été appelé à Milan en i386? En tout cas, il avait
été architecte de la cathédrale d'Ulm, et il interrompit sans
doute, pour travailler encore à cet édifice, son séjour à
Strasbourg. A Strasbourg, il avança la construction de la tour
du nord, désormais octogone, jusqu'au haut des longues baies
qui en constituent le premier étage au-dessus de la plate-forme.
Il mourut en 1 419, laissant à l'Œuvre «omnia arma et tunicam)).
Après les grandes baies d'Ulrich d'Ensingen, nous entrons
pour un temps dans le domaine d'une histoire très douteuse,
presque de la légende. La tradition en effet attribue le petit
étage supérieur de la tour octogone aux Jancker de Prag, dont
l'existence n'a pas laissé de trace certaine à Strasbourg et dont
le nom même prête à des interprétations différentes. S'appc-
laient-ils Jancker de Prag ? ou Juncker était-il un titre * , et
Prag le nom de la ville de Bohême ? Ils ont certainement
existé, car on rencontre des marques de leur passage à Ratis-
bonne, à Nuremberg, à Brcslau. Mais, à Strasbourg, il n'y a
rien, dans les comptes de l'CEuvre, qui permette de leur
donner une place comme architectes de la cathédrale entre
Ulrich d'Ensingen et ses successeurs catalogués ; rien non plus'
I. « Gentilshommes ».
NOTICE HISTORIQUE. 17
qui les décèle, dans l'édifice, entre les monogrammes d'Ulrich,
lesquels commencent juste au-dessus de la plate- forme pour
aller jusqu'à l'extrémité des hautes fenêtres, — et ceux de
Jean Hiiltz, qui commencent immédiatement après. Les Junc-
ker de Prag se trouvent seulement mêlés à la vague histoire
d'une statue de la Vierge douloureuse — « tristem imaginem bea-
tœ Virginis » , dit le Livre des Bienfaiteurs — qui fut transportée
de Prague à Strasbourg au commencement du xv** siècle,
offerte à la cathédrale par un appareilleur de l'Œuvre,
Conrad de Frankenburg, installée dans une niche du « grand
pilier au-dessous et derrière les grandes orgues » * , — et dont
ces artistes furent, suivant quelques-uns, les auteurs. On les
reconnaît aussi dans une médaille célèbre-, mais frappée près
de deux siècles plus tard : d'un côté, la cathédrale, avec ces
mots : Turris Argentoraiensis, de l'autre, trois cavaliers en
costumes romains, avec ces mots : Die drei Junckherren von
Brag (sic), i565. Témoignages qui ne sont que traditionnels,
donc insuffisants pour qu'on puisse attribuer aux Juncker de
Prag un rôle important et précis, mais qui n'excluent pas la
possibilité d'une collaboration, sous une forme indéterminée:
soit qu'ils aient fait l'intérim d'Ulrich d'Ensingen au cours des
années i4o2-i4iA. où le maître d'œuvre retourna peut-être
à Ulm, soit qu'ils aient été ses aides, travaillant en sous-ordre
à l'édification de la tour octogone; peut-être même leur
nom se serait-il, comme on l'a supposé récemment', plus
I. Gramdidier, ouv. cilé, p. Go.
a. Signalée par J G. Scuweioha.euser dans son Enumération des monuments
les plus remarquables du département du Bas-Bhin (Strasbourg, V"' Levrault,
1842, in-8*), p. 3o, et par Louis Lrvrault, dans son Essai sur l'ancienne mon-
naie de Strasbourg (SiirAshour g, V" Levrault, i842, in-8*), p. 330. Voir Kracs,.
oav. cité, p. 388.
3. Deuio, ouv. cilé, p. i5o.
^8 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
facilement uni à celui d'Ulrich, à cause des rapports existant
entre les écoles de leurs pays respectifs, la Souabe et la Bohême ?
Il est donc probable*, d'après les monogrammes comme
d'après les comptes, et malgré la tradition relative aux Junc-
kcr de Prag, que la direction de l'œuvre passa sans intermé-
diaire d'Ulrich d'Ensingen à Jean Hûltz de Cologne^. Le nou-
veau maître ne se crut d'ailleurs pas astreint à un scrupuleux
respect de la pensée de son prédécesseur. On pouvait consi-
dérer la tour octogone comme terminée à la mort d'Ulrich ;
Jean Hûltz y ajouta pourtant le petit étage supplémentaire
au-dessus de l'arc des hautes fenêtres. Hûltz lui-même, du reste,
varia sans doute dans ses conceptions. Un dessin de l'Œuvre
Notre-Dame indique qu'une petite pyramide devait surmonter
chacune des quatre tourelles ^ à escaliers qui flanquent la tour
octogone, et l'on voit encore aujourd'hui, à l'intérieur des
tourelles, des traces de la base des piliers destinés à ces pyra-
mides; or, Jean Hûltz ne donna pas suite à ce projet de cou-
ronnement et termina carrément les tourelles. Mais l'activité
de Jean Hûltz ne se borna pas à compléter la tour d'Ulrich.
C'est à lui que revient l'honneur d'avoir donné à la cathédrale
son aspect définitif : « Vollbringer des Hohen Thurns hier zu
Strasburg » ^, disait son épitaphe voisine de celle d'Erwin
et aujourd'hui disparue. En 1439, le 24 juin, jour de la
Saint-Jean-Baptiste, on posa la croix et le bouton sur lequel
s'éleva la statue de la Vierge.
I . La question a d'ailleurs provoqué de vives discussions (voir, par exemple,
J.W. Ranck., Dos Slrassburger Munster and seine Baumeisler, Stuttgart, Grei-
ner et Pfeiffer, i883, in- 18) et elle n'est peut-être pas absolument éclaircie.
3. Qui la conserva trente ans, de 1^19 à i4/tg.
3. C'est sous ce nom de quatre tourelles qu'elles sont couramment désignées.]
II. « Qui acheva la haute tour ici à Strasbourg. »
CD
D
O
m
<
\-
LU
û
LJJ
<
Q
tu
X
<
O
NOTICE HISTORIQUE. 39
La cathédrale chaque jour plus célèbre attirait à elle l'admi-
ration enthousiaste des étrangers. C'est alors (i 432) qu'^Eneas
Sylvius Piccolomini * parla de cette tour « merveilleuse qui va
cacher sa tête dans les nuages » ''■. Et bientôt Ludovic le More,
régent du duché de Milan pour le compte de son neveu Jean
<jaleas Sforza, écrira (i48i) aux membres du Magistrat de
Strasbourg, en vantant la magnificence de leur cathédrale,
pour leur demander un architecte capable de diriger la con-
struction du dôme de Milan.
Entre ces deux dates, la gloire grandissante de l'œuvre fit
rendre à ses ouvriers et à ses maîtres un hommage qu'il est
intéressant de noter dans l'histoire de la cathédrale. Lorsque
les associations de maîtres-architectes-tailleurs-de-pierre de
l'Empire, réunies à Ratisbonne en 1469, s'organisèrent en une
association commune, elles arrêtèrent que Jodoque Dotzinger,
architecte de l'Œuvre Notre-Dame de Strasbourg^ ei ses suc-
cesseurs seraient grands-maîtres et juges suprêmes des ateliers
de l'Empire, et que l'atelier de Strasbourg serait le grand-
chapitre de l'association.
Ce double hommage, rendu à |la gloire de la cathédrale
par les autres cathédrales, au labeur de son atelier par les
autres ateliers, venait saluer jusque dans le passé déjà lointain
la mémoire du grand Erwin, le premier artisan de « Vœuvre
glorieuse » et aussi le créateur traditionnel de la corporation qui
en avait après lui poursuivi et parachevé l'exécution. Tel avait
été, en effet, le renom de l'architecte de la façade occidentale
que la tradition ne s'était pas contentée pour Erwin d'une seule
i. Ancien étudiant de Strasbourg, humaniste illustre, et futilr pape (Pie II).
3. « duabus ornala lurribus, quarum altéra, qnx perfecla est, mirabile
cpas, capnt inter nubila condit. » (Germania, ch. IX.)
3. De lUbi à 1473.
3o LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
gloire, mais qu'elle avait ramené à lui toute l'histoire de
l'édifice, qu'elle avait fait du maître des dernières années du
xiu^ siècle l'organisateur de l'avenir même : c'est ainsi qu'Erwin
aurait constitué ses collaborateurs en une association, sous la
tutelle de l'évêque Conrad et de l'empereur Rodolphe, asso-
ciation qui aurait obtenu une lettre d'indulgence et des pri-
vilèges du pape Nicolas III dès 1278. Beau rôle d'homme d'ac-
tion, belle vision de précurseur. Mais les preuves manquent.
Ce qui est probable, c'est simplement qu'il y avait, dès
l'époque d'Erwin, dans l'atelier des tailleurs de pierre de
l'CËuvre Notre-Dame, des habitudes qui devinrent peu à
peu des traditions, — et que l'éclat de la construction de
Strasbourg assura vite à cet atelier un des premiers rangs dans
les communautés de tailleurs de pierre qui s'établirent ensuite
dans toute l'Allemagne. A Strasbourg même, l'importance
des tailleurs de pierre de la cathédrale continua de grandir
au cours du xiv*" siècle. Confondus, par l'organisation des
tribus consécutive à la révolution populaire de i332, dans
les métiers qui formèrent alors la tribu des tailleurs de pierre
et des maçons * , ils s'étaient reconstitués en communauté indé-
pendante en i4o2, à la suite de contestations relatives à la
grande bannière de la tribu et d'un jugement du grand sénat;
enfin, — probablement à l'époque d'Ulrich d'Ensingen, — ils,
avaient jeté, d'après des traditions remontant à Erwin, les
bases de cette association que, quelques années plus tard,
Jodoque Dotzinger de Worms, maître d'œuvre de Strasbourg,
I. Le maîlre-tailleur-tle-pierre est supérieur, à Strasbourg, au maître-maçon.
Tandis que, de l'autre côté des Vosges, les maçons étaient les maîtres d'œuvre
des édifices religieux, ils ne sont ici que des gens de métiers, employés surtout i
aux constructions civiles ; les vrais artistes, ce sont, au contraire, les tailleurs- '
de-pierre.
NOTICE HISTORIQUE. 3i
réorganise et étend à toutes les associations de tailleurs de
pierre de l'Empire, convoquées par ses soins*. Les statuts
communs qu'adoptèrent ces réunions générales de Spire, de
Strasbourg, de Ratisbonne, furent à plusieurs reprises contre-
signés par l'autorité impériale, et la « loge ))^ de Strasbourg
conserva sa situation prépondérante jusqu'à ce que, la ville
ayant passé sous la domination française, les autres ateliers
furent déclarés indépendants de sa juridiction par décision
impériale et la grande maîtrise attribuée au maître d'oeuvre
de Saint-Étienne de Vienne, — mais à une époque où l'archi-
tecture et les mœurs avaient changé de caractère...
L'honneur que l'assemblée de Ratisbonne faisait à Jodoque
Dotzinger, maître de l'œuvre en l'an 14^9, allait, en même
temps qu'à lui, à tous ses prédécesseurs et, d'avance, à tous
ses successeurs, — à tous les maîtres et à tous les ouvriers de
l'œuvre, — à l'œuvre même.
IV
U CATHÉDRALE ET LA RÉFORME^
Au milieu du xv° siècle, l'œuvre était donc achevée. Seules,
peu après ce moment, l'addition de la chapelle Saint-Laurent
I. On sait que ces associations (l'association de Strasbourg, d'abord, puis
son extension à tout l'Empire) ont été considérées parfois comme l'origine de
la franc-maçonnerie. La cathédrale, c'est le « Nouveau temple de Salomon » ;
l'ouvrier tué à coups do pelles devant Conrad de Lichtenberg, lorsqu'on
jeta les fondements de la tour et que l'évêque tira les premières pelletées de
terre, c'est l'histoire d'Hiram,un des ouvriers du temple de Salomon, qui fut
tué par trois de ses compagnons ; etc. (VoirGRAMoioiER, oav. cité, p. 4i5 et s.).
3. Hûtle en allemand. L'atelier des tailleurs de pierre attaché à la cathédrale
s'appelle en allemand Bauhûlte.
3. Dacheux (Abbé L.), Un réformateur catholique à la fin du XV* siècle :
3a LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
à l'extrémité du croisillon nord par Jacques de Landshut
(i495-i5o5)*, et la construction de la chapelle Saint-Martin
dans l'angle de ce croisillon et de la nef (i5i5-i52o)^
vinrent affecter le plan de l'édifice du côté nord-est. Dans son
ensemble, l'extérieur de la cathédrale se présentait aux yeux,
dès lors, tel que nous le voyons aujourd'hui, et si l'aspect inté-
rieur n'est plus le même, ce n'est pas seulement qu'un art
nouveau ait prétendu — au xvn^ siècle — à corriger l'ancien :
désormais, c'est l'histoire religieuse ou politique de la cité
même qui dominera et dirigera, pour ainsi dire, l'histoire de
la cathédrale.
Sans doute, si Jodoque Dotzinger fit exécuter, en i453, le
baptistère que nous admirons encore aujourd'hui devant le
(( portail roman » à l'intérieur du croisillon nord, et Nicolas
de Haguenau, en i5oi, le beau maître-autel en bois sculpté
que nous ne connaissons plus que par une estampe de Brunn ;
si le chœur fut réparé en 1 455-1 46o, la voûte de la nef et la
toiture refaites en 1459, le contour du chœur bâti et sa voûte
peinte en i486; si la statue de la Vierge fut remplacée au
sommet de la flèche par une pierre octogone (i488), et si
elle se dressa cinq ans plus tard au portail sud, en même
temps qu'on y construisit la galerie entre les deux étages et
Jean Geiler de Kaysersberg (Paris, Delagrave; Strasbourg, Derivaui, 1876,
in-8"): voir aussi sur Geiler de Kaysersberg, Tarticle de Rod. Reuss à propos
du livre de Dacheux (Mulhouse, Bader, 1B77, in-S"). — Sur les « Roraffen »,
les articles du D' O. Winckelraann, dans : Zeilschrifl fur die Geschichle des
Oberrheins (t. xxii, fasc. 2), et dans : Slrassburger Posl (^20 mai 1906).
I. Il fut maître de l'œuvre de 1/49/» à 1609. Jean Hammerer lui succéda
(i5io-i5i5).
3. Par Conrad Wagt, suppléant de Jean Hammerer? pour l'évêque
Guillaume de Honstein qui voulait en faire sa sépulture, mais que les troubles
de religion survenus peu après obligèrent à se retirer à Saverne, où il
mourut.
CATHÉDRALE DE STRASBOURG
LE PILIER DES ANGES
NOTICE HISTORIQUE.; 33
qu'on éleva au-dessus des deux roses la statue de saint Arbo-
gast : ce sont encore là des manifestations de la vie normale
de l'édifice.
Mais déjà la construction de la chaire en i486 n'est
pas sans quelque rapport avec l'état religieux de l'époque.
Luther venait seulement de naître et la Réforme ne devait se
déclarer que trente ans plus tard, mais, avant même son
apparition, l'hérésie des Yaudois, la doctrine de Hûss, qui
s'étaient répandues peu à peu en Alsace, lui avaient créé dans
la région une atmosphère favorable* ; déjà beaucoup d'esprits
étaient ébranlés, et les discussions devenaient plus libres.
D'autre part, la considération dont jouissaient autrefois les
Dominicains, chargés de la prédication à la cathédrale, avait
beaucoup diminué : « exaltant les saints de leur ordre »,
« exagérant sans cesse la vertu des indulgences » , ils énon-
çaient trop complaisamment « des maximes pernicieuses à la
morale et aux droits du clergé séculier^ ». C'est pour remé-
dier à cette situation dangereuse que Pierre Schott, un des
premiers citoyens de la République strasbourgeoise, constitua
avec quelques amis un fonds pour l'entretien d'un prédicateur
séculier et qui serait docteur en théologie : cette fonction fut
I . Peut-être trouverait-on, dans l'histoire de la cathédrale même, quelque
trace contemporaine de cette inquiétude qui devait aix)utir à la Réforme ;
les fresques, attribuées au maître Lienhart de Strasbourg, qui décoraient depuis
i48G la voûte du chœur, représentaient, au milieu, le Christ et Isaïe, Isaïe
montrant d'une main le clergé qui officie dans le choeur et tenant de l'autre
un phylactère avec ces mots(/5., ch. xxix) que Schi^eegans (ouv. cité, p. ii8)
donne en vieil allemand : « Dis Volk ehrel mich mit iren lipen, aber ir herz
st fera von mir », Gérard, (oav. cité, t. II, p. 3ii-3i3) en latin : « Popalas
tte appropinquat, ore suo et labiis glorijîcat me, cor aulem ejus longe est a me, »
— et dont l'allusion est très significative : les lèvres semblent chanter la
gloire de Dieu, mais le cœur est loin de lui.
3. Grandidier, oav. cilé. p. 273.
34 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
attribuée à Jean Geiler de Kaysersberg* en 1478, qui l'occupa
jusqu'à sa mort (i5io); et c'est en l'honneur de ce premier
prédicateur séculier de la cathédrale, dont l'éloquence rude,
honnête, pleine d'anecdotes personnelles, imagée et simple
à la fois, savait attirer et retenir le peuple^, que fut cons-
truite la belle chaire en pierre richement sculptée, d'après les
dessins de Jean Hammerer.
Du haut de cette chaire, Geiler de Kaysersberg vitupéra le
relâchement de la foi et des mœurs, la facilité avec laquelle,
comme il disait, a on mettait des coussins sous tous les coudes
et des oreillers sous toutes les tètes » ; de là, pendant trente ans,
jusqu'à sa mort, il lutta contre des abus dans lesquels il
pouvait reconnaître parfois d'anciens usages touchants, mais
déformés maintenant et qui ne s'accordaient pas avec le
respect dû au saint lieu, — Ainsi, pour la fête de la Dédicace,
les fidèles, ceux de Strasbourg et ceux de la campagne envi-
ronnante, se réunissaient en foule à la cathédrale, dès la veille
de la fête ; un tonneau de vin était installé dans la chapelle
Sainte-Catherine; et la nuit était joyeuse de joies toutes pro-
fanes... — Ainsi encore, suivant l'ancien rituel de la cathé-
drale, la fête des Innocents devait être célébrée par les clercs
des ordres inférieurs, qui étaient primitivement de paisibles
élèves de l'école épiscopale, et ne manquaient sans doute pas
de gravité en tenant l'office, ni même, au sortir de la céré-
monie, en allant par la ville chanter des cantiques, représenter
le Mystère de la Nativité ou celui de l'Adoration des Mages ;
1 . Ainsi appelé du nom de la petite ville de Kaysersberg, en Alsace, où il
avait été élevé chez son grand-père. Il était né à Schaffhouse, en Suisse.
2. Il n'y avait jusqu'alors à la cathédrale qu'une petite chaire placée dans
le croisillon nord, où se faisait l'office de la paroisse (Saint-Laurent), et où la
ouïe des auditeurs de Geiler devint bientôt si nombreuse qu'il fallut trans-
porter le sermon dans la nef.
NOTICE HISTORIQUE. 35
mais les enfants de choeur qui leur avaient succédé, mêlèrent
à ces jeux sacrés quelque irrévérence : ils avaient pris l'habi-
tude d'élire évêque l'un d'entre eux, et lorsque aux vêpres de
la Saint-Jean le chœur chantait le Déposait patentes du Magni-
ficat, l'évêque des enfants de chœur, « episcopas puerorum »,
en habits pontificaux, disait les oraisons, donnait la bénédic-
tion, puis, le jour de la fête, se faisait promener en pompe dans
toute la ville. — Ainsi encore les audacieuses satires des ce Ror-
affenï), le jour de la Pentecôte. Les « Roraffen » * étaient trois
grandes figures de bois sculpté et peint, placées l'une à la partie
inférieure du buffet d'orgue, les deux autres sur des consoles
de chaque côté de l'orgue et un peu plus haut que la première;
celle-ci représentait Samson ouvrant la gueule du lion ; celle
de gauche, un héraut avec une trompette à la main ; celle de
droite, un bourgeois barbu, le chef couvert d'un bonnet rouge
et blanc — couleurs de la ville — . Ces figures étaient arti-
culées, et, de l'orgue, on pouvait aisément les manœuvrer par
des fils. Or, le jour de la Pentecôte, — où les paysans des
environs venaient en foule à la cathédrale, avec bannières et
reliques, — à peine leur procession avait-elle franchi le seuil
de l'église que les Roraffen s'agitaient : Samson ouvrait et
fermait la gueule de son lion, le héraut faisait le geste d'em-
boucher sa trompette, et le troisième personnage, non con-
tent de remuer tête et bras, lançait des quolibets sur la foule,
ricanait, chantait, criait, fût-ce au beau milieu du sermon
ou de la messe; et le bedeau qui, placé derrière ou peut-être
dans la statue, lui prêtait ainsi sa verve cynique, touchait
même un pourboire sur les fonds de l'Œuvre Notre-Dame ! . . .
I . Sans doute de deux mol« dvi haut allemand ; rôren ou rèren, crier,
bramer, et Affe, singe, poupée grotesque, — fréquent dans cette dernière
acception au moyen âge.
36 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
Geiler de Kaysersberg obtint qu'on supprimât les fêtes noc-
turnes de la Dédicace ; il obtint qu'on défendît à l'évêque des
enfants d'encenser l'autel et de chanter l'oraison, la veille des
Innocents; mais, contre les Roraffen, il ne put rien : la tra-
dition, à laquelle tenait jalousement la bonne humeur volon-
tiers railleuse des Strasbourgeois, fut plus forte que les indi-
gnations de l'ardent prédicateur*.
Geiler de Kaysersberg n'était, comme l'a appelé son bio-
graphe Dacheux, qu'un « réformateur catholique », fidèle
aux dogmes et respectueux des mystères ; il s'attaqua surtout
aux mœurs de ses contemporains, et ne toucha, dans la ca-
thédrale, qu'à des traditions qui n'avaient plus rien de reli-
gieux. La Réforme de Luther alla plus loin. Non pas, certes,
tout d'un coup, et comme un régime religieux depuis long-
temps constitué qui serait survenu du dehors pour remplacer
de toutes pièces le régime existant : la doctrine nouvelle pré-
tendait pénétrer dans l'Eglise pour la réformer, non pour la
détruire. Et ce fut, pendant plusieurs années, une lutte de
tous les jours, — avec d'étranges promiscuités dans le même
édifice, le culte nouveau se développant à côté de l'ancien.
I. La Réforme seule mit fin à cet usage. Mais les Roraffen restèrent à
leur place, et ce n'est que tout récemment qu'on les a relégués au Musée de
l'Œuvre Notre-Dame. — Quant à l'activité de Geiler, elle ne se contenta pas,,
comme bien on pense, de lutter contre des messes d'enfants et des plaisanteries
de mannequins. Il fit, en i5oo, pour répondre au Magistrat — qui lui
demandait des explications sur la violence de ses attaques constantes — un
mémoire en vingt et un articles où il exposait ses idées et ses critiques ; il y
était question des Roraffen, certes, mais aussi des legs aux ecclésiastiques,
des legs faits aux pauvres ou pour le service de Dieu par des laïques, du tes-
tament des ecclésiastiques, de l'insuffisante sévérité dans la punition de l'homi-
cide et du viol, des impôts exigés à tort du clergé ; « avant-coureur ». de
la Réforme, peut-être, a dit de lui M. Reuss, mais avant-coureur « incon-
scient et surtout involontaire ».
NOTICE HISTORIQUE. 87
lequel n'abandonnait la place que pied à pied, — avec de
singuliers personnages aussi (au regard de notre temps, du
moins, habitué à voir une démarcation nette entre le catho-
licisme et le protestantisme) : des curés prêchant les idées de
Luther, et qui veulent rester curés, — de grands dignitaires
de l'Église qui les encouragent, les protègent, les couvrent de
leur autorité, mais sans se démettre de leurs titres et fonc-
tions.
Il y eut d'abord(i5i8) quelques bourgeois pour afficher à la
porte de la cathédrale les propositions contre les indulgences
que Luther venait de soutenir; puis un curé, Pierre Philippi,
qui prêcha la doctrine de Luther dans son église de Saint-
Pierre-le-Vieux (i52o); puis d'autres curés S Antoine Firn,
de Saint-Thomas, et ce Mathieu Zell, curé de Saint-Laurent
à la cathédrale, orateur si emporté contre les dogmes de
l'Église romaine qu'on lui interdit la chaire de sa chapelle
et qu'on mit une serrure à celle de la nef pour l'empêcher
d'v monter! — et les « prédicateurs », successeurs de Geiler :
Pierre Wickgram, son neveu, remplacé, à cause de ses impru-
dences de langage, par Symphorien Pollion (i52i), remplacé
lui-même par Gaspard Hédion (i523) : les prédicateurs se
succédaient rapidement, parce que, de l'un à l'autre, se trans-
mettaient les mêmes audaces rapidement punies.
I. Toutefois, le chanoine Hàcheux (Cathédrale de Strasbourg, p. 6i)faitro-
luer qu'il n'y avait pas, à proprement parler, de curés à cette époque à
-l>ourg. Les titulaires des bénéfices ne résidaient pas, et faisaient rem
plir leur fonctions par des prêtres « mercenaires », ou « plébans », comme
on les appela; il cite nommément Firn et Zell comme les plébans de Saint-
Thomas et de la cathédrale; et l'on devrait rechercher, ajoute-t-il, le rôle que
jouèrent lors de l'introduction du protestantisme l>eaucoup de ces hommes
M pleins de talent et instruits, mais forcément mécontents et aigris, car ils
représentaient en quelque sorte les exploités, le prolétariat du clergé ».
38 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
Mais le Magistrat soutenait les réformateurs, et le grand-
doyen de la cathédrale, Sigismond, comte de Hohenlohe, lent
était également favorable. Si bien que dans le tumulte qui agi-
tait la ville et sous couleur de ramener la paix, le Magistrat
en vint rapidement à prendre des pouvoirs qu'on s'étonne de
trouver entre ses mains; il donna à Mathieu Zell, à Antoine
Firn, et à quatre autres réformateurs l'autorisation de prêcher
l'Evangile suivant le texte pur et simple des Écritures ; bientôt
même, malgré l'émotion que souleva le rnariage de Zell et de
quelques autres prêtres, malgré les sentences d'excommuni-
cation que l'évêque prononça contre eux, Mathieu Zell fut
solennellement installé par le Magistrat dans la cure de la ca-
thédrale (29 novembre i524) et il y communia sous les deux
espèces avec Catherine Schûtzin, sa femme. Quant au grand-
doyen, au même moment, il préparait pour le Grand-Chœur
une instruction qui « renferma ou découvrit la plupart des
nouvelles opinions » , dit l'abbé Grandidier, mais tout envelop-
pées (( sous le voile de l'onction et de la pureté de l'Écriture
Sainte » *. Il est vrai que le Grand-Chœur en porta plainte au
Grand-Chapitre, lequel déposa son doyen (1527)^. Mais le
mouvement était déjà trop fort pour que le Grand-Chœur ni
le Grand-Chapitre pussent l'arrêter. Il ne restait plus aux
catholiques, dans la cathédrale, que le chœur : le nouveau
culte occupait dès lors la nef, ainsi que la chapelle parois-
siale de Saint-Laurent; et ses partisans faisaient restreindre
peu à peu le nombre des messes en latin, supprimer la béné-
1. Grandidier, ouv. cilê, p. 91.
2. Sigismond de Hohenlohe quitta Strasbourg et se rendit à la cour d
François I", roi de Franco, où la protection de Marguerite, sœur du roi, lu
valut le commandement d'un régiment. Il se retira ensuite à Augsbourg, 01
il mourut, en i53/t, « dans les mêmes sentiments, dit Grandidier, qu'i
avait voulu introduire dans la cathédrale ».
NOTICE HISTORIQUE. 89
diction des Rameaux et les autres cérémonies de la Semaine
Sainte, lever l'interdiction de la viande pendant le Carême.
Enfin, le 20 février 1629, l'assemblée des trois cents échevins
convoquée par le Magistrat, décida, par i84 voix sur 279
membres présents, qu'il fallait a suspendre la messe jusqu'à
ce que ceux qui la maintenaient eussent prouvé qu'elle était
un culte agréable à Dieu » ^
En même temps on peut suivre à l'aspect intérieur de l'église
les progrès du culte nouveau. La Vierge douloureuse venue de
Prague, qui était l'objet d'une grande dévotion populaire et re-
cevait beaucoup d'offrandes, avait été enlevée, dès i523,etson
emplacement marqué par une pierre avec un texte significatif
de saint Luc rappelant les fidèles à leur devoir d'adoration en-
vers Dieu seul ^. Puis ce fut la Vierge de la chapelle d'Ervvin
qui disparut, puis le grand crucifix du chœur, et les autels, et
toutes les images, et les drapeaux pris à Morat et à Nancy sur
Charles le Téméraire, que les contingents strasbourgeois,
avaient, au retour, consacrés à la Vierge. Une table de cène en
bois fut placée devant le jubé. Enfin, comme le Magistrat avait
interdit d'enterrer désormais dans les églises, on fut d'autant
plus à l'aise pour enlever et briser les épitaphes et refaire en
pierres unies le pavage de la cathédrale (i534).
La victoire, toutefois, n'était pas encore assurée aux protes-
tants. Les deux religions restaient hostiles en face l'une de
l'autre, incapables de renoncer à la possession de la cathédrale
ou à l'espoir de la reprendre. On sait que Charles-Quint crut à
cette époque rétablir la paix dans l'Empire par le règlement
provisoire connu sous le nom d'Intérim d'Augsbourg (i548) :
concessions réciproques des deux partis, et modas vivendi jus-
I. Grandidier, oai;. cité, p. 9^1.
a. << Deum Inam adorabis et illi soli servies ». (Luc, iv, 8).
ào LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
qu'au règlement définitif par un concile. La ville de Strasbourg
se soumit à l'Intérim à la fin de i549. D'après ^^ transaction,
la cathédrale fut rendue au culte catholique. Non pas com-
plètement sans doute, puisque Gaspard Hédion conservait
encore la liberté d'y prêcher les dimanches et fêtes, sous
réserve de ne rien dire contre l'Intérim. Mais, comme le
Grand-Chapitre voulut encore exiger de lui qu'il prêchât en
surplis, selon l'usage catholique, Hédion s'y refusa, et les
catholiques restèrent seuls maîtres de la cathédrale (i" fé-
vrier i55o) : le Magistrat donna aux protestants, en compen-
sation, l'ancienne église des Dominicains (qui fut connue
désormais sous le nom de Temple-Neuf). Solution pratique,
qui ne fut qu'une solution provisoire, quoique la Paix
d'Augsbourg eût confirmé, en 1 555, la situation que l'Intérim
avait faite à la cathédrale. C'est qu'en effet le Magistrat veillait:
il voulait bien que la cathédrale n'appartînt qu'à un seul
culte, à la condition que ce fût au nouveau. On était en i559.
Il rappela que, s'il avait promis sa protection aux membres
du Grand-Chœur lors de l'établissement de l'Intérim, ce
n'était que pour dix ans, et que la dixième année approchait :
le Grand-Choeur devait en conséquence cesser de faire le ser-
vice divin le 2 février suivant (i56o), jour anniversaire de
celui où le culte catholique avait recommencé à la cathédrale
dix ans plus tôt. Le peuple, impatient, n'attendit pas jusque-là:
le dimanche 19 novembre i559, tandis que Jean Delphius,
évêque de Tripoli, suffragant de l'Évêché et membre du
Grand-Chœur, expliquait en chaire la première Épître de
saint Paul aux Colossiens, une foule surexcitée pénétra dans
l'église ; des pierres, des boules de neige, des chaises volèrent
en l'air, des bancs furent brisés, des chapelets arrachés aux
mains des femmes ; le malheureux évêque de Tripoli et les
CATHÉDRALE DE STRASBOURG
DÉTAILS DU PILIER DES ANGES
(Moulages du Musée du Trocadéro à Paris)
NOTICE HISTORIQUE. 4»
autres prêtres eurent beaucoup de peine à échapper à la fureur
de la populace, a Un si indigne traitement, que le clergé de
la cathédrale venait d'essuyer, lui fit voir, dit Grandidier, la
nécessité d'abandonner une église où il ne lui était plus
possible de se maintenir. )) Après que la cathédrale, à la suite
de ces incidents tumultueux, eut été laissée quelques mois à
l'abandon, le Magistrat la fit fermer, le i8 août i56o; puis,
quelques mois plus tard, quoique l'empereur Ferdinand P'
eût rappelé à la ville les prescriptions de la Paix d'Augsbourg
qui confirmaient aux catholiques le droit d'exercer leur culte
dans la cathédrale, le Magistrat la fit rouvrir, non pour les
catholiques, mais pour les protestants, le 17 mai i56i.
Depuis ce moment jusqu'à la prise de possession de la ville
par Louis XIV en 1681, la cathédrale resta protestante.
Pendant ce long espace de temps, presque rien n'y fut
changé. Mais les passions continuèrent à s'agiter autour
d'elle : l'histoire religieuse, ce fut, pendant près de deux
siècles (xvi^-xvif), presque toute l'histoire de Strasbourg.
C'est l'époque où la France et l'Allemagne sont le plus
violemment troublées par les luttes religieuses. Quant à
Strasbourg même, la réouverture de la cathédrale avec un
régime qui devait pourtant durer plus de cent ans, n'était
qu'un incident, et qui ne réglait rien. Les deux religions
n'étaient pas encore assez complètement séparées l'une de
l'autre, assez dégagées, si l'on peut dire, de tout esprit de
pénétration réciproque, et derrière les questions de dogmes
et de pratiques apparaissaient trop d'intérêts territoriaux et
politiques, pour que la paix fût possible. Aussi, ce fut la
guerre : division du chapitre en chanoines catholiques et
chanoines protestants ; les uns et les autres élisant leur évêque ;
la Guerre des Évêques qui pendant plus de dix ans désola
h.
hi LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
l'Alsace (1592-1604); l'élu des chanoines catholiques, Charles
de Lorraine, reconnu comme seul évêque de Strasbourg, exclu
pourtant de sa cathédrale, et transférant à Molsheim, ville du
domaine de l'évêché, les débris du Chapitre et du Grand-
Chœur ; l'empereur Ferdinand II ordonnant de remettre
toutes choses en l'état prescrit par la Paix d'Augsbourg,
c'est-à-dire, entre autres mesures, de restituer la cathédrale
aux catholiques ; le Magistrat louvoyant — on était en pleine
guerre ^ — jusqu'à l'arrivée des troupes de Gustave- Adolphe ;
le roi de Suède payant l'alliance de la ville en lui abandonnant
tous les biens des églises, des couvents et de l'évêché même ;
et, enfin, les traités de Westphalie (1648) rendant leurs biens
aux États ecclésiastiques tels qu'ils étaient en leur possession
au I" janvier 1624..- Par ces mêmes traités, on lésait, comme
récompense de l'appui prêté par le roi de France aux princes
protestants d'Allemagne, l'Alsace, presque tout entière, deve-
nait française ; et, en 168 1, par suite d'un arrêt de la Chambre
de réunion du Conseil de Brisach^, par suite surtout des
tergiversations où l'indépendante République de Strasbourg
s'était parfois maladroitement complu au cours de la guerre
dite de Hollande, les troupes de Louis XIV enveloppèrent la
ville, qui, le 3o septembre, signa sa capitulation : depuis les
traités de Westphalie, il était fatal qu'un jour ou l'autre
Strasbourg achevât de se détacher de ce a vaste Empire sans
1 . La Guerre de Trente ans.
2. 22 mars 1680. Le traité de Nimègue (1679) venait de confirmer ceux de
Westphalie en ce qui concernait l'Alsace ; l'arrêt du Conseil supérieur de
lirisach ne fut qu'une sorte de commentaire, à fin d'unité, du traité do
Nimègue; il proclamait le principe de la souveraineté absolue du roi dans la
basse Alsace aussi bien que dans la haute, et, par voie de conséquence, il
« réunissait » la dernière enclave, Strasbourg, que les troupes impériales
avaient évacuée depuis la paix. Par le traité de Ryswick (1697), la ville fut
rayée de la matricule de l'Empire.
NOTICE HISTORIQUE. 43
homogénéité )) ^ dont la séparait le Rhin, pour tomber dans
l'unité française.
DE LOUIS XIV A LA RÉVOLUTION (1681-1789)2
L'unité française, c'était aussi — Ludovico régnante —
l'unité religieuse et l'unité artistique. Non que Louis XIV ait
voulu étendre à la ville de Strasbourg sa politique d'hostilité
violente contre la religion prétendue réformée : le texte de la
capitulation que les délégués du Magistrat avaient soumis à
Louvois et à Montclar, porteurs des pleins pouvoirs du roi,
confirmait à la ville ses droits et privilèges, son régime muni-
cipal, SCS institutions ecclésiastiques, et les représentants de
Louis XIV avaient presque tout accepté; mais, parmi les trois
ou quatre conditions que Louvois avait imposées en retour, se
trouvait celle-ci : que la cathédrale serait rendue au culte catho-
lique^. Le 21 octobre i68i, l'évcquc, François-Egon de Fûrs-
1. \. LzGKZLLZ, Loais XIV et Strasbourg, p. 9 (Paris, Hachette, 188 1, in-S»).
3. Uel'ss (Rod), L'Alsace au XVII' siècle, Paris, Bouillon, 1897-98, 2 vol.
in-4''. — Marcel (Pierre), Inventaire des Papiers manuscrits du cabinet de
Robert de Cotte..., Paris, Champion, 1906, in-8°- — D' Eissen, Un chapitre
inédit de l'Histoire de la Cathédrale de Strasbourg, dans: Revue tC Alsace, i854-
3. Comme d'ailleurs les empereurs l'avaient en vain demandé depuis long-
temps. — Les protestants retournèrent alors au Temple-Neuf. — Par Tar-
ticle 3 de la capitulation, la ville demandait que le roi laissât « le libre
exercice de la religion, comme il avait été depuis l'année 1634 jusques alors,
avec toutes les églises et écoles, et ne permît, à qui que ce fût, d'y faire des
prétentions, ny aux biens ecclésiastiques, fondations et convents, mais les
conservât à perpétuité à la ville et à ses habitants. » Le roi accorda la demande
— « à la réserve du corps de l'église de I\otre-Dame, appelée autrement le Dôme,
qui doit être rendu aux catholiques, n La garantie donnée quant aux droits de la
44 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
temberg, réconcilia solennellement la cathédrale; deux jour»
après, Louis XIV entra en grande pompe dans la ville, et, le 2^^
l'évêque, qui d'ailleurs avait été l'auxiliaire dévoué de la poli-
tique royale, recevait le roi à la porte de l'église, avec une joie
pareille, dit-il, à celle du bienheureux Siméon recevant
l'Enfant Jésus au Temple de Jérusalem. La cathédrale était
désormais de la religion du roi. Et l'art du roi allait y entrer
à son tour. On voulut faire grandiose, étendre la vue : on
détruisit le jubé, qui arrêtait les regards à l'entrée du
chœur, et, en même temps que le jubé, la chapelle de
Marie, œuvre d'Erwin* ; puis, on donna à l'abside une forme
demi-circulaire par un mur désormais sans saillie où l'on pût
adosser boiseries et stalles, les arcs en retrait des côtés et
ceux du chevet furent murés, le tout formant une « espèce
de décoration en plâtre d'un goût détestable », dira plus
tard Mérimée^; enfin, le maître-autel de Nicolas de Hague-
nau fut remplacé (i685) par celui de Frémery, qui s'éleva
entre quatre colonnes de marbre avec bases et chapiteaux de
métal, sous un lourd baldaquin sculpté en bois avec la cou-
ronne de France au milieu et quatre anges aux coins, portant
l'encensoir, la navette, les burettes et le missel.
L'agrandissement du chœur fut encore repris plus tard :
ville et des habitants tels que les formulait Tarticle 3 de la capitulation, était
une nouvelle consécration de l'indépendance de l'Œuvre Notre-Dame (Voir D**,
art. cité, t. IV, i863,p. i48-i49).
1. L'évêque, Guillaume-Egon de Fùrstemberg, frère et successeur
de François-Egon, paya tous les frais : l'architecte reçut de lui pour ce tra-
vail onze mille livres, trois foudres de vin et trente sacs d'orge. L'architecte
était alors Jean-George Heckler, qui avait hardiment réparé en i654 le dégât
«ausé par la foudre à la flèche de la cathédrale : il avait dû pour cela démolir
et reconstruire la flèche sur une hauteur de plus de vingt mètres.
2. Rapport d la Commission des Monuments historiques (séance du 24 mai
i844). Voir p. G4.
CATHÉDRALE DE STRASBOURG
^
TSBBSfL.^
LA CHAPELLE SAINT ANDRÉ
I
NOTICE HISTORIQUE. 45-
en 1782, on y ajouta la première travée de la nef. Il semble
même qu'on procéda assez sommairement pour mettre le
sol de cette travée de la nef au niveau du chœur, puisque les
remaniements du siècle suivant firent découvrir qu'un amas
de décombres avec quelques couches de maçonnerie servait
de fondation aux marches et au dallage supérieur. En même
temps que le chœur s'étendit ainsi jusque dans la nef, deux
tribunes furent construites de chaque côté de la nouvelle
travée conquise par le chœur, entre les énormes piles qui limi-
taient le chœur jusqu'alors et les anciens premiers piliers de la
nef. En même temps aussi, les deux escaliers de pierre qui
conduisaient de la nef à la crypte furent détruits et cette com-
munication fut reportée du côté des croisillons, où les deux
escaliers nouveaux vinrent s'ouvrir au pied des deux forte»
colonnes latérales du carré du transept ; un mur à hauteur du
premier étage sépara le chœur et les croisillons. — Quelques
années plus tard, en 1744, Massol, architecte du cardinal de
Rohan, artiste élégant et somptueux, accola à la cathédrale,
entre la sacristie Saint-Laurent et la chapelle Saint-Jean-
Baptiste, la belle sacristie octogonale du Grand-Chapitre, qui
n'a d'autre défaut que d'être une addition sans harmonie
avec le reste de l'édifice : « plutôt un élégant boudoir qu'une
sacristie », dit un peu sévèrement Seyboth*.
Ainsi déchargée d'une partie de son gothique et rajeunie
peu à peu au goût du temps, la cathédrale parut sans doute
plus digne des aimables et brillants cortèges du siècle de
Louis XV : d'abord, en 1725, à l'aurore du règne, celui qui
accompagna Marie Leczinska-, lorsque Louis, duc d'Orléans,
1. Oav. cité, p. 554,
2. Elle résidait en Alsace, à Wissembourg, avec son père, le roi détrôné
de Pologne.
46 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
premier prince du sang, vint l'épouser par procuration au
nom du roi; puis, en 1744» le triomphe du Bien-Aimé lui-
même, dans l'allégresse populaire, après la maladie de Metz;
— et ce sera, plus tard (1770), dans la douceur ensoleillée
d'une de ces matinées de mai où l'avenir même semble sou-
rire, le passage de Marie-Antoinette, venant de Vienne pour
épouser le futur Louis XYI, reçue à la cathédrale par l'élé-
gant coadjuteur, le prince Louis de Rohan^ — V Autrichienne
saluée par le Cardinal Collier : « ...La France vous attend
pour couronner ses vœux... C'est l'âme de Marie-Thérèse qui
va s'unir à l'âme des Bourbons : d'une si belle union doivent
naître les jours de l'âge d'or... »
Malgré l'universel besoin de corriger et d'embellir auquel
on doit la disparition du jubé et la réfection du chœur en style
de luxe, le dernier grand travail exécuté à la cathédrale avant
la Révolution fut un curieux essai d' harmonisme * : la recon-
struction « gothique » des vieilles boutiques adossées à l'édi-
fice, qui en masquaient la partie inférieure sur tous les côtés
et permettaient à peine l'entrée de l'église : « flacons d'eau-
de-vie )), tabac, savon, harengs, « fromages puants- », se débi-
taient au pied de la cathédrale et souvent des piles de poteries
barraient le grand portaiP.
Or, on s'occupait précisément alors de mesures d'ordre et
de précaution. En 1769, un des innombrables coups de ton-
nerre qu'on rencontre à toutes les époques dans les annales de
l'édifice, avait provoqué un incendie particulièrement grave :
en moins d'une heure, le toit de la nef, puis toute la voûte
1. Le mot est du D' Eissen, dans son article intéressant et plein de verve.
2. Document du commencement du xviii' siècle, dans Seybotu (ouw. cilé,
p. 554).
3. Grandidiei», oav. cilé, p. 198.
I
NOTICE HISTORIQUE. 47
en feu, le plomb fondu du toit tombant sur le pavé de la
nef, sur le maître-autel de Frémery qui fut détruit ; la mitre *
consumée par les flammes, deux de ses pignons s'écroulant,
l'un sur la voûte de la salle du premier étage au-dessus de
la chapelle Saint-André, l'autre dans la première travée de
la nef. Des travaux importants s'ensuivirent : le toit de la
nef fut refait en cuivre rouge, la mitre remplacée par une
simple toiture octogonale, en cuivre également, un nouveau
maître-autel élevé d'après les dessins de Massol, quatre cent
mille livres dépensées en quatre ans pour réparer le dom-
mage.
L'abbé Antoine Rauch, maître des cérémonies, profita de
ce grand travail de rénovation pour mettre fin à quelques
abus : il dégagea le chœur, où les officiers de la garnison
venaient s'asseoir dans les stalles des chanoines et que les
chaises des dames encombraient jusqu'à côté du maître-autel,
il créa deux emplois de Suisses pour faire observer la police
dans l'intérieur de la cathédrale, il attira enfin l'attention du
Grand-Chapitre (1765) sur l'indécence du voisinage des petites
boutiques et les dangers qu'elles faisaient courir à l'édifice :
deux fois le feu y avait pris. Toutefois le Grand-Chapitre n'agit
pas tout de suite ; il fallut, pour le convaincre, qu'on eût trouvé,
un matin, « sur la petite galerie, qui est près des fenêtres infé-
rieures ))^ le cadavre d'un «garde » de la cathédrale, percé de
vingt-trois blessures, et, en même temps, constaté la dis-
parition de huit chandeliers neufs de cuivre argenté qui se
trouvaient dans la chapelle Sainte-Catherine : l'abbé Rauch
saisit cette occasion pour faire de nouvelles représentations au
I La conslniclion octogonale qui couronnait la coupole du chœur depuis 1 384
3. Grasdidier, ouu. cj<t', p. 19O. Sans doute, le chemin de ronde. «A la qua-
trième colonne du collatéral méridional. »
48 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
Grand-Chapitre et l'engager plus énergiquement à demander
la suppression des vieilles boutiques qui avaient peut-être
facilité aux assassins l'entrée de l'église. Le Magistrat ayant
décidé alors de démolir celles des boutiques qu'il donnait lui-
même à location et de ne laisser subsister que celles qui appar-
tenaient à des particuliers, Rauch proposa un plan dont l'ini-
tiative semble appartenir à celui qui l'exécuta, Jean-Laurent
•GœtzS architecte de la cathédrale; ce plan consistait à dé-
gager complètement toute la façade occidentale, à établir un
parvis sur toute sa longueur, et à rebâtir de nouvelles bou-
tiques sur les côtés nord et sud de la cathédrale, mais — me-
sure de prudence — en laissant un vide entre ces bâtiments
extérieurs et le corps de l'église, et — conception artistique
•originale à cette époque — en les construisant « dans une
forme d'ornement et dans un goût analogue au reste de l'édi-
fice))^. Gœtz édifia donc (i 772-1 778) dix-huit boutiques nou-
velles, sur un modèle uniforme, et en les entourant d'une
ligne d'arcades en style gothique, du reste assez fantaisiste, qui
existent encore aujourd'hui sur les côtés de la cathédrale. Mais
contre le « roturier )) strasbourgeois les clameurs avaient été
grandes « dans le camp des petits-maîtres connaisseurs^ )), et,
pour se venger d'eux, il affubla de différents spécimens des
coiffures à la mode, coifi'ure u à la grecque )) , «petite palissade ))
-et (( double palissade )) , quelques-unes des têtes de monstres
xjui servirent de gargouilles à sa corniche.
I. Le D' EissEN, art. cilé, et Ad. Setboth (^oav. cité,, p. 555), l'appellent
Jean-Georges Gœtz. Mais celui-ci ne fut architecte de la cathédrale que plus
•tard, de 1785 à 1794 (d'après la liste publiée par le Slrassburger Mûnster-Blatl,
1905). Il vaut mieux sans doute, avec Grandidier (p. a 00), attribuer ce tra-
vail à Jean-Laurent Gœtz, prédécesseur de Jean-Georges (1764-85).
3. Grandidier, ouv. cilé, p. 200.
3. D' EissEN, art. cilé.
CATHÉDRALE DE STRASBOURG
TRANSEPT MÉRIDIONAL
NOTICE HISTORIQUE. Ag
Mais c'en était bientôt uni des sacristies à la Pompadour
et des gargouilles ironiques. Le « beau tapage » prédit par
Voltaire approchait.
VI
LA CATHÉDRALE DEPUIS LA RÉVOLUTION JUSQU'A NOS JOURS*
Plus d'une cause devait, dès le début de la période révolu-
tionnaire, éveiller les passions autour de notre cathédrale.
Aucun chapitre dans tout le royaume ne pouvait rivaliser en
I. Reuss (Rod.), La Cathédrale de Strasbourg pendant la Révolution, Paris,
Fischbacher, 1888, in- 16. Nul ne saurait écrire sur la Cathédrale pendant
cette période sans recourir presque constamment à ce livre du grand histo-
rien de Strasbourg et de l'Alsace, à la science et à la bienveillance duquel nous
sommes heureux de rendre ici un hommage de gratitude respectueuse. (Voir
aussi : Herhakk (J.-F.), Notices historiques, statistiques et littéraires sur la ville de
Strasbourg, SiTSisbouTg, Levrault, 1817, 2 vol. in-8°. — Spach (Louis), Frédéric
de Dietrich, Strasbourg, Berger-Levrault, 1857, in-S". — Seinguerlet (E.),
Strasbourg pendant /a /îéuo/u/ion, Paris, Berger-Levrault, i88i,in-8°.) — Pour le
XIX* siècle : Reiner, Restaurations de la Cathédrale, dans Revue d'Alsace, i835
(suite à sa polémique avec F. Fries, ibid. , i834). — Congrès scientifique de France,
/0°fesston(i842), Paris, Derache, i843,2 vol. in-8*. — Congrès archéologique de
France^ 26' session (iSoçj), Paris, Derache, 1860, in-S*. — Laugei, (Anselme),
Ph. Grass, sa vie et ses œuvres, dans: Revue alsacienne illustrée, VIII, if)o6. —
FiscHVA.cii(G.), Le Siège de Strasbourg, Strasbourg, Imprimerie alsacienne, 1897,
in-4°. — Raymond Sigrouret(P.), Souvenirs du Rombardement et de la capitulation
de Strasbourg, Rayonne, Cazals, 1873, in-i8. — Klotz(G.), Réparation des dégâts
causés au sommet de la Jlèche par le bombardement (Rapport présente à M. Kuss,
maire de la ville), Strasbourg, Winter, 1871, in-8' ; — Réparation générale des
dégâts causés par le bombardement (Rapport à M. Lauth^ maire), ibid., 1872,
in-8*; — Projet de couronnement à établir sur la coupole du chœur, Strasbourg,
Schultz et Winter, 1876, in-8'; — a* rapport, 1878. — Mésard (René), L'Art
en Alsace-Lorraine, Paris, Delagrave, 1876, in-ti'. — Bcb8willwald(E.), flapporf
sur la Cathédrale de Strasbourg, Strasbourg, F. X. Le Roux, 1889, in-8*. —
KsAUTH, Windfanganlage am nôrdlichen Seitenschiffe, Strassb. M.-Bl., II, igoS.
5o LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
noblesse et en richesse avec celui de la cathédrale de Stras-
bourg, et si le clergé devait souffrir un jour du mouvement
révolutionnaire, le clergé d'Alsace aurait à perdre plus que
tout autre au nouvel ordre de choses. L'évoque de Strasbourg
est prince d'Empire et landgrave d'Alsace — et l'évêque
d'alors était un des plus grands personnages du royaume, ce
cardinal Louis-René-Édouard de Rohan, qui avait été am-
bassadeur du roi à Vienne et grand aumônier de France, et
que l'Affaire du Collier venait de rendre trop célèbre. Ses
chanoines, des Rohan, des Hohenlohe, des Groy, des- La Tré-
moïlle, des Salm, des Kœnigsegg, sont presque tous princes;
Louis XVI a reconnu au Grand-Chapitre de Strasbourg des
prérogatives qui lui assurent « le premier rang parmi tous les
corps ecclésiastiques affectés à la haute noblesse » et accordé à
ses chanoines une décoration particulière qu'ils pourront porter
partout, même hors de leur église et de leur ville, contrairement
aux autres chanoines de France. L'étendue des territoires du
prince-évêque en Alsace, et même au delà du Rhin, est consi-
dérable, son influence très forte, dans les villes, sur toute une
bourgeoisie de fonctionnaires ecclésiastiques, dans les cam-
pagnes, sur la masse des paysans, dévouée à l'Église; et, à
Strasbourg, en dehors même de l'influence du clergé, beau-
coup de bourgeois, fiers d'une sorte d'indépendance qu'ils ont
toujours conservée à leur ville, attachés à tous ses anciens
droits, ne verront pas disparaître sans regret son organisation
ecclésiastique.
En revanche, à côté de ceux-là, d'autres bourgeois, et
surtout beaucoup d'habitants non admis au droit de bour-
geoisie, fonctionnaires royaux, officiers, professeurs, com-
merçants, forment une société libérale moins fermée aux
idées du dehors, et attendent la Révolution avec plus de
NOTICE HISTORIQUE. 5i
confiance que de crainte. Quant au populaire, mécontent
d'être toujours tenu à l'écart par les grandes familles bour-
geoises de la ville, il se laissera facilement gagner, lui aussi,
par l'espoir du changement; bientôt, du reste, le libéralisme
d'une élite éclairée ne lui suffira plus, des hommes nouveaux
le dirigeront, venus d'iVllcmagne, comme Euloge Schneider,
ou de l'intérieur de la France, comme Téterel, Lyonnais, ou
Monet, Savoyard, — également étrangers à la ville, à ses
traditions, au bon sens strasbourgeois. En outre, les protes-
tants, nombreux à Strasbourg, n'avaient pas les mêmes raisons
que les catholiques d'être attachés au passé, — et leur part
d'influence sera grande sur les destins de l'Église même et de
la cathédrale, soit comme membres de la municipalité ou du
({ Département », soit simplement comme électeurs : sans
distinction de culte, en effet, tous les citoyens actifs seront
appelés, de par la Constitution civile du clergé, au scrutin
pour l'élection des curés, et tous les électeurs du second degré
pour l'élection des évêques. Enfin, plus que toute autre raison
peut-être, la proximité de la frontière devait accroître, ici,
l'eflcrvescence révolutionnaire : lorsque le cardinal de Rohan
se sera retiré dans la partie transrhénane de son diocèse,
inspirant de là ses fidèles restés en Alsace, — lorsque l'affaire
des {( princes possessionnés » * aura provoqué le conflit avec
l'Empire, — Strasbourg tressaillira d'autant plus fiévreuse-
ment qu'elle se sentira plus directement menacée par l'inva-
sion étrangère.
I . On appelait ainsi un certain nombre de princes d'Empire (dont le prince-
évêque de Strasbourg), qui possédaient de vastes domaines en Alsace, où ils
exerçaient encore quelques-uns do leurs anciens droits féodaux ; l'Assemblée
Nationale ayant aboli, le [\ août 1789, le régime féodal dans tout le royaume,
les princes possessionnés protestèrent, puis en appelèrent à l'empereur.
52 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
Sans doute, le dimanche i5 mars 1789, quand lecture lut
donnée au prône de l'arrêté du Magistrat de Strasbourg qui,
conformément à l'ordonnance royale du 7 février, fixait la
date des opérations électorales en vue de la réunion des États-
Généraux, l'auditoire n'imaginait pas de quels tumultes sa
cathédrale allait bientôt retentir. Quelques beaux élans d'en-
thousiasme donnèrent d'abord l'illusion de la concorde. Le
18 mars 1790, la municipalité élue en conséquence de l'or-
ganisation nouvelle, célébra solennellement son entrée en
fonction; le maire, Frédéric de Dietrich, et ses collègues,
après avoir, à l'Hôtel de Yille, reçu le pouvoir des mains du
Magistrat intérimaire et prêté le serment civique sur la Place
d'Armes, se remirent en marche, au son des cloches, au
bruit du canon, vers la cathédrale. Là, montant en chaire,
l'abbé de Kentzinger rendit hommage au zèle et aux talents
de Dietrich, « avec autant d'empressement, lui dit-il, que si
vous étiez né dans notre Église », prévoyant l'union de tous
pour le salut de la patrie, l'union aussi dans « le respect que
les peuples les plus éclairés se sont fait une gloire » d'accorder
à la religion ; en un mot, termina-t-il, « nous serons chrétiens,
frères, amis. Français, nous crierons tous : Vive la Nation,
vive la Loi, vive le Roi!» Quelques semaines plus tard, à
l'occasion de la grande fête patriotique des gardes nationales
d'Alsace, de Lorraine et de Franche-Comté, le maire — ce
même Dietrich chez qui, bientôt. Rouget de Lisle chantera
son Chant de guerre pour l'Armée du Rhin — reçut leurs délé-
gués sur la plate-forme de la cathédrale : ils avaient obtenu
(( la permission de pavoiser les tourelles et la pointe de la
flèche de pavillons aux couleurs de la Nation ». Ce furent les
premiers drapeaux tricolores déployés à Strasbourg, et « ce
spectacle vu des rives opposées du Rhin, dit le procès-verbal
NOTICE HISTORIQUE. 53
officiel, apprit à l'Allemagne que l'empire de la liberté est
fondé en France ».
Mais la concorde ne pouvait être qu'illusoire et passagère.
Le décret sur les biens ecclésiastiques mis à la disposition de
la nation (novembre 1789), le départ du cardinal de Rohan
pour sa résidence d'Ettenhcim — sur territoire allemand, au
delà du Rhin — (juin 1790), la promulgation de la Consti-
tution civile du clergé (juillet-août 1790), la protestation du
cardinal (novembre 1790), soulevaient violemment l'émotion
publique. Pourtant, malgré l'agitation des esprits, la cathé-
drale était encore intacte. On y toucha pour la première fois
à la suite de l'élection de l'évêque constitutionnel, l'abbé
Brendel (6 mars 1791) : le Conseil général de la Commune
décida de faire enlever, avant la célébration de la messe d'in-
tronisation du nouvel évêque, les armoiries des Rohan sculp-
tées sur le trône épiscopal et celles des chanoines du « ci-
devant )) Grand-Chapitre sculptées sur les stalles du chœur,
emblèmes survivants d'une féodalité abolie. C'était une dé-
gradation encore timide et qui ne fut, pendant longtemps,
suivie d'aucune autre. Même, avec l'imminence de la guerre,
avec l'ouverture des hostilités, avec l'invasion de la France,
la surexcitation eut beau grandir : à ce moment, et jusqu'au
dernier trimestre de 1793, un reste de respect faisait encore
hésiter, retenait les gestes dans les limites d'une honnête au-
dace. Quelques brutalités entre « jureurs » et « non-jureurs»,
comme l'évêque Brendel et le curé Jaeglé, un jour de mars
1791, devant l'autel de saint Laurent; quelques sermons
étranges, comme celui du vicaire épiscopal Schwind, sur « les
Papes dans toute leur nudité, parallèle entre la vie de Jésus
et celle de ses successeurs »; et c'était tout. Il est vrai qu'en
transmettant aux Strasbourgeois l'ordre de l'Assemblée Lé-
5.
54 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
gislative du i4 août 1792 de convertir en canons le bronze
de tous les monuments publics, l'arrêté municipal ajouta que
tous les emblèmes de la féodalité et du fanatisme qui se
trouvaient encore dans les édifices publics devaient être dé-
truits immédiatement, et qu'en exécution de cet arrêté sans
doute, on enleva leurs sceptres et leurs couronnes de pierre
aux trois statues équestres de Glovis, Dagobert et Rodolphe
de Habsbourg qui se trouvaient dans les contreforts évidés de
la façade occidentale, au-dessus des portails, à la hauteur du
premier étage. Mais on apporta beaucoup de ménagements à
l'opération, et ce découronnement de trois statues n'apparais-
sait pas nécessairement comme une manifestation haineuse
contre la religion. De même, quand, près d'un an plus tard, le
12 juillet 1793, on installa le télégraphe optique sur la plate-
forme de la toiture qui, depuis l'incendie de 1769, remplaçait
l'ancienne mitre au-dessus de la coupole du chœur; ou que,
le II septembre, les délégués du Comité de Salut Public re-
quirent la municipalité de faire exécuter les décrets relatifs à
la fonte des cloches ordonnée par toute la République*, on
ne peut pas considérer non plus qu'il s'agit déjà de prescrip-
tions vexatoires ou méchamment destructrices.
Cependant d'autres indices apparaissaient, plus inquiétants.
La situation générale dans la ville, l'état des esprits s'étaient
peu à peu modifiés. Les meneurs des clubs étaient arrivés
au pouvoir. Les sincères de l'Église catholique conformiste
n'avaient plus personne pour les soutenir; et les violents,
abjurant le sacerdoce, allaient de plus en plus à la politique.
La chaire de la cathédrale, une fois par semaine, devenait
laïque, le citoyen Lanfrey étant chargé d'y lire et commenter
I. Voir p. i83.
NOTICE HISTORIQUE. 55
tous les huit jours, au nom de la municipalité, les pièces
envoyées par la Convention. On n'en était plus au temps où
Euloge Schneider, \icaire épiscopal, lui aussi, comme le fou-
gueux Schwind, et dès lors ardent révolutionnaire, engageait
encore ses auditeurs à ne pas haïr leurs frères « malades du
fanatisme», comme il disait. Libre maintenant de tout lien
avec son ancienne carrière, il s'était fait nommer accusateur
public près le Tribunal criminel du Bas- Rhin, réclamait l'éta-
blissement d'un tribunal révolutionnaire affranchi des formes
légales, et ne gardait guère de son passé que des habitudes de
style : quand le représentant Dentzel apporta à Strasbourg (le
8 juillet) le texte de la Constitution de 1793, Euloge Schneider
salua en lui « le porteur du nouveau Livre de vie )) . . . L'au-
tomne de 1793 approche. Le danger national grandit. La levée
en masse, décrétée par la Convention le 23 août, est promul-
guée à Strasbourg depuis le 9 septembre. Voici octobre, les
lignes de Wissembourg forcées par l'ennemi, l'entrée triom-
phale des émigrés à Haguenau, la population de quelques
villages catholiques allant tout entière à leur rencontre,
drapeau blanc en tête; Saint-Just et Lebas, représentants
en mission, organisent le tribunal révolutionnaire, frappent
un impôt forcé de neuf millions de livres sur les riches,
réquisitionnent deux mille lits, dix mille paires de sou-
liers...
C'est dans cette atmosphère que naquit le projet de fête de
la Raison. Le 20 brumaire ^ la municipalité avait reproduit
la défense du Département relative à l'exercice d'un culte
quelconque. Le 27, à l'instigation du maire, Monet, elle
arrête que le décadi sera le seul jour de repos à l'avenir et
I. .\n II î i5 novembre 1798.
56 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
que (( l'édifice de l'église catholique sera destiné à servir à la
célébration du culte national » . Aussitôt grande réunion pré-
paratoire à la cathédrale : discours de Monet : « Le prêtre a
toujours été d'accord avec le tyran... » ; serment du peuple
déclarant qu'il ne veut plus reconnaître de prêtres; enfin, au
milieu des acclamations générales, le maire annonce qu'au
prochain jour décadaire le lieu de la séance sera consacré à un
Temple de la Raison. Fol enthousiasme qui ne manquait pas
de générosité : cette foule n'éprouvait pas seulement la joie
d'avoir entendu pour la première fois — dit Schneider dans
son journal ^r^os — « l'antique cathédrale retentir de paroles
inspirées par la Raison pure » ; un autre sentiment encore
l'animait, quand s'éleva sous les voûtes, entonné par des mil-
liers de voix, l'hymne qui était parti de Strasbourg pour
devenir celui de la nation : Amour sacré de la Patrie!
Le grand jour arriva, « le jour de la troisième décade ».
(( A la voix de la Philosophie » , dit une relation contempo-
raine*, la cathédrale avait été a purifiée », entre le 27 et le
3o brumaire, de « tous les ornements ridicules qui servaient
aux cérémonies du fanatisme » : coût de cette destruction :
SgS livres. Quand le cortège populaire, précédé du buste de
Marat au milieu de faisceaux et de piques, arriva à la cathé-
drale, il put voir un immense drapeau déroulant ses plis au-
dessus du grand portail de la façade, et un écriteau portant
ces mots : « La lumière après les ténèbres ». Puis, le portail
franchi, au bout de la nef ornée de drapeaux tricolores, à la
place de la vieille chaire de Geiler de Kaysersbcrg — qui avait
été démolie, avec précaution, heureusement — une largo
I. « Description de la fête de la Raison, cclébréo pour la première fois à
Strasbourg, le jour de la 3" décade de brumaire de l'an II de la Répu-
blique », dans II. Reuss (oav. cilé, p. I\Z2 et suiv.).
Monument élevé dans le chœur de la Cathédrale pour la fête do la Raison
(3o brumaire an II). (D'après une cravTire du temps.)
58 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
tribune, sur laquelle flottaient deux bannières portant en
lettres d'or, l'une : « Le trône et Vautel avaient asservi les
hommes », l'autre : « La raison et la force leur ont rendu leurs
droits)). Enfin, au fond du chœur, un échafaudage en planches,
supportant une espèce de décor de théâtre hâtivement brossée
Tout au sommet, une figure en terme, la Nature aux nom-
breuses mamelles ; près d'elle, la Liberté brandissant au bout
d'une pique le bonnet phrygien; de chaque côté, des génies
ailés (on voudrait les appeler des anges) font gracieusement des
gestes énergiques : deux d'entre eux, à droite, unissent leurs
forces pour porter un faisceau a lié par un ruban tricolore,
symbole des quatre-vingt-cinq départements réunis, appuyé
sur la tête du fanatisme » qui gît à leurs pieds ; le troisième
petit génie, à gauche, manie la forte massue dont il frappe
encore tous ces « monstres à face humaine » enfin abattus, le
fanatisme et ses amis, avec leurs attributs, livre trompeur,
ciboire, encensoir, tous ces « reptiles à demi ensevelis sous
les éclats de rocher » par cette « catastrophe terrible » qui
« s'était nouvellement passée dans le sein » de la montagne.
Plus bas, (( des prêtres de toutes les sectes : des rabbins avec
les feuilles lacérées du Talmud, des ministres catholiques et
protestants qui semblaient se charger encore de leurs ana-
thèmes réciproques. Parmi ces prêtres on en remarquait un
surtout, couvert d'un costume religieux, cachant la perversité
de son âme sous les dehors de la pénitence et cherchant à
séduire l'innocence d'une jeune vierge qu'il voulait cor-
rompre... » Et, tout au bas de la montagne, « un marais
I. Voir R. Reuss (ouv. cité, p. ^36). Ce n'étaient certainement pas des
figures sculptées, et c'était probablement autre chose qu'une simple peinture.
Ou peut-être des tableaux vivants? On manque de renseignements précis sur
ce point.
NOTICE HISTORIQUE. 5c^
d'où semblaient s'élever des exhalaisons impures », symbo-
liques, apparemment, des « impostures )> du passe... Voilà
pour le décor. — Quant à la cérémonie, elle ne fut pas moins
pompeuse. La foule frémissante s'installe sur de vastes gra-
dins étages le long des murs; l'u Hymne à la Nature » s'élève,
entonné par dix mille chanteurs, dit le procès-verbal ; puis,
le maire Monet monte à la tribune, puis le citoyen Adrien
Boy, chirurgien en chef de l'armée du Rhin, puis Euloge
Schneider; puis de nouveaux chants se font entendre, et des
prêtres défilent, abjurant « leurs erreurs », promettant a de
ne plus tromper le peuple » ; — et la place de la Cathédrale
va s'appeler place de la Responsabilité.
Pourtant, si la religion était travestie, l'édifice lui-même
n'avait pas encore subi les irrémédiables dégradations.
L'heure en était proche, maintenant. Le 4 frimaire an II
(24 novembre 1793), les représentants en mission chargèrent
la municipalité « de faire abattre dans la huitaine toutes les
statues de pierre qui sont autour du temple de la Raison » .
La majorité du corps municipal temporisa, résista même,
déclarant, par sa délibération du 12 frimaire, que l'administra-
teur des travaux publics avait déjà « donné les ordres pour
faire abattre toutes les statues isolées placées à l'extérieur dudit
temple ^ ; qu'une partie en était actuellement abattue [proba-
blement les statues équestres de Clovis, Dagobert et Rodolphe] et
que l'autre le serait aussi vite que la rareté actuelle des ou-
vriers le permettait; que, quant au grand nombre des statues
qui font partie de l'architecture même, et qui ne pourraient
être enlevées sans dégrader l'édifice », l'administrateur des
travaux publics u croyait que la loi s'opposait à leur démoli-
I. (( Qui auraient pu, — lit-on dans une des picces-annexes — , nous rap-
peler le souvenir dg notre esclavage ou réveiller nos anciens préjuges. »
6o LA CATHEDRALE DE STRASBOURG.
tion )) ; qu'en effet le décret de la Convention Nationale du
6 juin 1793 (( prononce la peine de deux années de fers contre
quiconque dégradera les monuments nationaux » ; qu'il y a
lieu d'approuver « les mesures susdites prises par l'adminis-
trateur des travaux publics » ; qu'il en sera fait part auxdits
représentants du peuple, et qu' « il leur sera observé en même
temps que l'édifice de la Cathédrale tenant un rang distingué
parmi les monuments nationaux, la commission municipale
croit que ce serait contrevenir à la susdite loi en abattant les
statues qui font partie de l'architecture dudit édifice. »
Le maire, Monet, essaya de faire rapporter cette partie de
l'arrêté, ou d'en restreindre la portée : il voulut demander la
conservation des seuls ornements dont la destruction nuirait
à la solidité de la cathédrale. La municipalité résista au maire.
Elle ne changea rien à sa motion. Et pourtant, à cette heure
même, elle donnait plus d'un témoignage non douteux de son
dévouement au culte de la Raison. Mais elle aimait sa Cathé-
drale, tandis que Monet, Savoyard, n'avait sans doute pas les
mêmes raisons de l'aimer. Irrité de n'avoir pu convaincre ses
collègues, il ordonna directement et immédiatement à l'admi-
nistrateur des travaux publics, Gérold, « de faire enlever dans
le plus bref délai, en conséquence de l'arrêté des représen-
tants du peuple Saint-Just et Lebas, toutes les statues du
temple de la Raison ; en conséquence, de requérir non seu-
lement les ouvriers, mais les citoyens en état de se servir d'un
marteau, pour les abattre le plus promptement possible, n
Dernière tentative de résistance : l'administrateur des travaux
publics fît desceller, avec précaution, par quelques ouvriers
experts, les statues qui couvraient la façade; il en sauva ainsi
soixante-sept, qu'il cacha soigneusement. Mais il ne put faire
davantage : les « citoyens en état de se servir d'un marteau ))
<
z
o
Û
on
-UJ
<
H
O
a.
NOTICE HISTORIQUE. 6i
survinrent, et les marteaux firent leur office. Par bonheur les
ouvriers de l'Œuvre Notre-Dame ne mettaient aucun entrain
à cette besogne de destruction, et les autres, iconoclastes sans
héroïsme, ne se risquaient pas à monter très haut dans l'édi-
fice. Au bout de deux jours, le 19 frimaire, on déclara le tra-
vail terminé*. Pendant l'opération, un savant professeur de la
I. J. F. Hermann, t. I, p. 383, a donné une nomenclature de ces destruc-
tions et mutilations d'après le procès-verbal du 6 germinal an III : « Au grand
portail, on démonta quinze grandes statues sur piédestaux; on abattit un grand
nombre de figures représentant soixante et dix faits historiques de la Bible,
taillées dans des cannelures en bosse ou bas-reliefs. On détruisit encore [en
partie, nous le verrons plus loin] le grand bas-relief placé au-dessus de la porte
et représentant un grand nombre de faits historiques ; vingt-quatre statues
placées entre des colonnes de très petit module, très artistement travaillées ;
de même douze statues appelées les musiciens [disposées sur un des deux gables
au-dessus du grand portail]. — Aux deux portails latéraux, on démonta vingt-
[juatre statues sur piédestaux ; . . . toutes les figures en bosse placées dans les
cannelures des cintres des deux portails ; les deux bas-reliefs au-dessus des
deux portails ; les trois grandes statues équestres représentant les rois Clovis
et Dagobert et l'empereur Rodolphe d'Habsbourg; treize statues au-dessus de
la rosace avec des figures en bas-relief, travaillées en bosse... Quatre pommes
Je pin, servant d'ornement aux tourelles, furent abattues ; les ignorants van-
dales les prenaient pour des fleurs de lis. — Au portail connu sous le nom
de Saint-Laurent furent abattues dix statues sur des piédestaux ; sous un bal-
daquin, saint Laurent couché sur un gril, au-dessus du portail ; trois autres
statues dans l'intérieur du baldaquin... — A la façade vis-à-vis du château
royal, ci-devant palais épiscopal : quinze statues sur piédestaux; deux bas-
reliefs en bosse au-dessus des deux portes... — A la prétendue croix, au som-
met de la flèche, on a abattu les ornemens arabesques et les extrémités
regardées à tort comme des fleurs de lis... — Dans la chapelle de la Croix
)u de Sainte-Catherine, cinq statues... » — Malgré l'apparente précision de
nomenclature, il règne encore, à notre avis, quelque incertitude sur les
^ causés à l'édifice pendant ces journées révolutionnaires : ainsi, le fait
|ue certaines séries de ces statues ont été conservées presque intactes et que
telle autre a complètement disparu (les Apôtres du portail du croisillon sud),
pourrait provoquer plus d'une question. Peut-être la nomenclature rapportée
par Hermann mériterait-elle un examen approfondi, au lieu de servir simple-
ment de base à des appréciations diverses où apparaissent parfois des velléités
de comparaison entre le « vandalisme » de la Reforme et celui de la Revo-
6a LÀ CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
ville, Hermann*, avait eu le courage d'écrire au Département
pour rappeler que, d'après la volonté de la Convention, « les
pièces de l'art et de la curiosité qui pourront servir à l'instruc-
tion » doivent être conservées ; que les statues de la cathédrale
méritent « d'être conservées dans le cabinet national servant
à l'histoire de l'art de la sculpture, du costume des temps où
elles ont été faites et à l'histoire en général, plusieurs étant
allégoriques et exprimant le génie et les idées de ces siècles
reculés » ; qu'en conséquence il convient « de ménager ces
statues le plus possible et de leur faire assigner une place où
elles soient à l'abri de toutes injures, jusqu'à ce qu'elles
puissent en trouver une où elles seront disposées d'une ma-
nière qui réponde aux vues de la Convention Nationale )).
Hermann réussit à recueillir un certain nombre de têtes mu
tilées qu'il déposa à la Bibliothèque de la ville en les ornant
d'épigrammes latines contre Monet et ses amis.
Avant la fin de l'époque troublée, la cathédrale faillit subii
une dégradation plus grave encore que celle des journées d(
frimaire. En floréal-prairial an II (mai-juin 1794)» le citoyer
Téterel — un Lyonnais, comme on l'a vu — reprit comme
officier municipal la motion qu'il avait faite quelques moi:
auparavant aux Jacobins, de faire abattre la flèche de h
cathédrale, qui blesse profondément le sentiment de l'égalité
La municipalité eut recours à un subterfuge : mieux valait
pour produire le même efl'et et à meilleur compte, arborer su
la croix, tout en haut de la flèche, au-dessus de la couronn^
le symbole de la liberté. On hissa donc jusqu'à cette place ui
immense bonnet phrygien en tôle, de couleur rouge vive, d'oi
lution (Voir G. Save, La Panagla du Dôme de Strasbourg, Strasbourg, i!
p. 64 et suiv.).
I. Frère de l'aulcur des Notices... ci-dessus.
NOTICE HISTORIQUE. 63
descendaient, pour couvrir les bras de la croix, d'immenses
guirlandes de feuilles de chêne, en tôle également'. — C'est
ainsi que le dévouement des Strasbourgcois à leur cathédrale
retarda, puis limita les effets de la fureur où s'égaraient quel-
ques révolutionnaires généralement venus du dehors; pour
ceux-ci la cathédrale n'était qu'une église, — pour ceux-là,
elle était quelque chose de leur vie et de leur cœur.
D'autres fêtes aussi que la fête de la Raison, souvent cal-
quées sur elle, furent célébrées dans la cathédrale, jusqu'à ce
qu'y revînt définitivement la paix de l'Église catholique. Fête
des défenseurs invalides de la patrie ou installation solennelle
de la nouvelle Commission révolutionnaire, fête en l'honneur
de l'Être Suprême, fêtes décadaires, anniversaire de a la juste
punition du dernier roi des Français » ou cérémonie funèbre
en l'honneur des plénipotentiaires français assassinés à Rastatt,
fête de la Souveraineté du peuple, fête de la Reconnaissance,
— ce fut toujours la même fureur philosophique, le même
lyrisme pompeux, la même musique de Pleyel, et des «acces-
soires » sans doute de plus en plus nombreux, puisqu'on
dut créer, au temple de l'Être Suprême, un « magasin de tous
les objets de représentation pour orner les fêtes publiques )).
Enfin, après avoir, à travers les vicissitudes religieuses des
dernières années du siècle, servi parfois simultanément aux
catholiques apostoliques romains, aux prêtres constitution-
nels, aux associations religieuses de laïques, au culte décadaire,
I. Quelques semaines après la motion de Téterel, les Administrateurs du
Bas-Rhin écrivaient à Ilentz et Goujon, représentants en mission (7 thermidor
an II, a5 juillet I79'4) : « .. Ordonnez donc, citoyens reprcsenUints, que tous
les clochers et tours soient abattus, excepté cependant ceux qui, le long du
Rhin, seront reconnus être utiles aux observations militaires, et celui du
temple dédié à l'Être Suprême, à Strasbourg, qui présente un monument
ftossi hardi que précieux et unique do l'ancionno architectuve... »
64 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
sans que jamais la municipalité, quoique en majorité protes-
tante, songeât à la reprendre pour ses coreligionnaires, — la
cathédrale fut rendue, définitivement et exclusivement, au
culte catholique, le 4 octobre 1801 *.
Au cours du xix^ siècle, — outre la réparation des dom-
mages causés par les révolutionnaires et à laquelle s'em-
ployèrent énergiquement les trois sculpteurs Malade, Vallastre
(1765-1833) et Grass (1801-1876), — quelques additions et
suppressions ont été faites à l'édifice. Une statue équestre de
Louis XIV a été placée, sous la Restauration (182 3), dans la
niche vide du quatrième contrefort de la façade^. On a établi
le paratonnerre, en i835^. Le parvis a été abaissé d'environ
un mètre, ce qui « a allongé démesurément les jambages des
trois portes » ^ et ne permet plus de voir que « sous un angle
aigu » les belles statues du portail ^. A la même époque, on
I. Par suite d'une application erronée du décret du i3 frimaire an II con-
cernant les Fabriques, les biens et les revenus de l'Œuvre Notre-Dame furent
mis à la disposition de la nation (4 thermidor an III). L'ancien état de choses
fut rétabli par le décret du 3 frimaire an XII.
3. Au premier étage; les trois niches des autres contreforts étant occupées,
comme on sait, par les statues de Clovis, Dagobert et Rodolphe de Habsbourg.
3. Dès 1780, Barbier de Tinant, commissaire des guerres, avait, dans un
mémoire à l'Académie des sciences, proposé l'établissement d'un paratonnerre
sur la flèche de la cathédrale ; et Franklin, rapporteur lui-même du projet
avait conclu favorablement.
U- Rapport de Viollet-le-Duc {Inspection générale des Monuments Diocésains,
i853).
5. Rapport de Prosper Mérimée à la Commission des Monuments historiques
(séance du 2I1 mai i844)- Nous avons consulté ces deux rapports inédits,
ainsi que la lettre de Mérimée dont il est question plus loin, au Sous-Secré-
tariat d'État des Beaux-Arts. Que MM. Paul Léon, chef de la division d'ar-
chitecture, et J. Berrde Turique, chef du bureau dos Monuments historiquea
dont l'aimable obligeance nous a facilité l'accès de ces documents, veuillei
bien recevoir ici nos remerciements sincères.
CATHÉDRALE DE STRASBOURG
L'ANCIEN ET LE NOUVEAU TESTAMENT
(Portail méridional)
NOTICE HISTORIQUE. 65
a supprimé les petites boutiques sur le côté nord, en laissant
seulement subsister, et après de vives polémiques*, les arcades
qui leur servaient de façade (1848); mais on ne vida point le
côté sud, où l'atelier des tailleurs de pierre continue de s'abri-
ter derrière l'ingénieuse construction de Gœtz. Le télégraphe
à bras de la coupole a été enlevé (i852).
Mais d'autres travaux, ou d'autres circonstances, ont affecté
plus généralement la cathédrale, pendant les cent dernières
années, que ces modifications de détail"^.
D'abord, le badigeonnage de i836^, badigeonnage de l'inté-
I . On perçoit sans doute un écho de ces discussions dans les appréciations fort
divergentes de Mérimée et de Viollet-le-Duc {Rapports ci-dessus). La destruc-
tion de ces arcades, dit Mérimée, « serait regrettable sans aucun doute. Il est
à remarquer que cette construction exécutée au xvui* siècle, imite assez bien
le style de la cathédrale, et que l'efTet général en est satisfaisant. Enfin qu'elle
empêche d'approcher du pied des contreforts et d'y apporter des immondices.
La suppression des boutiques, et l'ouverture des arcades donnerait de l'air
aux murs de l'église, et la clôture les protégerait de toute insulte. Cette dis-
position consacrée par un siècle d'existence paraît devoir être respectée «.
Viollet-le-Duc, au contraire : « Dans le siècle dernier on a élevé des deux
côtés de la nef des boutiques avec devanture en pierre ayant la prétention de
rappeler le style de la cathédrale ; du côté nord les boutiques ont été vidées et
il ne reste que la devanture que l'on considère probablement comme une
œuvre d'art remarquable. Cette devanture n'est qu'une clôture percée de
fenêtres à meneaux fort laides et sans aucune utilité ; quoique ce mur ne soit
qu'une claire-voie, il entretient cependant de ce côté l'humidité à la face de
l'édifice. Du côté sud, les boutiques servent de magasins et de chantiers, on
a l'intention de les vider comme celles du nord et de restaurer ces fenêtres
sans but; le mieux serait de dégager franchement l'édifice d'une ridicule
décoration qui le déshonore, d'autant plus que les anciens bas-côtés sont fort
beaux » .
3. On ne parle pas ici des travaux concernant les vitraux, l'horloge, etc.,
dont il sera question plus loin (voir p. i53 etsuiv.).
3. Ce n'était pas le premier : il y en avait eu au moins deux auparavant ; mais
ce fut le dernier. Le précédent — blanchissage à la chaux, 17G9 — avait déjà
provoqué les regrets de Grandidier (ouv. cité, p. 26o) : la nef, disait-il, « a
perdu par là cette teinte vénérable et cette obscurité imposante, qui augmente
dans les temples le respect religieux ».
6.
66 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
rieur de la nef, puis des murs et des piliers du transept, le
tout en « couleur de nankin )) *, entrepris malgré de violentes
discussions où faillirent se rallumer « les vieilles querelles de
religion», dit Prosper Mérimée, inspecteur général des Monu-
ments historiques, dans une lettre au Ministre^ : « car les
badigeonneurs étaient soutenus par les protestants et les anti-
badigeonneurs, catholiques pour la plupart, se plaignaient que
la direction des travaux d'une église catholique fût confiée à
un protestant ». En même temps, on rétablissait l'ancienne
peinture — bleu, rouge et or — aux nervures des chapelles
latérales, et « le pitoyable badigeon qui couvre tout le reste »
en ressortit encore davantage : ainsi, ajoute Mérimée, « ces
jeunes gens qui laissant croître leur barbe et leurs cheveux,
d'ailleurs portant des fracs et des pantalons, se croient un cos-
tume du moyen âge. » Il fallut cette intervention énergique
pour provoquer l'ordre de ne pas pousser plus loin « ce bar-
bouillage ».
Vint, en revanche, quelques années plus tard, une période
de restauration raisonnée. En 1842, la Société française d'ar-
chéologie, tenant à Strasbourg son 10*' Congrès, s'occupa de
la question du chœur, pour essayer de lui rendre enfin son
caractère primitif trop longtemps défiguré par des transfor-
mations successives. Les principales conclusions de la com-
mission furent : qu'il fallait le débarrasser de la décoration
dont l'avaient orné les dernières années du xvii® siècle et que
le xviii^ avait perfectionnée à sa manière ; le restaurer en se
conformant au type romano-byzantin de transition ; et, entre
autres mesures complémentaires, couvrir d'une fresque à fond
1. D' Eissen (arl. cilé, p. 199).
2. Datée de Strasbourg, i5 juin i830. (^Archives des Monuments historiques).
Yoir Bévue alsacienne illustrée, n" III de 191 o.
NOTICE HISTORIQUE. 67
d'or la voûte de l'abside, ainsi que celle delà coupole. Il y eut
bien une protestation : celle d'André Friederich, le sculpteur
strasbourgeois : « vouloir faire de l'histoire dans une église,
non seulement en conservant, mais en restaurant des parties
qui ne s'harmonisent pas à l'ensemble, ce n'est pas servir
l'art. . . * » , il ne faut pas « faire de l'histoire » , mais de l'unité ;
et Friederich, même après la décision du Congrès, essaya de
faire triompher son opinion, dans une lettre destinée au Mi-
nistre, et qui se terminait par cette formule énergique :
(( point de peintures, point de byzantin-... )> Ce fut en vain.
Les travaux furent exécutés selon le programme de iS^a.
iVctivement et ingénieusement, l'architecte Klotz^ s'appliqua
à réaliser la pensée du Congrès (i 848-1 85o). C'est dans la
préparation ou au cours de son travail qu'on s'aperçut que
les ornements du xvii' et du xyiii" siècles, en bois et plâtre,
avaient été simplement fixés au mur de l'abside par des cram-
pons de fer; que cette décoration n'avait, par son exécution,
et malgré son luxe apparent, qu'un caractère provisoire; et
que rien d'essentiel n'avait été enlevé à la construction primi-
tive. En même temps, Klotz ramena le chœur à ses dimensions
d'autrefois, rendant à la nef la première travée qu'elle avait
abandonnée au chœur en 1732; et cette opération fit décou-
vrir le vieil escalier central de la nef à la crypte, sous un mon-
1. Congrès scientifique, t. I, p. 482.
2. Lettre du 3 mai i843 à M. E. Grille de Beuzelin {Archives des Monuments
historiques).
3. Les architectes titulaires do la cathédrale au xn* siècle ont été : Antoine
Klotz (i79'4-i8ii), — Spindier (i823-i835), —Gustave Klotz (i838-i88o),
— Aug. Hartel(i889-go), — Fr. Schraitz (1890- 189/,),— Louis Arntz (1897-
1902). L'architecte actuel est l'éminent M. J. Knauth. M. Knauth a bien voulu
nous donner les plus grandes facilites pour poursuivre utilement notre élude
6ur place ; qu'il nous permette do lui réitérer ici nos remerciements pour l'ama-
bilité de son accueil.
68 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
ceau de décombres qui servaient de fondations et parmi les-
quels se retrouvèrent des fragments du jubé. Pourtant, ce
n'est pas par cet escalier central enfin dégagé qu'on rétablit la
communication ordinaire avec la crypte, mais par deux nou-
veaux escaliers latéraux qu'on disposa à la place même où
descendaient autrefois ceux qui avaient été purement et sim-
plement détruits en 1782. En conséquence, les deux escaliers
construits en 1782 dans les croisillons, au pied des grosses
colonnes latérales du chœur, furent supprimés; détruits, de
même, les murs à hauteur du premier étage qui, depuis la
même époque, séparaient à cet endroit le chœur des croisil-
lons ; détruites aussi les deux tribunes, contemporaines égale-
ment, de l'avant-chœur.
Et ce fut, en 1870, le bombardement. Des 198000 pro-
jectiles allemands qui tombèrent, jour et nuit, sur la ville,
entre le i4 août et le 27 septembre, la cathédrale, qu'une artil-
lerie exacte ne ménageait point, reçut vaillamment sa part.
C'est dans la nuit du 18 au ig août qu'elle fut touchée pour la
première fois. Dans la nuit du 26 au 26, les projectiles mirent
le feu aux toitures de la nef et du chœur; c'étaient, charpente
et cuivre, celles qui avaient été construites à la suite de l'in-
cendie de 1759. Le feu s'étendit sur 60 mètres de longueur,
i5 mètres de largeur, dévorant 600 stères de bois, 12 000 ki-
logrammes de cuivre, mais il n'entama pas les voûtes. L'in-
cendie éteint, les obus continuèrent à pleuvoir, pendant un
mois encore. Clochetons et balustrades, escaliers et gargouilles,
couronnements de niches, statues, piliers, il y eut des dégâts
partout, dans toutes les parties de l'édifice, à toutes les hau-
teurs, sur tous les côtés, particulièrement au nord, à l'angle
nord-ouest, qui se trouvait sous le coup des batteries fixes
établies près de Schiltighcim. Heureusement, les arcs-boutants
CATrîÉDRALE DF: STRaSBOURC
'ANCIEN TESTAMEN
CFrapnsr.t)
NOTICE HISTORIQUE. 69
et les contreforts restèrent indemnes : sans ce hasard, c'en était
t'ait de la cathédrale. La flèche elle-même fut endommagée :
elle reçut en tout treize projectiles, dont un, lancé le i5 sep-
tembre un peu après midi, l'atteignit tout en haut, à la partie
supérieure du dais en forme de pyramide qui couvre les huit
colonnes de la couronne et qui supporte la croix; l'endroit
frappé était à 4 mètres au-dessous du point extrême de la flèche,
et la déviation de la verticale au sommet, qui s'ensuivit, fut
de o'°,6o environ; la chute de la croix n'a été empêchée que
par les crampons de fer qu'avaient nécessités des réparations
antérieures, et par les conducteurs du paratonnerre. C'est le
jour même de la capitulation, le 27 septembre, que la cathé-
drale reçut son dernier projectile : il pénétra, à une heure et
demie de l'après-midi, dans l'intérieur de l'église par la sep-
tième fenêtre du côté nord de la nef (la fenêtre à demi
aveuglée entre les orgues et la tour). Quelques heures plus
tard, le drapeau blanc était hissé sur une des quatre tourelles,
celle du nord-est.
La plupart des travaux qui suivirent la reddition de la place
curent pour objet la réparation des dégâts causés par le bom-
bardement : redressement de l'extrémité de la flèche, qu'il
iallut opérer immédiatement pour empêcher la chute mena-
anle de la croix; réparations de la pierre de taille, recon-
struction de toitures, réparations au mobilier. D'autres tra-
vaux, retardés par les événements, comme l'achèvement de la
série des statues aux contreforts des tours sur le type des trois
anciennes statues équestres du premier étage, furent menés à
bien en même temps. Enfin, le nouveau couronnement de la
coupole du chœur, quoiqu'on en eût parlé près de vingt ans
avant la guerre, fut une conséquence directe du désastre. Le
couronnement ancien — que ce fût la mitre détruite en 1 769
70 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
OU la toiture à pyramide tronquée avec terrasse qui portait le
télégraphe optique — n'avait jamais été en harmonie avec la
galerie romane du xu^-xiii* siècle qui lui servait de base;
d'autre part, il était depuis longtemps écrasé, contrairement
sans doute aux conceptions premières, par le voisinage d'une
nef trop haute par rapport à lui. Aussi la question d'un
couronnement nouveau fut-elle posée dès l'enlèvement du
télégraphe en i852 ; mais, au milieu d'opinions trop diverses,
elle avait été laissée en suspens. L'incendie du 25-26 août 1870
imposa la nécessité d'une solution; et, en 1878, on dressa
le couronnement actuel, continuation de la galerie romane
ancienne, laquelle conserva sa place primitive, mais fut sur-
élevée par un étage de hautes baies, puis par un étage d'arca-
tures aveugles, enfin surmontée d'une toiture pyramidale;
en même temps, le mur de l'abside était exhaussé par un
pignon flanqué de deux hautes tourelles. Ainsi on obtint le
double résultat d'une plus grande harmonie dans le style de
la tour du chœur et d'un moindre écrasement dans l'aspect
extérieur du chœur et de l'abside par rapport au transept et à
la nef.
D'autres travaux encore, d'ordres très divers, ont été exé-
cutés pendant cette dernière période de l'histoire de la cathé-
drale : ainsi, en 1877-79, ^^^ peintures de l'abside d'après le
programme de 1842 (par Steinlé, de Francfort) et celle du
Jugement dernier au-dessus du grand arc d'entrée du chœur
(par Steinheil, de Paris) * ; ainsi, en 1903-1904, la construction
d'un vestibule dans l'angle du collatéral nord et du mur ouest
I. Voir p. 7g. Un premier traite relatif à ces travaux avait été conclu en i855
avec le peintre Flandrin et rarchitocle Denuelle; quand on passa à la réalisa-
tion vingt ans après, Flandrin était mort ; Denuelle conserva la direction de
la partie décorative.
NOTICE HISTORIQUE. 7r
de la chapelle Saint-Laurent (en style gothique de la fin du
w" siècle, par M. Knauth, architecte de la cathédrale); ainsi,
les travaux actuellement (1910) en cours pour la consolida-
tion des fondations du gros pilier, entre le narthex et la nef,
qui soutient la tour nord, et du dernier pilier de la nef. du
même côté, qui supporte également une partie du poids de la
tour.
La Cathédrale a vécu toute la vie de la cité. Au centre de
Strasbourg et de l'Alsace, « comme un écho sonore », elle a
répercuté toutes les vicissitudes d'une histoire mouvementée.
Elle a grandi avec les évoques, puis avec la bourgeoisie; la
Réforme y a passé, ennemie des images, « servante de Dieu
seul * » ; et la majesté de Louis XIV, irrespectueuse du go-
thique ; et les enthousiasmes et les colères de la Révolution ; et,
plus près de nous, les obus, qui l'ont enlevée à la France. Elle
demeure, elle continue de vivre, dominant tous ces villages
de la plaine dont les noms chantent mélancoliquement au
souvenir de ceux qui sont partis, et faisant trembler d'une
émotion un peu fébrile, dès qu'ils la devinent dans le loin-
tain, le regard de ceux qui reviennent.
I Voir p. 89.
II
DESCRIPTION ARCHÉOLOGIQUE
ASPECT GÉNÉRAL
Le plan général figure une croix latine. L'abside, qui consti-
tue la branche supérieure de la croix, étant très peu déve-
I . Pour cette description archéologique, on a consulté principalement
outre quelques-uns des ouvrages précédemment cités et ceux qui seront indi-
qués au cours des pages suivantes : Chapuy, Vues pittoresques de la Cathédrale
de Strasbourg, texte de J.-G. Schweighaelser, Strasbourg, F. -G. Levrault,
1827, in-V- — Baron F. de Guilbermt, Cathédrale île Strasbourg (notes de
1838 et de i852, rédigées en iSoG-iSôy), dans sa Description (manuscrite)
des localités de la France, t. xvi (Département des Manuscrits de la Bibliothèque
Nationale). — V'iollet-le-Duc, Dictionnaire raisonné de l'architecture fran-
çaise du XI' au XVI' siècle, Paris, 1860, 10 vol. in-S", passiin. — ScnxA\SE
(I)' Cari), Geschichte der bildenden Kûnste, V («m Mittelalter, t. 3), Dûsseldorf,
Jul. Buddeus, 1873, in-8*. — Mitscher (G), Zur Baugeschichle des Strass-
burger Munsters, Strasbourg, Schultz, 187G, in-8°. — Woltmasn (D' Alf.),
Geschichte der dcutschen Kunst im Elsass, Leipzig, Scemann, 187G, in-8'. —
74 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
loppée, le chœur occupe également le carré du transept. La
nef est flanquée de deux bas-côtés simples. Deux chapelles,
de chaque côté de l'abside, s'ouvrent sur les bras du transept;
deux autres, sur les deux premières travées des bas-côtés.
La longueur totale de l'édifice est de io3 mètres (Notre-
Dame de Paris : i3o mètres; Saint-Denis, io8; Amiens :
i45; Cologne : i43), dont 3i pour le chœur, 63 pour
la nef, 9 pour le narthex. La hauteur de la nef est de
32 mètres (Paris : 35 mètres; Saint-Denis, 29 mètres; Amiens,
42 mètres; Cologne, 45 mètres). La longueur du transept est
de 56 mètres, la largeur de la nef de i4 niètres, celle de cha-
cun des bas-côtés de 8 mètres.
L'axe de la nef, par rapport à celui du chœur, dévie légère-
ment vers le sud , j usqu'à ce que le narthex le ramène vers le nord .
L'élévation de la façade occidentale forme un parallélo-
gramme complet, puisque le raccordement établi à la fin du
XIV® siècle au-dessus du deuxième étage entre les deux tours ne
laisse entre elles aucun espace vide ; mais au-dessus de cette
masse imposante de 45 mètres de largeur, de Q6 mètres de
hauteur, la tour du nord se prolonge pour se terminer en
flèche à 142 mètres du sol.
La pierre employée à la construction de la cathédrale pro-
Grad (Gh.), L'Alsace, le pays et ses /iafei7an/5, Paris, Hachette, 188g, in-fol. —
Ungewitter (G.), Lehrbuch der gotischen Konstractionen, 3' édit. (^nea bearbeitet
von K. Mohrmann), Leipzig, Weigel, 1 889-91, 2 vol. in-4°. — Polagzek
(Ernst), Der Uebergangsstil im Elsass, Strasbourg, Heitz, 1894, in-S". —
Enlart (Camille), Manuel d'Archéologie française, I, Architeclare religieuse,
Paris, Alph. Picard, 1902, in-S". — Grandriss des Munsters, dans : Stras- ,
barger Mixnsler-Blalt, hjoS-/». — Clauss (Jos. M.-B.), Das Munster als Begràb- '
nissldtte und seine Grabinschriften, dans : Strassb. M.-Bl., 1906. — Knauth(J.),
Dos architeklonische Ornament am Strassbarger Munster, dans : Strassb.
M.-BL, 1907, i9o8; — Das Strassbarger Munster und die Cheopspyramide ,
Bâtsel der Baukunst, dans : Bévue Alsacienne illustrée, Strasbourg, 1907.
DESCRIPTION ARCHÉOLOGIQUE. 76
vient de la région vosgienne à l'ouest de Strasbourg (du Gron-
thal, entre Wasselonne et Marlenheim, et, un peu plus au
sud, de la haute vallée de la Bruche, entre Gresswiller, Ober-
haslach et Niederhaslach) ; c'est ce grès des Vosges, qui donne
à l'édifice un charme de coloris très captivant et dont Mérimée
a écrit un jour avec une manière d'enthousiasme : « grès
compact et très fin, de couleur rose lorsqu'il vient d'être
taillé, mais qui prend avec le temps une teinte foncée comme
celle du fer exposé à l'air; d'ailleurs cette pierre se prête
admirablement à toute la délicatesse de l'ornementation
gothique, et sa dureté, qui augmente avec les années, permet
de l'employer pour les moulures les plus fines, pour tous les
détails précieux dans l'exécution desquels excellaient les
artistes du moyen âge » *.
La cathédrale présente des parties d'époques diverses; dans
l'ensemble, elle s'est développée régulièrement de l'est à l'ouest.
Nous suivrons ce développement dans notre description : nous
commencerons par la crypte, puis nous étudierons le chœur
et le transept, puis la nef et les bas-côtés, et, pour chaque
partie, l'intérieur d'abord, l'extérieur ensuite.
II
LA CRYPTE, LE CHŒUR ET LE TRANSEPT^
La crypte, le chœur et le transept sont les parties les plus
anciennes de la cathédrale actuelle.
1. Lettre citée (i836). Voir p. 60.
2. SciiHEEGAifs (L.), La statuaire Sabine et les slataes et sculptures des por-
tails (lu transept méridional de la Cathédrale de Strasbourg, dans ; Revue a' Al-
76 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
La crypte. — La crypte de la cathédrale de Strasbourg
est une des rares cryptes d'Alsace, et la plus importante. Sa
longueur totale est de 2 6", 70; sa plus grande largeur, de
i3"',4o; la largeur de la nef du milieu, 4", 75; la hauteur
moyenne de ses voûtes, ô^jôo. Elle comprend à peu près
l'espace qui s'étend au-dessous de l'abside et du carré du
transept, et incline sensiblement vers le sud par rapport à
l'axe de la partie correspondante de l'église, supérieure.
C'est une construction romane à trois nefs, qui se termine
en hémicycle. Au fond s'ouvre le sanctuaire, taillé dans le
massif du mur de l'abside ; de chaque côté du sanctuaire, les
parties de l'hémicycle faisant face aux nefs latérales sont per-
cées chacune de trois niches.
La crypte se compose de deux parties d'époques différentes.
La partie orientale est la plus ancienne et appartient sans
doute à la construction de Wernher, au début du xi* siècle.
Elle comprend les deux premières travées, qui sont voûtées
en berceau et portées alternativement sur des piliers et des
colonnes. Ces colonnes ont une base presque attique, sans
griffe; les chapiteaux sont à feuillages plats, d'acanthe
romane qu'enlace le sarment des écoles germaniques; aux
sace, i85o. — Congrès archéologique de France. 26' session (1869), (Mémoire
de G. Klotz, résumant les faits observés dans la visite à la cathédrale),
Paris, Derache, 1860, in-8°. — Save (G.), La Panagia du. Dôme de Stras-
bourg, Strasbourg, Hubert et Haberer, 1877, in-12. — Metér-Altona
(E.), Die Sculpluren des IStrassburger Munsters (!'" Theil : Die âlteren
Sculpturen bis 1789, Strasbourg, Heitz, 1894, in-8°. — Mâle (E.),
L'Art religieux du XIII* siècle en France, Paris, Leroux, 1898, in-8'. —
Haussmann (S.), LEiTSCHon (Fr.) et Setboth (Ad.), Les monuments dart de
l'Alsace et de la Lorraine, Strasbourg, Heinrich, [1900], i vol. gr. in-/j°
(texte) et 2 vol. in-fol. (planches). — FRA^CBL (K.), Der Meisler dcr Ecclesia und
Synagoge am Slrassburger Munster, DûsseldorS, igoSyin-li". — Michel (André),
Histoire de l'Art, t. II, 2* partie, chap. VIII, La sculpture en France et dans les
oavs du nord jusqu'au dernier quart du XIV* siècle, Paris, Colin, 1906, in-A".
-J
<
z
O
Q
ÙL
iU
DESCRIPTION ARCHÉOLOGIQUE. 77
angles de deux d'entre eux, des figures bizarres représentant
des monstres ou des lions. L'arc doubleau qui sépare les
travées, ainsi que les arcs latéraux qui relient ensemble les
colonnes et piliers, sont formés de pierres alternativement
blanches et rouges, disposition très rare dans ces contrées et
dont on ne trouve guère d'autre exemple que dans l'an-
cienne église de Murbach (Haut-Rhin). — Quelques pierres
du mur sud de cette partie de la crypte présentent des traces de
cette taille en stries à combinaisons symétriques, appareil à
taille décorative, qui remonte à l'époque mérovingienne : on
> s'est servi d'éléments provenant d'une construction antérieure,
{^ à moins que ces traces ne soient une preuve de la persistance
d'un procédé qui, effectivement, resta en usage jusqu'au
cours du xiii^ siècle dans la région germanique.
La partie occidentale de la crypte, qui date de la fin du
'S XI* OU du début du xii' siècle et qui correspond au carré du
transept, se compose de la réunion de douze voûtes d'arêtes
divisées entre les trois nefs, voûtes de plan carré dans les nefs
latérales, de plan rectangulaire dans la nef centrale, portées
par six colonnes libres et huit colonnes engagées dans les
murs. Les doubleaux s'affaissent, dans cette partie occiden-
tale, en arcs surbaissés, et l'on y retrouve l'alternance de la
pierre blanche et de la pierre rouge. Quant aux colonnes, leurs
bases présentent de ces griffes qui commencent, au xii' siècle,
à sauver la transition du tore circulaire à la plinthe carrée cl
dont on pourra suivre désormais le développement dans la
cathédrale jusqu'à la pleine époque gothique: et leurs chapi-
teaux dessinent cette forme qu'on a définie la pénétration
d'un cube et d'une sphère, qui provient peut-être des tradi-
tions de l'école byzantine d'Aix-la-Chapelle et qui, d'usage
fréquent en Alsace et sur les bords du Rliin, est le seul cha-
78 LA. CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
piteau, aux yeux de Mérimée, « dont le profil soit tout à fait
propre au moyen âge » * .
La crypte de Strasbourg ne renferme aucun tombeau, et
la petite niche creusée dans l'une des parois du sanctuaire
est vide.
Deux escaliers conduisent de la crypte à l'église supérieure ;
ils y aboutissent de chaque côté des degrés qui conduisent de
la nef au chœur.
■X-
Rien de ce qu'on voit actuellement de l'église supérieure
ne remonte plus haut que le milieu du xii^ siècle : les nom-
breux incendies de cette époque et, en dernier lieu, celui de
1176, avaient sans doute rendu nécessaire une reconstruction
presque totale. Peut-être même les parties les plus anciennes
n'ont-elles été commencées qu'après 1 176. Mais on respecta les
lignes principales de l'ancien édifice, soit par piété, soit qu'on
en pût utiliser les fondations et les débris au fur et à mesure
qu'on en suivait le plan ; et, si la construction actuelle est re-
lativement récente, elle offre pourtant, à défaut de réalités
datant d'époques plus anciennes, un souvenir indirect et cer-
tain de ce passé : l'appui de l'abside au mur oriental du
transept sans l'intermédiaire d'un avant-chœur, serait une
singularité dans un projet du xii^ siècle, qui, au contraire, ne
surprend pas si elle n'est qu'une survivance des débuts du
xi" siècle^.
1. Prosper Mérimée, Éludes sur les Arts au Moyen ii^re (Paris, G. Lévy,
1875, in-i8), p. [ii-f[2.
2. Voir Deuio, ouv. cité, p. iGo.
DESCRIPTION ARCHÉOLOGIQUE. 79
Le chœur. — Le mur qui forme le fond de l'abside,
plat dans sa partie extérieure, demi-circulaire à l'intérieur,
est de construction ancienne (fin du xii*' et commencement du
XIII* siècle), mais l'ornementation ne date que de la restauration
faite par l'architecte Klotz en i848-5o d'après le programme
du Congrès de 1842. Au milieu, une arcature en forme d'arc
brisé très ouvert, encadrant trois tores épais et un arc festonné,
abrite le siège de l'évêque. De chaque côté, deux autres
arcatures : la première à droite et la première à gauche sur-
montent deux larges niches à fond plat percées chacune d'une
petite porte étroite; les deux dernières sont, comme celle du
milieu, accompagnées d'épais boudins en retrait contournant
une ouverture festonnée.
En retrait sur la galerie qui joint les sommets des arcs, le
pourtour est percé de trois grandes fenêtres en tiers point, et
surmonté, sans autre intermédiaire qu'une moulure, par la
voûte qui vient buter au-dessus du grand arc est du carré du
transept.
Les peintures qui ornent l'abside et l'entrée du chœur sont,
on l'a vu, l'œuvre récente de Steinlé, de Francfort, et Steinheil,
de Paris. Tandis que Steinheil donnait, poursa'part, ce Jugement
dernier, immense autant qu'étriqué, qui occupe toute la surface
murale qu'on aperçoit dominant le vaisseau central de l'église,
entre le grand arc ouest du chœur et la haute voûte de la nef,
Steinlé s'acquittait de la décoration de l'abside, où il imitait
des mosaïques byzantines, Ravenne et Venise. En haut, sur
un fond d'or, Marie couronnée par Jésus, et les neuf chœurs
des anges; plus bas, au milieu, la croix entourée des Apôtres
vêtus de blanc ; entre la voûte supérieure et les arcatures de
l'étage inférieur, de cliaque côté de la grande fenêtre du fond,
sur deux rangs, des Pères, des Saints (sainte Odile, saint
8o LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
Arbogast),ctDagobcrt II; enfin, en bas, dans les tympans des
deux niches, Abel et Melchisédech, et le sacrifice d'Abraham.
La cathédrale n'est pas dégagée de ce côté. Le lycée et le
séminaire y sont immédiatement attenants et en masquent
tout l'orient. Le mur extérieur plat de l'abside, prolongé,
comme on le verra tout à l'heure, par celui des chapelles Saint-
André et Saint-Jean-Baptiste, sert d'appui à la galerie cou-
verte du séminaire construite au xviii'' siècle pour rappeler
l'ancien cloître. A la base de ce mur, et au milieu, vient
s'ouvrir au ras du sol la fenêtre du fond de la crypte ; — au
sommet, la construction ancienne est surmontée du pignon
en retrait flanqué de deux poivrières qui fut destiné à rehausser
le mur de l'abside en même temps qu'on couronnait la cou-
pole du chœur de sa haute pyramide octogonale.
Le sol du carré du transept, de quatre marches plus bas que
celui de l'abside, s'élève de treize marches au-dessus de celui
de la nef. Une coupole couvre le carré du transept, coupole
romane sur pendentifs, de plan octogone, percée de huit
petites fenêtres, et sans peintures : le programme général de
1842, d'où sont nées les fresques de l'abside et du tympan, ne
lui a pas encore été appliqué. Cette coupole porte sur quatre
faisceaux de colonnes engagées, à chapiteaux romans, et dont
les bases, comportant de larges griffes, reposent sur d'énormes
piles : celles de l'avant du chœur — auxquelles se transmet,
non seulement, pour une part, le poids de la coupole, mais
encore, aux angles opposés, la retombée des arcs d'entrée du
transept et des premiers formerets de la nef — offrent une
masse imposante, de plan carré, dont les côtés ont plus do
quatre mètres. Tandis que les deux grands arcs brisés qui
limitent la croisée à l'est et à l'ouest, passent d'un seul tenant
d'un pilier à l'autre, les deux arcs latéraux se subdivisent ne
<
O '^
Q ^
a: .5
■UJ >
iî
^ i
o S
^ i
D 8
z o
5 ®
>
I-
DESCRIPTION ARCHÉOLOGIQUE. 8i
deux autres, moins largement tendus, qui se réunissent sur le
chapiteau octogone de fortes colonnes rondes annelées de
dix-neuf mètres de hauteur sur plus de deux mètres de
-diamètre; comme ces colonnes semblent se rapporter —
on le verra plus loin — à la division du transept en deux
nefs, on a cru souvent qu'elles avaient été introduites à leur
place postérieurement à la construction de la coupole,
La coupole du chœur est couronnée à l'extérieur par la
construction octogonale de 1878 qui a pour base l'ancienne
galerie romane du xii'-xiii^ siècle; au-dessus de celle-ci,
un étage de hautes baies ouvertes à tous les vents, puis un
petit étage d'arcades aveugles que surmonte enfin la pyramide
de la toiture.
Le transept. — Il n'est pas probable que le commence-
ment de la construction du transept soit antérieur au milieu
du XII* siècle; les travaux se prolongèrent jusqu'au milieu
du xiii". Le transept marque le passage du style ancien au
style nouveau; on y trouve des témoins du roman qui s'achève
et du gothique qui commence : un portail roman, aveuglé,
dont nous reparlerons en détail, et des arcatures gothiques;
aux nervures des voûtes, des profils de diverses époques,
prismatiques dans le bras sud, déjà en boudins amincis
•qu'arrête un léger méplat, dans le bras nord; deux roses, au
haut de chacun des murs de clôture du sud et du nord, mais,
au nord, étrésillonnées en arcatures rayonnantes, au sud,
formées par deux séries circulaires de petits cercles autour
j d'un œil central; des colonnes de l'une et l'autre époques,
I sans parler des morceaux inachevés où se devine l'hésitation
I des maîtres entre les deux styles.
I Du reste, malgré la différence des temps et des styles entre
82 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
lesquels s'est répartie la construction du transept, l'unité de
plan n'en est pas absente. Des arcs aveugles en plein cintre
d'égale hauteur divisent en deux parties chacun des bras du
mur est; deux de ces arcs, les plus proches du chœur, de
chaque côté, surmontent les entrées des chapelles contiguës
au transept, vers l'est (chapelle Saint-André et chapelle Saint-
Jean-Baptiste); les deux autres contournent, l'un, l'horloge
astronomique (depuis la fin du xvi' siècle), l'autre, le vieux
portail roman. Chacun des bras du transept est voûté de
quatre croisées d'ogives autour d'un appui commun : un pilier
rond à chapiteau octogone roman, dans le bras nord du tran-
sept; dans le bras sud, un pilier flanqué de quatre colonnes
engagées, entre lesquelles s'élèvent trois étages de statues, et
qui est connu sous le nom de Pilier des Anges.
La ligne droite formée par ces deux piliers et par les deux
colonnes qui divisent les grands arcs latéraux du chœur,
partage ainsi le transept en deux nefs sur toute sa longueur.
Piliers et colonnes ont d'ailleurs été considérés les uns et les
autres comme une marque du changement qui s'opéra au
cours du travail, entre le projet et l'exécution, entre le der-
nier quart du xii" siècle et le deuxième quart du xiii'. En
effet, la lourdeur des colonnes abandonnées qui figurent
encore au mur ouest de chacun des deux bras du transept,
surtout les contreforts extérieurs qui s'avancent en saillie
hors des deux portails et que ne justifient pas suffisamment
les voûtes actuelles, sont autant de souvenirs probables, à
défaut de renseignements historiques, d'un ancien projet qui
aurait consisté à jeter une voûte unique sur chaque bras du
transept. La construction en quatre croisées d'ogives qui suc-^
céda en fait au projet délaissé, provoqua la nécessité d'un |||
soutien central : d'où, certainement, le Pilier des Anges et son
DESCRIPTION ARCHÉOLOGIQUE. 83
correspondant sans sculptures du bras nord ; d'où également,
aux yeux de quelques-uns, les deux fortes colonnes annelées
du chœur : car, d'une part, elles sont plus hautes que les piliers
de soutien des quatre angles, — d'autre part, la croisée, dans
ce système de construction, communique généralement par une
arche unique avec les ailes, et il est peu probable que le pro-
jet primitif ait été en contradiction avec cette règle : deux
raisons qui confirmeraient l'introduction ultérieure des deux
colonnes sous les arcs latéraux du chœur, comme consé-
quence de la division du transept en deux nefs, mais qui
pourtant demeurent trop exclusivement théoriques pour être
convaincantes ; il ne semble pas que l'examen de la structure
même de cette partie de l'édifice leur laisse une suffisante
autorité, et les plus récents historiens de la cathédrale se sont
prononcés contre cette opinion.
Le Portail roman. — Du début de la construction du
transept le témoin le plus curieux se trouve dans le bras
nord : c'est ce Portail roman du mur de l'est, qui encadre
maintenant un admirable baptistère du xv' siècle. Fermé au
fond — à une époque ultérieure — par une baie aveugle en
tiers point qui se divise, au-dessous d'une rose à quatre
lobes, en deux baies secondaires, le portail est lui-même de
construction essentiellement romane. Surmonté d'un fronton
triangulaire, il est constitué par une suite de boudins en plein
cintre en retrait les uns sur les autres, qui portent sur les
chapiteaux de colonnes engagées, dont les bases n'ont pas
encore de griffes. La ligne des chapiteaux de droite présente
un dessin continu : à la suite d'une sirène allaitant son petit,
des oiseaux s'entrelacent par leurs cous et leurs queues. De
même les chapiteaux de gauche ont leurs dessins liés : des
84 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
rubans garnis de pointes de diamants se nouent les uns aux
autres; des figures tournées vers le sol reçoivent les extré-
mités des rubans, au premier et au dernier chapiteau.
Quelle était la destination de ce a portail »? On a fait
maintes hypothèses sur ce point; aucune n'a jusqu'ici triom-
phé absolument. Ancien portail du bras nord du transept
qu'on aurait transporté à sa place actuelle? Mais, en exami-
nant de près sa structure, on a constaté qu'il faisait corps
avec le massif du mur. Ancien portail d'une chapelle qui au-
rait été contiguë à la grande église? Mais il n'en reste pas de
traces historiques ou architecturales péremptoires. Porte
d'entrée vers le Bruderhof, l'enclos des chanoines qui s'allon-
geait du nord au sud sur tout l'orient de la cathédrale?
Peut-être : il semble en tout cas certain que ce portail a tou-
jours occupé la place où il est maintenant et qu'il a toujours
fait partie de l'architecture intérieure; rien ne s'oppose donc,
en ce qui le concerne, à l'usage que lui attribue cette dernière
hypothèse; mais, comme il n'est pas probable que le Bruder-
hof ait toujours, lui, occupé son emplacement actuel, qu'il
n'y fut établi peut-être qu'à une époque postérieure à la
construction du portail, qu'enfin les vraies communications
entre le transept et le Bruderhof sont constituées par les
deux chapelles Saint-André et Saint-Jean-Baptiste, la raison
d'être du portail roman comme porte d'entrée du cloître,
apparaît moins évidente. D'ailleurs, la richesse même de
sou ornementation ne serait-elle pas singulière, pour un
portail intérieur? Il y en a bien un autre exemple, mais
postérieur, lointain, et qui ne prouve rien pour Strasbourg :
c'est, à la cathédrale de Burgos, la porte qui conduit du tran-
sept méridional au oloître (deuxième moitié du xiii' siècle).
11 reste plus probable qu'en réalité le portail roman du tran-
DESCRIPTION ARCHÉOLOGIQUE. 8S
>ept de Strasbourg ne servit jamais de porte. On a remarqué,
lans le mur correspondant de l'autre bras du transept, der-
rière l'horloge actuelle, des traces d'un arc roman analogue^
i propos duquel il existe même un témoignage historique :
['allusion d'un chroniqueur à une niche qui se trouvait à cet
îndroit et qui abritait un tombeau du Christ. Il n'y a aucune
raison pour qu'au croisillon nord le portail roman n'ait pas
îgalement abrité un autel, ou même peut-être un baptistère,
;omme aujourd'hui : le mur est de la cathédrale de Spire,
X)ntemporain de celui qui nous occupe, offre le même
îxemple de deux niches avec deux autels^ — Discussion un
3eu longue, mais qu'on ne peut se dispenser d'exposer, parce
ju'elle est toujours ouverte, — et que le portail qui en est
'objet mérite de retenir l'attention.
Le Pilier des Anges. — La construction la plus inté-
ressante du bras sud, est, au contraire, une œuvre gothique :
:'est ce Pilier des Anges où vient s'appuyer le centre des
coûtes de cette partie du transept. Il remonte au deuxième
juart du xiii" siècle, entre 1280 et 1260. C'est un pilier garni
ie quatre colonnes engagées, dont les bases circulaires en sur-
plomb sont soutenues par de fines consoles de feuillages,
între ces colonnes, — au-dessus de quatre socles où sont
igurés les attributs traditionnels des Évangélistcs, l'ange, le
ion, le bœuf et l'aigle, — quatre autres' colonnes s'élèvent,
nterrompues par trois étages de statues. D'abord, ce sont les
livangélistes eux-mêmes, en longs vêtements à multiples plis,
es phylactères à la main ; au-dessus d'eux, quatre anges son-
lant de la trompette; puis, au sommet, le Christ, et trois
I. Voir Dehio, ouu. cité. p. iG4-i68.
86 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
anges portant les instruments de la Passion : l'ensemble
figure un Jugement dernier en raccourci. Ces statues offrent
plus d'un caractère commun avec l'Eglise et la Synagogue du
portail sud, avec d'autres manifestations encore de la sculp-
ture française contemporaine : on a remarqué, comme dans
les statues de l'Église et de la Synagogue, la grâce des plis,
les corps apparaissant sous la finesse ondoyante du vêtement,
on a rappelé, à leur propos, les draperies des statues des
portails de Chartres et les visages des Apôtres du tympan de
la Vierge à Notre-Dame-de-Paris. Elles restent d'ailleurs ar-
tistement subordonnées à leur destination architecturale : les
statues des quatre Evangélistes sont comme engagées dans le
Pilier ; les anges du deuxième rang, dont le visage tranquille
souligne encore l'inutilité de leur geste, tiennent leurs trom-
pettes basses, et leurs ailes d'ornementation pure s'appuient
modestement aux colonnes voisines; chez ceux du haut, la
partie inférieure du corps est à peine traitée, parce qu'elle
disparaît pour l'œil dans l'harmonie du mouvement général.
Le gros pilier de l'avant du chœur, à l'entrée du bras sud
du transept, porte plusieurs épitaphes : Jean de Pfettisheim
(i368), Rodolphe de Lûttishofen (i4ii), et, plus intéres-
santes, deux de celles qui furent faites pourGeiler de Kaysers-
berg. La mort de Geiler au commencement du xvi* siècle
provoqua en effet une véritable floraison d'épitaphes dont il
était le héros : les littérateurs du temps, Beatus Rhenanus,
Wimpheling, Jean Botzhcim, Sébastien Brandt, célébrèrent
à l'envi, sur le mode classique, les vertus du grand prédi-
cateur, qu'ils comparaient à Périclès, à Socrate, à Numal
Pompilius, et pourtant, sur sa pierre tombale, au pied de laâ
chaire, on se contenta, dit-on, de graver la simple inscription
chrétienne : « Anno Domini ...Reqaiescat anima ejus in pace!))
DESCRIPTION ARCHÉOLOGIQUE. 87
Mais des projets plus pompeux tout n'a pas disparu, et ce
gros pilier de l'entrée du transept garde fidèlement, d'une
part, les deux premiers distiques de l'épitaphe composée par
Sébastien Brandt, sur la prière des religieux de Saint-Jean
avec lesquels Geilcr avait été très lié pendant sa vie et qu'ils
firent placer à la cathédrale à leurs frais* ; d'autre part, l'épi-
taphe qu'ils avaient apposée en souvenir de lui dans leur pro-
pre église 'et qui fut, après la destruction de celle-ci en i633,
transportée à la cathédrale -.
Dans le même bras sud, devant le mur ouest, en face du
Pilier des Anges, la statue (moderne, par Friederich) de
l'évêque Wernher contemplant à ses pieds ce qui fut sa ca-
thédrale et dont il ne reste plus grand'chose : « Son regard,
dit spirituellement le chanoine Dacheux, semble chercher des
formes qu'il ne retrouve plus, et peu s'en faut qu'on ne croie
l'entendre murmurer tristement : Etiam periere ruinas!)) —
Au mur opposé, à l'est du Pilier, l'horloge^.
La chapelle Saint-André. — Dans le même mur, entre
l'horloge et le chœur, s'ouvre la chapelle Saint-André. Ce
mur est, à lui seul, une superposition d'architectures de plu-
sieurs siècles. Au-dessous du grand arc aveugle dont le cintre
apparaît dans le mur — un des quatre grands arcs que nous
I Les lettres initiales des vers alternativement en rouge et en bleu ;
« Quem merito défies, urbs Argenlina, Joannes
Geiler, Monte quidem Caesaris e genilas,
Sede suh hac recubal quam rexit praeco lonantis
Sex prope lustra docens verba salulifera. »
En noir sur fond d'or :
« Johanni Geiler Keyserspergio . . . »
3. Voir p. 173.
«8 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
avons signalés, contemporains de la construction, se répétani
sur tout le mur est du transept, — trois ouvertures en tiers
point ont été percées, au xiii* siècle, celle du milieu dépas-
sant les autres; elles reposent sur [des colonnes à jolis chapi-
teaux feuillages, devant lesquelles s'étend une balustrade du
xv'' siècle; au coin de ce balcon, vers le chœur, un person-
nage en costume du temps s'appuie, le visage curieusement
tendu vers le Pilier des Anges; puis, sous le balcon, se dessi-
nent encore les traces d'une ancienne ouverture cintrée dans
le mur, laquelle se dédouble un peu plus bas en deux voûtes
également cintrées de chaque côté d'un robuste pilastre,
trois colonnes dégagées recevant ces pleins cintres sur des
chapiteaux qui rappellent encore ceux de la partie occidentale
de la crypte : cubiques, mais divisés en deux sur chaque face
et ornés de filets gracieux contournant les bords ; les bases ont
des griffes encore simples comme dans la même partie de la
crypte.
Dans la surface murale qui s'étend au-dessus de cette
double voûte apparaît encore avec beaucoup de netteté et de
couleur une belle fresque de la fin'du xv' siècle ou du début
du XVI®. Des rares fresques d'Alsace, les unes cachées par le
badigeon, les autres, à Strasbourg, détruites pendant le bom-
bardement de 1870*, c'est la seule qui subsiste. Elle forme un
triptyque. Au milieu, la Naissance du Christ : dans une cabane
en ruines, la Vierge à genoux, devant l'Enfant couché sur un
pan du manteau, dont elle tient un autre pan pressé sur sa
poitrine: les mains jointes, les yeux baissés, comme en prière
vers l'Enfant; derrière elle, à sa gauche, Joseph approche, le
chapeau à la main, à petits pas; plus loin, deux bergers, têtes
I . La Danse macabre, du Temple-Neuf.
i
CATHÉDRALE DE STRASBOURG
PORTAIL SEPTENTRIONAL
I
DESCRIPTION ARCHÉOLOGIQUE. 89
nues, se recueillent; de l'autre côté, au premier plan, un
bœuf et un âne; au fond, un paysage éclairé, des montagnes,
des rochers, des arbres, un berger qui reçoit du ciel Tange
messager de la bonne nouvelle. Il y a autant d'harmonie dans
les couleurs que d'expression dans les physionomies. Dans les
panneaux du triptyque, un saint évêque et saint André.
L'œuvre n'est sans doute pas de Martin Schœngauer lui-
même, car on ne connaît rien de lui comme peintre de
fresques; en outre, quelques détails semblent postérieurs à
la date de sa mort (1/491), comme les effets de lumière
de la campagne, et surtout, aux panneaux du triptyque, la
forme Renaissance des encadrements purement ornementaux,
où n'apparaît guère, comme dans les ornements habituels
de Schœngauer, le souvenir des feuillages naturels. Mais
Schœngauer a certainement servi de modèle au peintre de
cette fresque : des plis de vêtement, des attitudes (la lente
démarche de Joseph arrivant derrière la Vierge), l'Enfant
couché sur un coin du manteau, se retrouvent exactement
dans des estampes du maître colmarien^
La chapelle Saint-André, dont la construction doit être si-
tuée dans le dernier quart du xii* siècle et le premier du xiii",
est une chapelle à trois nefs de trois travées chacune, formant
comme un grand carré autour d'un carré central. Les tra-
vées sont séparées par desdoubleaux à larges bandeaux. Sur les
neuf voûtes, six sont des voûtes d'arêtes, mais d'arêtes à peine
marquées; les trois autres (dans la nef du milieu, la voûte
de la travée centrale et celle de l'est, au-dessus de l'aulol, —
dans la nef du sud, celle de l'est également) sont soutenues
par des arcs ogifs en boudins épais, qui, dans la voûte du
1. E. PoixczEca, Ein Wandbild im Strassbarger Mmsler, dans Sir. M.-Bl,,
11, Igoô.
8.
go LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
carré central, se croisent auteur d'un gros oculus de lourd
profil également. Celle-ci repose sur quatre puissantes co-
lonnes dont les bases ioniques romanisées sont pourvues de
griffes fortement accentuées ; les chapiteaux romans de larges
feuilles d'acanthe que dépasse aux angles le rouleau ionien,
sont surmontés de hauts tailloirs carrés où viennent retom-
ber, en s'y confondant à la base, les bandeaux des arcs dou-
bleaux, les boudins des arcs ogifs de la voûte centrale et des
voûtes de l'est, et les arêtes des autres. Au nord, la retombée
des voûtes se fait sur deux colonnes pareilles à celle du
centre, mais engagées dans le mur; au fond de la chapelle,
sur des consoles du même style que les chapiteaux des co-
lonnes ^ .
On voit aux murs de la chapelle plusieurs épitaphes. Au
mur du nord, celles de Jean, prince palatin du Rhin et de
Bavière (1487), d'un autre Jean, qui fut baron de Brandis et
qui n'est plus qu' « ombre et poussière » : « pulvis et umbra »
(i5i2). Au mur du sud : le mausolée de François- Adolphe,
comte de Rittberg, grand-doyen de la cathédrale (mort en
1G90), — surmonté de son buste en marbre, le rabat au cou,
les épaules couvertes d'un camail fourré. Du même côté,
plus près de l'entrée de la chapelle, sous un dais dont le dessin
et l'ornementation marquent le gothique finissant, un bas-
relief représentant la \ierge avec l'Enfant sur les bras rappelle
la mémoire de Jérôme et Melchior de Barby (l'un des deux
mort en 1621); de chaque côté de la Vierge, les donateurs à
genoux, en costume ecclésiastique, patronnés auprès de la
Vierge l'un par saint André, l'autre par saint Pierre; de
chaque côté de la niche, les armoiries sculptées des défunts.
I . La chapelle Saint-André est surmontée d'une salle voûtée, dont la voûte
fut refaite après avoir été défoncée loi's de l'incendie de 1769
1
DESCRIPTION ARCHÉOLOGIQUE. gi
Sur la première colonne de la chapelle, à gauche en y en-
trant, une pierre enchâssée, portant des traces de couleurs
(fond or, lettres rouges et bleues) : un grand seigneur, mar-
grave de Bade et custode de la cathédrale, a été « donné aux
vers comme une vile pâture )) : « vermicuUs sum datas esca
levis )) (1478).
La chapelle Saint-Jean-Baptiste. — La chapelle cor-
respondante du bras nord du transept^ s'ouvre entre le Portail
roman et le chœur, comme celle du bras sud entre le chœur et
l'horloge. Ici aussi le grand arc de l'origine, encore visible
dans le mur, domine la porte de la chapelle, mais il n'a pas
été désaveuglé, et le tympan qui le remplit est divisé en deux
pleins cintres secondaires (où l'on a gravé les dix comman-
dements). Au-dessous, une porte ogivale contournée à l'inté-
rieur d'un arc tréflé : c'est l'entrée de la chapelle Saint-Jean-
Bapliste.
Un peu moins ancienne que la chapelle Saint-André (elle
avait été bâtie à la même époque, mais dut être rebâtie au
milieu du xni^ siècle), la chapelle Saint-Jean-Baptiste forme,
comme l'autre, un grand carré constitué par trois nefs de trois
travées chacune autour d'un carré central. Mais toutes les tra-
vées sont ici voûtées d'ogives, dont les arcs se croisent sur des
clés de feuillages, excepté devant l'autel, où la clé de voûte
porte une figure de saint Jean-Baptiste avec l'Agneau, con-
tournée de l'inscription : S. lohnes. Bapla. Eccle. Agnus. Dei.
Tous ces arcs, ogifs comme doubleaux, sont à fortes moulures
prismatiques. Les quatre colonnes qui soutiennent la voûte
centrale offrent deux aspects différents : les unes et les autres
sont de type roman, avec des chapiteaux â crochets gothiques
primitifs, surmontés de minces tailloirs carrés, aux angles
92 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
coupés, où les arcs des voûtes retombent sans s'y confondre ;
mais, tandis que les deux colonnes de Test, devant l'autel,
sont monocylindriques, les deux autres sont constituées par
un faisceau de quatre colonnes engagées les unes dans les
autres. Au sud, la retombée se fait sur des colonnes pareilles
aux deux premières, mais engagées dans le mur; aux autres
côtés, sur des consoles, dont l'une (à côté de l'autel, vers le
sud) présente un personnage sculpté qui s'affaisse sous le poids
des arcs auxquels son épaule sert de soutien.
Cette chapelle renferme, creusé dans le mur sud, du côté
de l'est, le tombeau de l'évêque Conrad de Lichtenberg
(mort en 1299), dont l'édification est attribuée à Erwin.
Sous un baldaquin à trois compartiments que surmontent
des pignons ajourés, la statue de l'évêque, en habits ponti-
ficaux, est étendue sur un plateau de pierre dégagé du sol ;
la tête repose sur un coussin, les pieds s'appuient sur un lion.
Les formes architecturales de ce monument ressemblent
assez aux arcades aveugles qui ornent la partie inférieure
du vestibule occidental de la cathédrale, œuvre d'Erwin, pour
qu'on puisse croire, conformément à la tradition, que la
conception en est due au même maître ; la tradition n'est pas
invraisemblable non plus, qu'il ait voulu laisser une image
de lui-même dans la petite figure sculptée, assise, d'ailleurs
difficile à voir et plus encore à distinguer, qui se cache contre
le dernier pied du tombeau près du mur de l'est. L'épitaphe,
au milieu du mur de la niche, rappelle les qualités séculières
de Conrad* et ses vingt-cinq années d'épiscopat.
Dans le mur, du même côté, un beau groupe du xv" siècle :
le buste de la Vierge, celui du donateur et, entre eux, l'Enfant,
I. (( ...Qui omnibus bonis condilionibus , qux inhomine mundiali debent concur-
rere, eminebat... »
CATHÉDRALE DE STRASBOURG
VUE DE LA NEF
i
DESCRIPTION ARCHÉOLOGIQUE. gS
qui se retient au vêtement de l'une et touche de sa main
les mains en prière de l'autre. — Près de l'entrée, quelques
épitaphes, avec armoiries : Berthold de Henneberg (i495),
Frédéric de Zollern (i436)^ Jean de Werdenberg (i486).
La chapelle Saint-Jean-Baptiste est surmontée d'un étage :
une vaste salle — la salle capitulaire — qui comprend en
réalité, comme la chapelle inférieure, trois nefs de trois tra-
vées chacune, mais qu'un mur (dont la porte est ornée de
belles ferrures du xiv' siècle) divise en deux dans le sens de
la largeur, formant ainsi un vestibule à la salle elle-même.
Dans ce vestibule, on retrouve au mur les restes de la grande
arcature romane que nous avons vue tout à l'heure du côté
du transept. Les arcs des voûtes ont le même profil prisma-
tique que ceux de la chapelle même; ils retombent, au
centre, sur d'élégantes colonnes, plus minces que celles du
bas, à jolis chapiteaux de feuillages; aux murs, sur des con-
soles, dont l'une est sculptée en une forte figure de géant. La
salle est éclairée, à l'est (à l'extrémité de chacune des nefs)
et au nord, par des fenêtres rondes surmontant de longues
fenêtres géminées en tiers point.
Au fond de chacune des deux chapelles que nous venons de
décrire (Saint- André et Saint-Jean-Baptiste), s'ouvre une porte
par où elles communiquent avec la galerie appelée cloître qui
fut construite en même temps que le séminaire au xviii* siècle,
après la démolition et sur une partie de l'emplacement du
cloître ancien. Le mur de clôture des deux chapelles prolonge
de chaque côté le mur plat de l'abside dont nous avons parlé
précédemment et forme avec lui la bordure de cette galerie
du côté de la cathédrale; les deux portes de communication
94 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
des chapelles aboutissent précisément à la hauteur des deux
extrémités de la galerie. La porte qui y conduit de la chapelle
Saint- André forme sur ce cloître un beau portail roman,
constitué par trois épais boudins en plein cintre, qui repo-
sent directement, sans l'intermédiaire d'aucun chapiteau, sur
des bases à fortes griffes, à hautes scoties entre deux tores
nettement dessinés. La porte derrière la chapelle Saint-Jean-
Baptiste est en tiers point, contournant un arc tréflé et repo-
sant sur de fines colonnes à chapiteaux de crochets de feuil-
lages, à bases circulaires qui présentent d'étroites scoties et
qui débordent sur leurs socles.
Revenons de la chapelle Saint-Jean-Baptiste au bras du
transept sur lequel elle s'ouvre. Le mur qui clôt ici le transept
au nord, est percé d'une porte en plein cintre, qu'encadre
un arc brisé et qui repose sur les chapiteaux de deux fortes
colonnes engagées, chapiteaux à crochets de feuillages, sculptés
de têtes aux coins. De chaque côté de cette porte, une arca-
ture aveugle en tiers point encadre trois baies aveugles plus
petites dont les cintres s'appuient sur des colonnes légères, à
peine dégagées du mur de fond, avec des bases à griffes et des
chapiteaux à crochets qui montrent aussi, aux coins internes
de la première et de la dernière colonnes de l'arcature ouest,
des figures humaines sculptées.
Cette porte conduit à la partie de l'édifice ajoutée en iAqS
par Jacques de Landshut, et qui fut chapelle de Saint-
Laurent avant d'être sacristie. Elle forme, du côté de cette
sacristie, un portail qui fut autrefois extérieur. Il est possible
qu'antérieurement — et cette présomption s'accorde avec
quelques-unes de celles qu'a soulevées la question du Portail
DESCRIPTION ARCHÉOLOGIQUE. gB
roman — saint Laurent, patron de la paroisse, ait eu son
autel dans le bras nord du transept, soit sous le Portail
roman, soit dans une chapelle derrière ce Portail, et qui
serait tombée en ruines à la fin du xv° siècle ; à ce moment
en aurait transporté les offices paroissiaux jusqu'à l'exté-
rieur même du transept, dans cette chapelle construite par
Jacques de Landshut, entre le vieux portail du transept
désormais reculé à l'intérieur et un portail extérieur nou-
veau qui sera le portail Saint-Laurent. — L'ancien portail
extérieur devenu intérieur est un portail roman composé des
trois tores en plein cintre qui reposent sur des colonnes
engagées dont la base présente un cavet largement ouvert
et le sommet de curieux chapiteaux simplement prolongés
par des tailloirs d'une même hauteur; chapiteaux et tailloirs
sont à feuillages : une légère couronne de feuilles stylisées
à la base, qui se développent ensuite selon la nature vivante ;
c'est le commencement du naturalisme gothique. Dans le
tympan, une Vierge assise avec l'Enfant sur ses genoux,
entre deux groupes : les trois Mages, guidés par l'étoile, qui
apportent leurs présents, — puis, de l'autre côté, s'en vont;
aux pieds de la Vierge, un roi David jouant de la harpe.
L'œuvre est moderne, mais refaite d'après le tympan ancien
qu'on peut voir actuellement dans la galerie du séminaire
derrière l'abside et qui a conservé trèsnet le contour du relief
détruit.
Prés de la sacristie Saint-Laurent, addition de la fin du
XV* siècle, se trouve, à l'est, la sacristie des chanoines, addition
du xviii', — belle salle octogonale construite par Massol.
Les portails du transept. — Les portails du transept
sont l'un, le plus ancien, l'autre, le plus jeune de la cathé-
96 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
drale : portail roman à l'extrémité du croisillon sud, portail
d'un gothique tardif à l'extrémité du croisillon nord prolongé,
— l'un, la porte de l'Horloge, l'autre, le portail Saint-Laurent.
La porte de l'Horloge. — Le portail roman s'élève au-dessus
d'un large perron entre l'avancée des deux contreforts du
croisillon. Il est composé de deux portes juxtaposées, en plein
cintre, qui correspondent à la division du transept en deux
nefs. Ses formes et son ornementation marquent une parenté
non douteuse avec d'autres portails d'Alsace : église Saint-
Pierre-et-Saint-Paul à Sigolsheim, église de Kaysersberg, église
Saint-Léger à Guebwiller, et surtout avec le portail nord de
Saint- Pierre -et -Saint -Paul de Neuwiller. Les boudins en
plein cintre de chacun des deux arcs du portail retombent,
dans les ébrasements des deux portes, sur douze colonnes à
chapiteaux de crochets de feuillages, par l'intermédiaire de
hauts tailloirs dont les uns, ceux de l'est et de l'ouest, sont
constitués par des plateaux superposés que séparent des cavets
bien marqués, les autres, ceux du centre, par des cubes de
feuillages légèrement dessinés qui rappellent les chapiteaux
que nous avons déjà vus au portail (extérieur devenu inté-
rieur) de l'autre croisillon. En outre, de chaque côté, deux
colonnes en retour, annelées.
Ce sont ces douze colonnes des ébrasements, arrêtées alors
à la moitié environ de leur hauteur actuelle, qui servaient de
support aux statues des Apôtres disparues pendant la Révo-
lution ; l'un d'eux (celui du milieu dans le groupe de l'ébra-
sement de gauche de la porte de droite)*, tenait à la main une
banderole avec ces mots : a Gratia divinœ pietatis adesto Savinœ
1 . Ces indications sont données par rapport au spectateur ; il en sera ainsi
dans toulo la suite de cette description.
DESCRIPTION ARCHÉOLOGIQUE. 97,
de petra dura per quamsum fada figura )), qui, par la vertu
d'un contresens, a longtemps fait croire que ces douze
statues, et peut-être aussi celles de l'Eglise et de la Syna-
gogue, étaient l'œuvre de la fille d'Erwin de Steinbach :
Savinae de petra dura, Sabine de Pierre-dure, Sabine de Stein-
bach, au lieu de de petra dura per quant sum fada, par qui j'ai
été faite en pierre, par qui j'ai été sculptée. La légende pouvait
être jolie, unissant ainsi, par un lien familial touchant, le
chef-d'œuvre de la statuaire au chef-d'œuvre de l'architecture ;
malheureusement pour elle, l'architecture de la façade occi-
dentale, l'architecture d'Ervvin est postérieure d'un demi-
siècle au moins aux statues du portail latéral sud.
Entre les deux portes du portail, un ensemble entièrement
refait : le roi Salomon, assis, en costume royal, tenant des
IX mains un glaive encore renfermé dans son fourreau;
au-dessous de lui, comme support, les deux mères de la Bible
se disputant l'enfant vivant; au-dessus, entre deux petits
anges, une demi-figure du Christ avec nimbe crucifère,
bénissant de la main droite, tenant le globe de la main
gauche.
De chaque côté du portail, entre les dernières colonnes des
ébrasements et les colonnes annelées en retour, s'élèvent
les statues, justement célèbres, de l'Ancien et du Nouveau
Testament. On sait que ces représentations furent fréquentes
alors : on en rencontre maintes fois le motif sous forme de
ndes statues indépendantes, à Reims, à Paris, à Saint-
•Seurin de Bordeaux, à Worms, à Bamberg, à Fribourg, et aussi
sur des miniatures, des vitraux, dans des détails de sculpture,
comme ces deux petites figures, l'une assise, l'autre affaissée,
au-dessous des plateaux de la balance que tient l'archange-
Saint-Michel du tympan de la porte du Sauveur de la cathé-
9
98 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
drale d'Amiens*. Il serait inutile et même inexact, pour expli-
quer le grand nombre de ces figures, de rappeler comme
Yiollet-le-Duc ^ les persécutions contemporaines contre les
Juifs : des souvenirs peuvent s'en rencontrer ailleurs, dans la
liturgie, la littérature, les représentations scéniques, mais,
pour les types que la statuaire de cette époque nous a trans-
mis, le seul développement du thème religieux sur lequel
s'exerçaient les artistes, suffit à expliquer la quantité et la
qualité de ces représentations : la figuration parallèle des
scènes de l'Ancien et du Nouveau Testament est constante
alors — nous y reviendrons plus loin ^, — le sacrifice d' Abraha m
appelle la Passion du Christ, le salut de Jonas la Résurrec-
tion, l'Ancienne Loi morte la Nouvelle Loi vivante; et si
Fanimosité contre les Juifs avait été la raison de ces représen-
tations de l'Église triomphante en face de la Synagogue
vaincue, on aurait trouvé pour celle-ci quelque aspect mons-
1. Durand (Georges), Monographie de l'église Notre-Dame, cathédrale d'Amiens
(Amiens, Yvert et Tellier, gr. in-A", 1901), t. I, p. 872.
2. Viollet-le-Duc, oiiv. cité, tome V, p. i55 et suiv. ; art. : Eglise personnijîée :
«... Les statues de l'Égilse et de la Synagogue, mises en parallèle et occupant
des places très apparentes, ne se trouvent que dans les villes où il existait, au
moyen âge, des populations juives nombreuses Ces représentations pa-
raissent avoir été faites... pendant la période particulièrement funeste aux
Juifs, celle où ils furent persécutés avec le plus d'énergie en Occident. » Il cite
d'ailleurs Chartres et Reims comme des villes où il y avait peu ou point de Juifs,
et où de pareilles statues n'existent pas. On peut remarquer plus d'une erreur
dans ces diverses afûrmations ; d'abord, les Juifs paraissent avoir été assez
nombreux, à Chartres et à Reims ; ensuite, à Reims ces statues existent, et h
Chartres elles ont existé jusqu'à la Révolution (voir Bulteau, Monographie
de la Cathédrale de Chartres (Chartres, Selleret, 1888, in-8°), t. 11, p. aSo).
Mais, d'autre part, à Troyes, à Metz, où les Juifs étaient nombreux, il ne
semble pas qu'il y ait eu do grandes statues en parallèle de l'Église et de la
Synagogue. (Voir P. Hildenfinger, La Figure ae la Synagogue dans l'art du
moyen dge, dans : Hevae des Études Juives, t. xr.vi, n° 92, avril-juin 1908 ; —
n. Gross, Gallia Judnica, trad. par M. Bloch, Paris, Cerf, 189O, in-S").
3. Voir p. 127, i35, I Ao.
DESCRIPTION ARCHÉOLOGIQUE. 99
trueux, on ne lui aurait pas donné la même grandeur et la
même beauté qu'à l'Eglise.
L'Église et la Synagogue de Strasbourg sont deux admi-
rables types de la statuaire française du xiii' siècle. Elles ne
rappellent que par quelques détails traditionnels (le calice,
la croix, — les yeux voilés) l'Église et la Synagogue qui
figurent dans les célèbres miniatures du Hortus deliciaram '
antérieures de quelques années seulement. Eglise assise sur
une bête à quatre têtes symbolisant les Evangélistes, Syna-
iïogue sur un âne trébuchant, et dont on retrouve le souvenir
dans un tympan du gable, également contemporain-, qui sur-
monte la porte méridionale de la cathédrale de Worms. Elles
n'ont rien non plus de l'agitation sans grâce de l'Église et de
la Synagogue, contemporaines encore ^, qui figurent au porche
septentrional deMagdebourg. Elles sont au contraire très voi-
sines, avec quelques différences de détail, de celles de Paris
(refaites*, aux deux côtés de la porte principale de Notre-
Dame, sur la face des contreforts), de Reims (près de la rose
I. Voir pi. XXXVIII de l'édition du Hortus deliciaram de l'abbesse Her-
RAUE DE L.vsDSBEBG, publiôc par A. Straub et G. Keller (Strasbourg, 1879-
1899, gr. in-fol.). Herrade de Landsberg, abbesse du couvent de Hohen-
burg (en Alsace, sur le mont Sainte-Odile) a laissé sous ce titre le ma-
nuscrit, avec de nomJbreuses Illustrations, d'une sorte d'encyclopédie des
■irinaissances de son temps (2' moitié du xii* siècle). L'original du Horlus
ciaruma péri dans l'incendie de la Bibliothèque municipale de Strasbourg,
lurs du bombardement de 1870. A défaut du texte, im|X)ssible à reconsti-
tuer, la Société pour la Conservation des Monuments historiques d'Alsace
• l.iida, en 1878, de publier les miniatures d'après les calques existants; le
-"in de cette publication fut confié au chanoine Slraub, puis, après la mort
'I'- celui-ci, au chanoine Keller.
>. Milieu du xui» siècle.
3. i30o-ia4o.
'i. Et dans la mesure où, ainsi refaites, elles peuvent servir de terme des
:Qparaison. Noir A. Michel, oui;, cilé, 11, 2, p. 7G2.
Too LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
du transept méridional), de Bamberg aussi (au-dessus du
Portail des Princes), dont la statuaire, plus que toute autre
en Allemagne, appartient, quoique avec des attitudes un peu
contournées et quelque désordre dans les mouvements, à la
tradition française du xii^ et du xiii® siècles.
L'Église est à gauche*, debout, couronnée, les cheveux
ondulant jusqu'aux épaules, tenant dans la main gauche le
calice, appuyé au corps, la croix processionnelle dans la main
droite. Sa robe, serrée à la taille par une ceinture, descend
jusqu'aux pieds en longs plis; un manteau, retenu sur la
poitrine par une agrafe, lui couvre les épaules. Elle
regarde à droite, vers la Synagogue, d'une physionomie
assurée, fîère de la victoire, non sans quelque douceur com-
patissante. Au côté opposé du portail, la Synagogue, les yeux
bandés, la tête penchée, sans couronne, la robe et la ceinture
pareilles à celle de l'Église, mais sans manteau, la lance bri-
sée en quatre tronçons dans le bras droit, la main gauche
retenant difficilement les tables de la loi qui lui échappent :
c'est la Loi vaincue, en face de la Loi triomphante. Dans l'une
et l'autre, même harmonie des lignes, même souplesse du
corps, même grâce, ondoyante et comme transparente, dans
les plis du vêtement, — et même simplicité de moyens : les
corps également droits, mais l'un solidement appuyé sur la
croix, l'autre affaissé, la hampe brisée ne le soutenant plus;
la tête, droite, chez l'une, et qui ne craint pas un regard con-
traire, baissée, chez l'autre, et qui s'accorde avec l'abattement
qu'indiquent les membres las. — L'une et l'autre sont abritées
par des dais (refaits) avec ces inscriptions, postérieures aux
I . Les deux statues qu'on voit actuellement au portail sont des reproduc-
tions. Les originaux sont au musée de l'Œuvre Notre-Dame, presque en face
du portail, de l'autre côté de la Place du Château. Voir p. i8/i.
CATHÉDRALE DE STRASBOURG
UNE NEF LATÉRALE
DESCRIPTION ARCHÉOLOGIQUE. loi
statues, et d'ailleurs refaites aussi : ((Mit Christiblatuberwund
ich dich » (« Par le sang du Christ je triomphe de toi w), pour
l'Église, et : u Dass^tig blut erblendet mich n (« Cest le même
sang qui m'éblouit »), pour la Synagogue; l'une et l'autre re-
posent sur des consoles sculptées, refaites : au-dessous de
l'Église, une femme dans une attitude suppliante ; au-dessous
de la Synagogue, deux enfants nus.
Les tympans des deux portes sont partagés chacun en deux
zones sculptées. Les deux reliefs supérieurs sont anciens, les
deux autres refaits.
Le relief supérieur de la porte de gauche, encadré de
branches de vignes, est le plus célèbre : c'est cette admirable
Mort de la Vierge dont Eugène Delacroix, dit-on, avait fait
faire un moulage qu'il se plaisait, dans ses derniers jours, à
contempler passionnément pendant des heures entières. On
connaît la légende du Christ assistant aux derniers moments
de sa Mère : tous les Apôtres, des lieux où ils prêchaient,
transportés soudain auprès de Marie mourante, puis l'arrivée
de Jésus lui-même. La Vierge, étendue sur un lit à pieds
droits, est couverte d'une vaste draperie qui dessine le
corps. Deux Apôtres soutiennent, l'un la tête, l'autre les pieds
de la Vierge ; les autres Apôtres entourent la couche funèbre ;
au milieu d'eux, Jésus, la tête auréolée d'un nimbe crucifère,
penchée vers la Vierge, fait de la main droite le geste de
bénédiction, et de la main gauche, tient une petite figure
habillée d'une longue robe et les mains jointes, qui, suivant
l'habitude des sculpteurs et des peintres du moyen âge,
représente une âme, ici, l'âme de la Vierge. Au pied du
lit de la Vierge, une femme, prostrée, tend ses regards vers le
visage de la mourante et tord ses mains en un geste de dou-
leur et de supplication. Il y a \h une relation évidente, par la
#
103 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
filière des fresques et des mosaïques byzantines, sans doute,
avec les modèles classiques : on constate, dans la draperie, au
lieu du système gothique, une imitation très nette de l'anti-
quité; dans les visages, une beauté grave, émue, douloureuse,
un peu de manière dans certains détails d'attitude ; un grou-
pement très habile, les regards de tous et comme leurs pen-
sées dirigées harmonieusement vers la figure centrale de la
Mère expirante, tout un mouvement pittoresque qu'on ne
trouve pas au tableau analogue du tympan de la porte de la
Vierge de Notre-Dame de Paris,
L'autre relief supérieur, celui de droite, encadré de petites
roses, est traité dans le même style (^beaucoup de morceaux re-
faits). C'est le Couronnement delà Vierge. La Vierge est assise
sur le même banc que Jésus; Jésus lui impose la couronne, et
bénit ; les mains de la Vierge font un geste d'humilité. De cha-
que côté, un ange debout, penché vers le groupe, élève vers lui
l'encensoir. Tandis que les deux anges rappellent un peu ceux
deLaon, le Christ et la Vierge rappellent précisément ceux de
Paris (au même tympan de la Porte de la \ ierge) et de Chartres
(au tympan central du portail septentrional) : les attitudes
sont très voisines, quoique la position réciproque des deux
personnages diffère, la Vierge étant à la gauche du Christ, au
tympan de Strasbourg, à sa droite dans ceux de Paris et de
Chartres * .
Les deux reliefs inférieurs, refaits, et sans intérêt, re-
présentent, celui de gauche, les Apôtres conduisant au
sépulcre le corps de la Vierge; celui de droite, l'Assomption.
I. On voit, à Strasbourg même, rapporté dans un mur à l'intérieur du
temple Saint-Thomas, un saint Thomas touchant les plaies du Christ, de
même dimension, de même forme et de même style que la Mort et le Cou-
ronnement de la Vierge de la cathédrale.
DESCRIPTION ARCHÉOLOGIQUE io3
Au-dessus de la légère corniche qui passe par-dessus le
portail, quatre fenêtres s'ouvrent, deux de chaque côté, cor-
respondant ainsi aux deux portes du portail, — fenêtres en
tiers point, dont les arcs reposent sur trois colonnes pour deux
fenêtres. Le large espace qui sépare les deux paires de fenêtres,
au milieu de la façade, est occupé par une Vierge debout
(moderne), son Fils dans les bras, entre deux saints plus
petits, l'un, qui lit dans un livre, l'autre, saint Laurent,
enant le gril. Cette Vierge remplace ici celle qui, primitive-
ment placée (1439) au sommet de la flèche, en avait été des-
cendue en 1488 et qui fut sans doute détruite pendant la
Révolution. Sur le dais qui abrite la \ierge repose le cadran
de l'horloge, de forme carrée; aux angles, de petits génies,
et des dates : MDXXXIII, 1672, i6o3, 1669.
Au troisième étage, dans l'espace entre les deux balus-
trades de la fin du xv^ siècle qui le limitent, deux arcs brisés
encadrent les deux grandes fenêtres rondes avec leur couronne
double de petits cercles autour d'un oculus central à huit
lobes, que nous avons vues déjà de l'intérieur du transept ^.
Au centre de la balustrade inférieure, une curieuse fisrure
.sculptée, un vieillard en costume du tempti (fin du xv* siècle),
la tète et le haut du corps penchés au-dessus d'un cadran so-
laire. Entre les deux fenêtres, juste au-dessous de la balus-
trade supérieure, un saint évêque, Arbogast, de grande
dimension, qui prolonge et achève la ligne médiane com-
mencée à l'étage inférieur par le roi Salomon, continuée à
l'étage intermédiaire par la Vierge debout et le cadran de
l'horloge.
Enfin, au-dessus de la dernière balustrade, un fronton
I Même fenêtre ronde avec oculus central et couronne do petits cercle»,
au-desaus de la porte du temple Saint-Thomas.
io4 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
triangulaire (avec un cadran solaire encore) entre deux pignons
octogonaux surmontés de fleurs en croix qui se terminent par
des fleurons.
L'ensemble de cette façade est limité par les deux solides
contreforts du croisillon, qui aboutissent également, en haut,
à ces pignons. Au pied du contrefort de gauche (ouest),
s'élève la statue de Sabine; au pied de celui de droite (est), la
statue d'Erwin; toutes les deux sont des œuvres modernes, de
Grass. Sur ce dernier contrefort est gravée une inscription qui
date de la fin du xiii" siècle : « Dis ist die Maze des Ueberhanges » ,
(( Ceci est la mesure de la saillie », et qui indiquait une sorte
de mesure-étalon à observer pour ne pas faire surplomber
exagérément les étages des constructions nouvelles de la ville.
Au contrefort de gauche, sous un fronton qui est soutenu par
deux colonnes et dont l'extrême fleuron est surmonté d'un
chien accroupi, on voit un personnage debout, jeune, vêtu
d'une longue robe et tenant un cadran solaire.
Le portail Saint-Laurent. — Le portail du croisillon nord
est celui qui fut ajouté à la fin du xv" siècle et qui est connu
sous le nom de portail Saint-Laurent. Au-dessus d'une porte
carrée où se dessinent sur les montants des ornements de la
Renaissance et que flanquent deux minces colonnes à chapi-
teaux finement ouvragés, un haut et large dais s'élève,
saillant en demi-cercle, composé d'arcs entrelacés et découpés
à jour, avec des gables surmontés de fleurons. Sous le dais,
un groupe (refait par Vallastre) de quatre personnages, re-
présentant le martyre de Saint-Laurent : le saint à demi
étendu sur le gril; l'un de ses bourreaux lui tient les
iambcs, le deuxième le prend par les épaules, le troisième
lU
CD
Ql
>
i
DESCRIPTION ARCHÉOLOGIQUE. lo»
attise le feu. Au-dessus, dans le dais même, et à demi caché,
un Christ également refait.
De chaque côté de la baie, cinq statues, du xv^ siècle.
D'abord, sur des socles, à gauche et à droite du portail, et
plus grandes que les suivantes, une statue de la Vierge et une
statue de saint Laurent : la Vierge, debout, avec de longs
cheveux, la couronne fermée sur la tête, le globe dans la
main droite, dans le bras gauche l'Enfant, nu, assis, et qui
tend les bras aux figures voisines; saint Laurent, couvert
d'une longue chasuble, tête nue, la chevelure épaisse et
bouclée, les yeux penchés vers un livre qu'il tient dans la
main droite. Les huit autres statues sont disposées, par
groupes de quatre, sur deux piliers, à droite et à gauche des
deux précédentes, dans des niches surmontées de dais très
allongés. Elles représentent, à gauche : un personnage im-
berbe, coiffé d'une toque, botté, les deux mains appuyées sur
un bâton, — peut-être un des bergers de Bethléem, ou quel-
qu'un delà suite des rois Mages; — puis, les trois rois : l'un,
imberbe, lippu, face de nègre, vêtements serrés au corps, sou-
levant sa toque de la main droite, tenant un vase de la main
gauche, un collier avec une médaille lui descendant jusqu'au
milieu de la poitrine, un chien à ses pieds; le deuxième,
barbu, couronné, couvert d'un long manteau, portant un
coffret dans ses mains; le dernier, tête nue, s'inclinant vers
la Vierge et l'Enfant, leur présentant un vase en forme de
ciboire; — adroite: un pape, coiffé de la tiare, tient un
livre et la croix; puis, deux hommes, sans signes distinc-
iifs, l'un imberbe, l'autre barbu, tous deux habillés do
longues robes ; enfin, un guerrier, les deux mains appuyées
sur la garde d'une énorme épée. Statues contemporaines
du portail qu'elles décorent, plus curieuses que belles.
io6 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
avec des ondulations et des replis d'étoffes trop majestueux
qui leur donnent quelque chose de factice, avec des re-
cherches d'expression et d'altitude qui en soulignent le
maniérisme.
De chaque côté du portail, au delà des groupes de statues,
une fenêtre couronnée d'arceaux en accolades, qui se ter-
minent par des flèches chargées de larges fleurons, comme
ceux qui surmontent les arcs en accolade du dais central
au-dessus du martyre de saint Laurent et la pointe des dais
allongés qui abritent les statues latérales.
Au-dessus de ce portail et en arrière, au delà de la balus-
trade flamboyante qui le couronne, on aperçoit le deuxième
étage du mur roman du transept, percé de deux fenêtres
flanquées de petites colonnes et qui se terminent en tiers
point. Plus haut, et séparées de ces fenêtres par une corniche,
deux roses encadrées de feuillages autour de leurs moitiés
supérieures ; ce sont ces roses que nous avons déjà remarquées
de l'intérieur du croisillon : un compartiment central à six
lobes autour duquel viennent s'appuyer en rayons six colon-
nettes assez fortes et, dans leurs intervalles, six autres plus
minces ; une moulure ondulée en douze arcs cintrés relie les
autres extrémités des douze colonncttes et dessine la circonfé-
rence extérieure des deux roses. A la hauteur de leur bord
supérieur viennent s'appuyer les deux contreforts entre les-
quels se développe toute la façade de ce croisillon, comme au
côté sud.
Le troisième étage — celui des roses — est surmonté d'une
galerie byzantine comme elles, formée de treize arcs cintres
reposant sur des colonnettes; puis, d'un pignon triangulaire,
où court, le long des rampants, une arcature étagée, et qu'un
œil-de-bœuf perce au milieu, encadré autour de sa moitié
DESCRIPTION ARCHÉOLOGIQUE. 107
supérieure et contenant un quatrefeuilles. De chaque côté du
pignon, achevant les deux contreforts, deux gros clochetons
gothiques à crochets et à fleurons.
III
LA NEF ET LES BAS-COTÉS
La nef. — Commencée au milieu du xiii' siècle, la con-
struction de la nef s'est achevée par la clôture des voûtes en
1275. L'incendie de 1298 a-t-il laissé la nef intacte? l'a-t-il
au contraire détruite, en tout ou en partie? On a vu tout à
l'heure (p. 19) que la question avait été souvent et longuement
discutée, et que cette partie de l'œuvre ne dut probablement rien
à Erwin. Sans doute le maître pourrait avoir profité de la
destruction partielle pour réparer et modifier à la fois, pour
surélever la nef, et faire en sorte qu'elle dépassât le chœur :
le vaste tympan (où Steinheil en 1877 a peint le Jugement
dernier), qui joint l'arc de la croisée du côté de la nef à
la voûte de cette nef, donne la mesure de cette différence de
hauteur : environ sept mètres. On vanta même maintes fois
Erwin pour n'avoir pas poussé la construction plus haut
encore : tandis qu'à Reims, à Amiens, à Cologne, la hauteur
des voûtes est égale à trois fois au moins la largeur de la nef,
elle n'est ici que du double. Ce goût des harmonieuses
proportions lui venait, disent les uns, d'une maîtrise de soi
très germanique et qui le rendait défiant à l'égard des audaces
exagérées du gothique français; plus simplement, disent les
autres, de ce qu'il ne pouvait pas aller plus haut à cause des
constructions antérieures et sous peine d'enfermer dans la nef
io8 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
des parties extérieures de l'ancienne tour du chœur : du
moins l'a-t-on pensé sur la foi de trois modillons qui subsis-
tèrent longtemps au haut du tympan de l'actuel Juge-
ment dernier — Mais maintenant qu'on croit que l'in-
cendie de 1298 n'endommagea pas profondément la voûte et
qu'il n'y eut que des réparations de détail, on n'a pas de rai-
son pour attribuer à Erwin le mérite de conceptions harmo-
nieuses qui doivent être antérieures à lui. La nef a dû être ce
qu'elle est, d'un premier jet, et sans que le génie d'Erwin
s'y soit employé à aucune transformation. Mais, de ce
qu'Erwin n'a pas eu le mérite de cette œuvre, il ne s'ensuit
pas que la beauté n'en soit due qu'au hasard, à la possibilité
ou à l'impossibilité de faire concorder ensemble des construc-
tions anciennes et des conceptions nouvelles. La largeur des
bas-côtés égale à la moitié de la longueur des croisillons,
l'entre-colonnement égal à la moitié de la largeur de la nef,
enfin, pour ce qui est de la hauteur même des voûtes, ce
fait que le sommet d'un triangle équilatéral qui aurait pour
base la largeur totale de la nef et des bas-côtés réunis, coïn-
ciderait exactement avec la clé de voûte * : tout cela semble
prouver que le maître, quel qu'il fût, obéit à une idée direc-
trice et non à une contrainte.
La nef se compose de sept travées (nous n'y comprenons
pas le narthcx) voûtées sur croisées d'ogives simples. Les fortes
nervures des voûtes, de pur style gothique, se croisent sur des
clés ornées de feuillages et de têtes ; dans la travée du centre,
sur un oculus de grand diamètre.
Les piles rappellent exactement celles de la basilique de
Saint-Denis. Elles sont quadrangulaires, posées diagonalc-
I. Voir Deiiio, ouv. cité, p. 17^-G. ^
DESCRIPTION ARCHÉOLOGIQUE. 109
ment et constituées par des colonnes en faisceau : seize co-
lonnes engagées, les plus fortes aux angles, les plus minces
encadrant les plus fortes, les quatre moyennes au milieu des
côtés du rectangle. Dans chaque pile, le groupe des cinq co-
lonnes qui regardent vers la nef s'élève directement du sol à
la voûte et reçoit sur d'élégants chapiteaux à feuillages la
retombée des arcs de la voûte centrale. Puis, de chaque côté
de ce premier groupe, quatre colonnes de l'angle est et quatre
colonnes de l'angle ouest reçoivent la retombée des arcades
en tiers-point entre la nef et les bas-côtés. Enfin, les trois
colonnes restantes, formant l'angle vers le bas-côté, reçoivent ,
l'une, l'arc doubleau à double boudin qui sépare les travées
du bas-côté, chacune des deux autres les arcs ogifs qui sou-
tiennent ces travées.
Dans cette retombée d'arcs, quatre présentent déjà ce
profil de cylindre aminci et dont l'arête se coupe par un
méplat, — que nous avons vu apparaître tout à l'heure
au croisillon nord et que nous retrouverons aux piliers de la
tour, se développant à mesure qu'on avance dans la cons-
truction.
Les chapiteaux des colonnes nous font voir, pour la pre-
mière fois dans la cathédrale de Strasbourg, la rupture com-
plète avec la tradition antique; on n'y retrouve presque plus,
comme à ceux du transept encore, le souvenir d'autrefois dans
la feuille stylisée s'enroulant en crochets sous les angles du
tailloir; ici, le feuillage, sur deux rangées, garnit également
tout le tour du chapiteau, feuillage vivant, emprunté à la
flore locale, de moins en moins stylisé à mesure qu'on
s'éloigne du chœur vers le porche, de plus en plus voisin de
la nature, jusqu'à sembler parfois obéir au souffle du vent.
Les tailloirs sont de moyenne hauteur, tantôt quadrangulaires.
lïo LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
tantôt abattus aux coins de façon à présenter huit angles
Les bases des colonnes laissent voir des scoties étroites ; elle
portent sur des socles quadrangulaires qu'elles dépassent e
où des fleurettes simples, en légères consoles triangulaires, vien
nent les soutenir, — sculptures plus fouillées, avec des motif
humains, dans le premier pilier (le plus voisin du chœur), —
et qui disparaissent avec leur raison d'être dans le dernier
lorsque les bases des colonnes, étant de construction ulté-
rieure, ne dépassent plus leurs socles.
Ce dernier pilier — ou, plus proprement, ces deux pilier
(l'un au nord, l'autre au sud) sont ceux qui supportent le
tours. Ils révèlent la jonction, en ce point, des sept travées d(
la nef avec le narthex, de la cathédrale des siècles antérieur
avec la façade nouvelle d'Erwin. Ils présentent la form<
d'hexagones allongés, dont les colonnes engagées, à l'est et i
l'ouest, supportent, comme celles des autres piliers, la retom
bée des arcades latérales. Mais, entre ces deux groupes, 1<
massif du pilier s'élève, du côté de la nef, jusqu'à la voût(
du narthex, qui dépasse la hauteur de la nef comme cclle-c
dépassait la hauteur du chœur, et en laissant également ur
tympan découvert. Il y est accompagné, de chaque côté, pai
deux colonnes en profil de cylindre aminci, et par quatn
colonnes rondes. Même système vers les bas-côtés pour sup
porter l'arc doubleau et les arcs ogifs de ces bas-côtés.
Au-dessus des grands arcs qui séparent la nef des bas-côtés
s'étend le triforium. A chacune des travées correspond, di
côté de la nef, une série de quatre arcs en tiers-point, subdi-
visés eux-mêmes en deux arcs secondaires trèfles; entre h
tiers-point et les arcs trèfles, le tympan ajouré dessine quatr
lobes. Du côté des voûtes des collatéraux, il est fermé pa
une clôture en pierre, ajourée de fenêtres à lancettes et d«
DESCRIPTION ARCHÉOLOGIQUE. m
rosaces, formant une verrière continue : disposition légère,
hardie et lumineuse, qu'on ne rencontre que depuis i2 25-
1280 et que le maître ne peut avoir prise qu'à Saint-Denis.
De chaque côté, dans la dernière travée, le mur est plein et
décoré de fausses arcades.
Une frise de feuillage court sur les sommets des arcs des baies
ouvertes du côté de la nef; puis commencent, juste au-dessus,
les hautes fenêtres, allongées en tiers-point, quatre par travée
également ; l'arc brisé qui les réunit deux par deux encadre
une rosace à quatre lobes ; au-dessus des deux rosaces à quatre
lobes, une rosace à six lobes les réunit, et domine le fenes-
trage, immédiatement sous le grand arc formeret de la travée.
Ici encore, la ressemblance avec Saint-Denis est frappante :
d'abord, le meneau principal est doublé, ce qui est rare dans
les fenêtres à quatre parties, et se rencontre à Strasbourg
comme à Saint-Denis; ensuite, dans les deux édifices, il y
a une liaison intime entre les baies du triforium et les
hautes fenêtres de l'étage supérieur : toutefois, tandis qu'à
Saint-Denis le meneau principal double des hautes fenêtres se
continue sans arrêt, divise les baies du triforium comme il a
divisé les fenêtres et descend appuyer directement sa base sur
l'appui même du triforium, à Strasbourg ce meneau ne des-
cend des fenêtres au triforium qu'en s'arrêtant au plafond du
triforium pour reprendre un peu plus bas. La liaison n'en
reste pas moins étroite du triforium aux fenêtres, et il ne
resterait plus, pour faire des deux étages comme un réseau
unique sans solution apparente de continuité, qu'à ajourer
les écoinçons inscrits entre l'appui des fenêtres et les arcs du
triforium, ainsi que l'architecture contemporaine en offre
quelques exemples.
Aux colonncttes des fenêtres et du triforium, les tailloirs
lia LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
manquent complètement : les chapiteaux sont comme de
simples renflements, en feuillages joliment sculptés. Quelques-
uns des chapiteaux du triforium offrent des particularités
curieuses, des personnages humains, avec ou sans rappel de
souvenirs religieux : au triforium du nord, une batterie dans
les vignes, ou bien deux femmes nues se cachant des regards
d'un homme; au triforium du sud, Adam et Eve chassés du
paradis, et aussi un remarquable retour au système de l'or-
nementation romane : un groupe de lézards plus ou moins
fantastiques accolés au chapiteau. C'est là aussi peut-être,
décorant un ou deux de ces chapiteaux*, que se trouvait
représentée la célèbre procession animale que Fischart repro-
duisit sur bois au xvi^ siècle ^, et qui a soulevé plus d'un incident
comme plus d'une controverse : le renard porté au tombeau,
«ur une civière, par le cochon et le bouc, le cerf disant la messe,
l'âne lisant l'Évangile, et, en tête du cortège, l'ours avec le
goupillon et l'eau bénite, le loup avec la croix, le lièvre
avec un cierge. Était-ce simplement une illustration du roman
du Renard qu'on aurait sculptée ici dès le xiii" siècle ? Peut-
être, — mais non sans intention satirique. A vrai dire, étant
donnée la place que ce chapiteau occupait, bien en vue, près
de la chaire et près du chœur, il est probable qu'on doit lui
I. Ou peut-être d'une des colonnes de la nef? L'emplacement n'a jamais
été déterminé avec précision (voir Schad, p. 67; Grandidier, p. 2G4 ; Kraus,
p. /17/j et 478; Meykr-Ai-tona, p. GG); dans le voisinage du chœur, certaine-
ment, et visible de la chaire, — mais de quelle chaire? de l'ancienne, qui se
trouvait dans le croisillon nord? ou de la nouvelle, construite dans la nef par
Hammerer?
2. « En y ajoutant des vers, dit Grandidier, qui en donnent une explica-
tion également cynique et impertinente ». L'ouvrage de Fischart, im-
primé à Strasbourg en 1G08, après sa mort, s'appelait : « Thierfabel mil
D. Johann Fischarls, genannt Mentzer, Erklerunç) und Aixslegung einer von
verschiedenllichen zahmen und vnlden Thieren haltenden Mess, n
o
O
m
<
a:
h-
co
LU
û
LU
<
OU
a
I
<
o
DESCRIPTION ARCHÉOLOGIQUE. ii3
attribuer moins le sens d'une moquerie contre les mystères
et les pratiques les plus saintes de la religion, que celui d'une
leçon pour les prêtres ignorants et sans foi; ingénieusement,
à ce propos, on a rappelé que Philippe le Bel faisait jouer la
Procession du Renard par ironie pour le pape Boniface, et
rapproché du chapiteau de Strasbourg une inscription de
l'ancienne abbaye de Laach (Prusse rhénane) : dans un chapiteau
également, sur le phylactère tenu par un diable, les mots :
(( Peccata romana » . Toujours est-il — qu'il s'agît d'une parodie
des mauvais prêtres, de la curie romaine ou du culte même —
que ces sculptures ne furent détruites qu'après la reprise de
possession de l'église par les catholiques : un tailleur de pierre
les racla, en i685, pour « anéantir cet opprobre de la reli-
gion )) * .
Le triforium offre encore à l'ornementation d'autres sur-
faces que les minces chapiteaux de ses colonnettes : dans les
triangles renversés que forment les arcs de deux baies succes-
sives avec l'appui des fenêtres supérieures et que divise en
I. Quarante ans plus tard, en 1728, quelques exemplaires de la gravure de
Fischart qui représentait les sculptures alors détruites, ayant été trouvés chez
un libraire luthérien de la ville, Jean-Pierre Tschernein, celui-ci fut dénoncé
au cardinal Armand-Gaston de Rohan, évêque de Strasbourg, qui envoya une
des estampes à Versailles et demanda justice. Traduit devant le Grand-Sénat
de Strasbourg, le malheureux libraire eut beau protester qu'il les vendait
« sans le moindre mépris ni malice pour la religion catholique », le réqui-
sitoire insista sur le fait que « le débit s'est fait le lendemain même de la
procession de la Fêle-Dieu, dont l'auguste solennité et magnificence choque
les esprits faibles parmi les luthériens » ; Tschernein fut condamné à faire
amende honorable, devant la porte principale de la cathédrale, « nu, en che-
mise, la corde au col, tenant en main une torche do cire ardente du poids de
deux livres », il fut « banni à perpétuité de la ville » et a lesdites estampes
brûlées par les mains du bourreau ». (Voir : Le Bibliographe alsacien, publié
par Ch. Mebl, Strasbourg, i8G3, in-8": — Ghaiipfleurt, Histoire de la cari-
cature au moyen d(je, 2* édit., Paris, Dentu, [1875], in-ia; — Reiber (Perd.),
Fac-similé d'une gravure du XVI* siècle, tiré à petit nombre. Strasbourg, i8qo.)
10.
ii4 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
deux le prolongement du meneau entre les deux baies, des
motifs sont sculptés, d'un relief d'autant plus vigoureux
qu'ils sont destinés à être vus de plus bas : ainsi, des chiens,
des monstres, des dragons ailés, un ange avec une couronne et
une inscription, une sainte Cécile, un saint Yalérien.
Les bas-côtés. — Les bas-côtés ont une largeur de huit
mètres. Ils sont voûtés sur des croisées d'ogives, dont les clés en
feuillages sont (sauf celles des première, deuxième et qua-
trième travées du bas-côté sud) ornées de tètes sur la face occi-
dentale. Les demi-piliers qui, aux murs, soutiennent les voûtes,
sont composés de cinq colonnes, dont les chapiteaux de feuil-
lages et les bases à scoties étroites sont pareils à ceux des co-
lonnes de la nef principale. Une de ces colonnes, la plus forte,
s'élève directement jusqu'à la voûte, où elle porte la retombée
de l'arc doubleau ; les deux qui la flanquent immédiatement
à droite et à gauche et qui reçoivent les arcs ogifs, semblent
traverser le sol du chemin de ronde dont nous parlerons plus
loin; les deux dernières, où s'appuient les formerets des
fenêtres, arrêtent leurs bases au sol de cette galerie de circu-
lation.
Tout au long des bas-côtés, à partir de la troisième travée
— la partie du mur correspondant aux deux premières ayant
été percée par l'ouverture des chapelles Saint-Martin et Sainte-
Catherine — , s'étend, comme à Trêves et à Reims, une arca-
iure aveugle : sept arcades par travée, plus, de chaque côté,
une demi-arcade qui amorce, par derrière les piliers, celles des
travées précédente et suivante. Comme la partie supérieure
du mur est en surplomb jusqu'au-dessous des chapiteaux, les
arcs sont, si je puis dire, plus aveuglés que l'espace entre les
colonnes qui les supportent, — et qui laissent, entre elles et
DESCRIPTION ARCHÉOLOGIQUE. n5
le mur, un étroit passage. Les chapiteaux et les bases de ces
colonnes sont du même style qu'aux autres colonnes des nefs.
Les arcs sont en tiers-point, encadrant un arc tréflé. Dans
le triangle que forme, au-dessous du chemin de ronde, avec
le rebord du chemin comme base, l'angle de jonction de deux
arcs successifs, s'inscrit un petit cercle, et, dans le petit cercle,
un trèfle, avec des motifs sculptés. Ces reliefs sont très va-
riés* : hommes, bêtes et monstres, symboles et réalités, illus-
trations de fables contemporaines, comme celle du renard, ou
rappel par l'image de traditions chrétiennes : un diable assis sur
un homme, l'agneau pascal avec la croix, un singe mangeant
des cerises, un personnage (Dieu?) tenant un globe dans ses
mains (arcature du bas-côté sud), une tête ornée de pampre,
un loup auquel une cigogne enfonce son bec dans le gosier
(arcature du bas-côté nord) ; parfois le tableau se continue
au delà du petit cercle, jusque dans les angles du triangle, par
des motifs qui se rapportent au sujet central : ainsi, le Christ
entre deux anges avec leurs encensoirs; ainsi encore, une
scène de chasse, les chasseurs dans le cercle du milieu, les
chiens dans un des coins, un sanglier dans l'autre.
Ces cercles et ces motifs sculptés n'existent pas dans les
arcades de la troisième travée (on se rappelle que l'arcature
ne commence qu'à cette troisième travée, les deux premières
étant remplacées par l'ouverture des chapelles latérales) dont
les formes généralement plus simples indiquent, pour celle
du nord comme pour celle du sud, une époque plus an-
cienne.
Au-dessus des arcatures, traversant les piliers contre le
mur extérieur, un chemin de ronde qui, lui aussi, rappelle
I. Voir Meyer-Ai.to:<a, ouv. cité, p. Bg. Cette intéressante étude nous aélé
très utile pour la nomenclature et la description des sculptures.
n6 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
Saint-Denis et l'école champenoise : c'est une disposition rare,
et qui s'ajoute aux autres ressemblances précédemment rap-
pelées pour faire croire que le maître de Strasbourg a dû con-
naître, à Saint-Denis, la réfection de i23o*.
Enfin, un peu au-dessus du chemin de ronde s'arrête la
base des fenêtres des bas-côtés : moins hautes que celles de la
nef, d'ailleurs pareilles à celles-ci, divisées également en
quatre panneaux, le meneau principal étant double, avec
trois rosaces, deux à quatre lobes, une à six.
Dans le bas-côté sud, à la hauteur de la chapelle Sainte-
Catherine dont nous allons parler, s'ouvrait, depuis les temps
les plus lointains, un puits célèbre, où la tradition voulait
que les druides eussent déjà puisé pour leurs ablutions, avant
la construction de tout temple et de toute église en ce lieu ; saint
Rémi l'aurait ensuite bénit, et depuis, pendant six cents ans,
les curés de la ville et des environs se servirent de cette eau
pour les baptêmes. On aimait à faire croire aux petits enfants
de Strasbourg qu'ils étaient venus au monde dans ce puits,
appelé pojDulairement Kindelsbrannen. Sur trois des faces de la
margelle hexagonale qui l'entourait, depuis le xiv'' siècle sans
doute, trois piles s'élevaient, se réunissant au centre de l'hexa-
gone par trois linteaux richement décorés et soutenant la
poulie à leur point de jonction^. Le puits a été fermé en 1766
1. Voir ; G. Dehio^ Influence de l'Art français sur l'Art allemand 'aa
XIII* siècle, trad. par Bertaux, dans : Revue archéologique, igoo ; —
H. Stein, Pierre de Monlereau, archilecte de l'église abbatiale de Saint-Denis.
dans : Mémoires de la Société des Antiquaires de France, t. LXI, igoa; —
P. ViTRY et G. Brièiie, L'Église abbatiale de Saint-Denis et ses Tombeaux, Paris,
D.-A. Longuet, 1908, in-iG.
2. VioLLET-LE-Duc, ouv. cHc , t. VII, p. 5G3, art. : Puits.
<
I-
a:
O
Q.
Q
z
<
a:
O
Q
Z
<
CL
>-
I-
DESCRIPTION ARCHÉOLOGIQUE. 117
et mis au niveau du pavé. Mais il alimente toujours par des
conduites d'eau la petite fontaine voisine, à l'extérieur du
bas-côté, dont se sert l'atelier des tailleurs de pierre.
Les chapelles Sainte-Catherine et Saint-Martin
(aujourd'hui : Saint-Laurent). — Deux chapelles laté-
rales s'ouvrent sur les bas-côtés.
Le mur de la première et de la deuxième travée, au sud^
est percé de six hautes baies étroites qui s'élèvent presque
jusqu'à la voûte : derrière ces baies, dans l'angle du bas-
côté avec le transept méridional, s'étend la chapelle Sainte-
Catherine (ou de la Croix). C'est une construction oblongue,
ajoutée à l'édifice en i33i-i349. Les deux carrés qui la com-
posent sont couverts chacun (ces voûtes sont une réfection
de 1 542-1 547) d'un réseau de lignes courbes flamboyantes,
à fond étoile de peinture toute moderne. Au milieu de ces
circonvolutions, deux clés de voûte : l'une, celle de la voûte
d'avant, montre la marque d'un maître de l'œuvre dans un
•'cusson ; l'autre présente simplement la forme d'un oculus do
grande dimension. Six longues fenêtres à vitraux éclairent la
chapelle au sud. — Aux piédroits des longues baies par où la
chapelle communique avec les bas-côtés s'élèvent cinq statues :
un saint Florent moderne (remplaçant un ancien détruit), les
autres, anciennes, mais sans grand intérêt : sainte Catherine
tenant de la main gauche la roue symbolique de celle qui se
brisa au lieu de la supplicier, un saint Jean et un saint
Paul sans expression, une sainte Elisabeth à laquelle le
dessin net et gracieux de son visage, l'élégance des plis de son
manteau donnent peut-être un attrait qui manque à ses com-
pagnons. Ces statues semblent avoir été peintes : celle de
sainte Catherine porte, elle encore, des traces de couleurs sur
ii8 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
le vêtement. Au milieu de la cinquième baie, se dresse un
grand Christ du xviii* siècle. — Au mur du sud, dans une
niche, sous la dernière fenêtre, un bas-relief de la Mort de la
Vierge, justement célèbre, rappelle la mémoire de Conrad
Bock et de sa femme Marguerite Beger. De chaque côté, dans
le cadre de la niche, un ange porteur de flambeau; et, en
dehors, les donateurs à genoux. x\u-dessous, l'inscription (en
abrégé, selon l'usage) : « Anno Domini M CCCC LXXX obiit
Conrad Bok armiger. Orale pro eo ».
La chapelle Saint-Martin (aujourd'hui : Saint-Laurent) cor-
respond, au nord, à la chapelle Sainte-Catherine : elle a été
construite, près de deux siècles après la première, dans l'angle
du bas-côté avec le croisillon nord(i5i5-i52o). Sa voûte est un
réseau de losanges, dont les nervures sont peintes de couleurs
vives. Au milieu de la deuxième travée près de l'autel, la clé
est en forme d'oculus; les sept autres en forme d'écussons
contiennent des figures de saints. Toutes les retombées se font
— au mur du nord, entre les vitraux, comme du côté des baies
par où la chapelle communique avec l'église — sur des dais
abritant des statues modernes. Seul le pilier du milieu, du côté
extérieur, n'en a pas. — La chapelle Saint-Laurent contient
plusieurs épitaphes d'évêques (le caveau des évêques de Stras-
bourg est situé au-dessous de cette chapelle), et, en lettres
d'or sur fond de marbre noir, celle du premier gouverneur
de la ville nommé par Louis XIV, Charles Saint- André Mar-
nais de la Bâtie.
L'extérieur des bas-côtés. — Par-dessus la longue ga-
lerie ajourée en style ogival qui, depuis 1778, s'étend au rez-
de-chaussée, de l'angle occidental des tours jusqu'aux por-
tails des croisillons, on aperçoit l'appareil des contreforts.
DESCRIPTION ARCHÉOLOGIQUE. 119
Arcs-boulants simples (contrairement à ceux de Saint-Denis),
de neuf mètres d'envergure, percés, près de la tête, d'un qua-
drilobe, et reposant de ce côté sur une légère colonne ronde,
libre ; contreforts puissants, lourds peut-être si on les com-
pare aux autres parties de l'arcbitecture. A chaque retombée
des voûtes correspond un arc-boutant et un contrefort. Au-
dessus des fenêtres basses comme des fenêtres hautes, courent
une frise feuillagée et une balustrade découpée. Sur les travées
des bas-côtés s'ouvrent de petites lucarnes, du style de la
Renaissance.
Au point d'appui des arcs-boutants sur les contreforts,
deux clochetons à crochets s'étagent l'un au-dessus de l'autre;
les clochetons inférieurs abritent chacun trois statues sous
trois niches, une au milieu, les deux autres en retour. La
plupart des statues sont nouvelles ou renouvelées; le pre-
mier contrefort de l'est (côté sud) a gardé ses trois statues
anciennes, trois personnages, l'un avec sa canne à corbin,
l'autre comptant sur ses doigts, le troisième est un prêtre avec
son encensoir; la sainte Marguerite, avec la croix, la palme
et le dragon, qu'on voit au deuxième contrefort de l'est
(côté sud), est une reproduction qui remplace, à cet endroit
même, une statue ancienne conservée à la Maison de l'Œuvre.
— Un peu au-dessous de ces clochetons, à la hauteur de la
corniche qui passe sur les sommets des fenêtres basses, de
petits pignons triangulaires s'élèvent, au sommet desquels,
sur des fleurons de pierre, sont accroupies d'élégantes formes
d'animaux. Beaucoup sont refaites, il est vrai. De même,
beaucoup de restaurations dans les gargouilles qui ornent la
base des clochetons inférieurs et celle des pignons triangulaires :
types d'animaux, empruntés à la nature (un bouc, un che-
val, un âne, un cerf, sur les deux piliers de l'est, au nord et
«30 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
au sud) ou déformés par l'imagination, comme ce squelette
de tête animale greffé sur des pattes de lion, qu'on voit sur
un des contreforts de l'ouest. La plus ancienne des gargouilles,
et la plus grande en même temps (i^So de longueur), est
difficilement visible aujourd'hui : c'est un lion, très stylisé,
-qui déversait au pied du dernier contrefort de l'est les eaux
du toit du bas-côté nord, et que l'édification ultérieure de la
chapelle Saint-Martin a destitué de son emploi; il est main-
►tenant en partie encastré dans le toit de cette chapelle.
Le bas-côté sud, un peu avant la chapelle Sainte-Catherine,
.s'ouvre par une porte qui, à l'extérieur, présente un grand
arc en tiers-point retombant jusqu'au sol, sans chapiteaux,
et contournant un arc tréflé : c'est la porte dite des Tailleurs-
'de-Pierre, parce que leur atelier est installé entre les contre-
forts voisins et qu'elle leur donne une entrée directe dans la
cathédrale.
L'addition des deux chapelles Sainte-Catherine et Saint-
Martin aux XIV® et xvi* siècles a absorbé les deux premiers
contreforts de la nef. Chacune d'elles, étant en saillie sur le
bas-côté, et s' appuyant, à l'est, sur le mur du croisillon cor-
respondant, s'appuie, à l'ouest, sur le deuxième contrefort de
la nef; quant au premier, il pénètre complètement dans la
-construction oblongue de la chapelle et en marque la division
en deux carrés. Les hautes baies lancéolées des chapelles sont
séparées elles-mêmes par des contreforts décorés de clochetons.
— La galerie ogivale du rez-de-chaussée épouse la saillie que
forment les deux chapelles sur les bas-côtés et les accompagne
jusqu'aux portails latéraux.
DESCRIPTION ARCHÉOLOGIQUE.
lai
IV
LE NARTHEX ET LA FAÇADE OCCIDENTALE. — LES TOURS. — LA FLÈCHE
La cathédrale, on l'a vu, s'est développée régulièrement de
Testa l'ouest : crypte des xi'-xii" siècles, chœur et transept des
xii*-xiii% nef du xiii^; nous arrivons maintenant à la der-
nière partie de ce développement, avec l'œuvre d'Erwin.
Le narthex. — Le narthex a neuf mètres de profondeur.
Il se compose de trois parties correspondant à la nef et aux
bas-côtés. La voûte centrale est sexpartite : aux arcs ogifs
qui s'y croisent comme dans les travées de la nef, s'ajoute
un arc mince dans l'axe de l'édifice. Aux voûtes des deux
tours on a ajouté un dernier arc, transversal ; elles sont ainsi
divisées en huit parties. Les branches des arcs viennent buter
au centre sur des oculi de grande dimension.
La rupture avec l'époque antérieure est nette. Non seule-
ment les piles de soutien des tours, qui commençaient, on l'a
vu, du côté de la nef, comme les autres piles, s'allongent,
avançant vers l'ouest, en un plan hexagonal énorme, et se
surélèvent par rapport à la voûte de la nef, soulignant ainsi le
raccord de la partie nouvelle avec la partie ancienne; mais
encore les formes intérieures de cotte partie nouvelle imposent
déjà à l'esprit la dominante de la ligne verticale qui sera si
caractéristique à l'extérieur. Au mur, de chaque côté, une
suite de huit arcades aveugles, surmontée de gables ajourés
dont la pointe dépasse le sol du chemin de ronde. Une même
nrcnlurc, au mur occidental, comprend deux arcades, de chaque
132 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
côté des portes latérales, trois arcades, de chaque côté du grand
portail ; les unes et les autres s'engagent dans de longues baies
aveugles qui les prolongent. Au milieu du grand portail, le
trumeau est orné, sur un pilier octogonal, d'une statue de
saint Pierre; au-dessus, une rose aveugle à douze feuilles
inscrite dans un carré, qui est peut-être un essai préalable de
la grande rose exécutée plus haut ; puis, une rangée de huit
niches aveugles; enfin, au-dessus du triforium, la grande rose
à seize feuilles vitrée.
La façade occidentale. — La façade occidentale, cons-
truite par Erwin, s'étend sur une largeur de l\o mètres, et
s'élève à 66 mètres de hauteur (jusqu'à la plate- forme). Deux
galeries la divisent en trois étages, une troisième borde en
saillie la plate-forme supérieure : seuls arrêts horizontaux dans
l'immense jeu de lignes verticales qui monte du sol à la plate-
forme et se continue par la tour du nord jusqu'à l'extrémité
de la flèche. Tous les détails de la structure concourent à éle-
ver le regard, à donner cette impression de hauteur à la fois
imposante et légère.
Quatre contreforts puissants divisent la façade, dépassent
les portails de trois mètres de saillie à la base, sans que les
portails empêchent de suivre depuis le sol la montée des con-
treforts, sans que les contreforts repoussent les portails en
avant au point de les détacher de l'ensemble : tandis que les
portails d'Amiens et de Reims, par exemple, semblent être
des œuvres à part, plus riches de formes et d'ornementation,
mais presque indépendantes de l'édifice, — à Strasbourg,
comme à Saint-Denis, comme à Paris, les contreforts sou-
tiennent la masse de l'œuvre sans rompre le lien des portails
entre eux ni avec le reste de la construction. Sur la face de
DESCRIPTION ARCHÉOLOGIQUE. isS
ces contreforts — motifs d'ailleurs répétés sur leurs côtés —
s'étagent de hautes arcades gothiques aveugles, divisées en
panneaux par de minces colonnettes engagées. Puis, à la
hauteur du premier étage et du deuxième, les contreforts
s'évident,de manière à former des dais élevés et surmontés de
longs clochetons, pour laisser passer, parallèlement aux murs,
quatre statues équestres*.
Les gables allongés et finement ajourés des portails, par-
ticulièrement celui du portail central; les clochetons aux
ilèches très élancées qui sont disposés sur leurs rampants et
qui, pour le portail central, s'élèvent jusqu'à la rose; les
hautes arcatures, aux minces colonnettes et aux rosaces
ajourées, qui, quoiqu'un peu en retrait, se confondent presque
avec ces clochetons pour les prolonger encore, et constituent
devant le mur une sorte de légère claire-voie jusqu'au premier
balcon; puis, du premier au second balcon, sur la face des
tours, devant le mur percé d'une vaste fenêtre, la claire-voie
qui reprend, en six longues baies : sorte d'écrin à jour, ou
d'écran, disposition dont on ne connaît pas d'autre exemple,
discutée souvent, du point de vue d'un art sévère, mais dont
on ne peut contester la délicatesse et la grâce; puis, du
deuxième au troisième balcon, les trois hautes fenêtres lancéo-
lées qui les joignent l'un à l'autre, d'un seul tenant; enfin, la
tour nord, qui se prolonge, seule, mince, transparente : tout
cela s'ajoute, pour la continuer, à la première impression
produite par les contreforts et l'ornementation verticale de
leurs baies aveugles, de leurs dais et de leurs clochetons.
Le portail central. — Le trumeau du portail central
est décoré par une statue de la Vierge, couronnée, portant
I. Clovis, Dagobert, Rodolphe de^Habsbourg et Louis XIV. Voir p. 64*
124 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
l'Enfant dans ses bras, œuvre moderne du sculpteur Grass.
De chaque côté du portail central, dans des niches le long
desquelles montent des frises de feuillages qui se continueront
le long des voussures, s'élèvent les statues des Prophètes (fin
du xiii° et premier tiers du xiv* siècles) : il y en a cinq de
chaque côté, qui correspondent aux cinq voussures du por-
tail ; plus, en dehors du portail, sur le mur de la façade, deux
de chaque côté également : en tout, quatorze statues; deux
seulement (la deuxième de gauche et la première de droite *,
en dehors des ébrasements, sur le mur de la façade) sont
modernes.
La troisième statue, à gauche, est en costume du temps,
une longue robe dont le col a deux revers fixés par des bou-
tons, un bonnet pointu sous lequel s'échappent les cheveux
abondants et bouclés; le visage est imberbe, l'énergie encore
accentuée par le froncement des sourcils qui se rejoignent en
un angle très marqué au-dessus du nez : trait rare dans les
statues d'hommes jeunes à l'époque gothique; peut-être cette
statue est-elle un portrait : la caractéristique de ces sourcils,
et de ce costume contemporain qu'on ne retrouve pas sur les
autres statues de la série, semblent l'indiquer^.
La dernière statue, du même côté, est une Sibylle mêlée
au groupe des Prophètes, jeune, vigoureuse, le front ceint
d'un diadème étroit, les cheveux, de chaque côté du visage,
descendant jusqu'au menton en ondulation douce, le manteau
tombant de l'épaule gauche, ramené devant le corps en plis
gracieux, puis remontant jusqu'à la ceinture pour s'y accro-
cher; dans chaque main, elle tient un phylactère.
I. Indications données, nous le rappelons, par rapport au visiteur qui re-
garde le monument.
a. Meter-Altona, ouv. cité, p. 28. — Voir notre pi. XXIL
q:
D
o
m
(0
<
ce
H
co
LU
û
LU
_J
<
û
iU
I
<
O
DESCRIPTION ARCHÉOLOGIQUE. laS
Presque toutes les autres statues sont de vieux prophètes,
avec des barbes bouclées, partagées en deux ou en quatre tor-
sades, et une petite boucle de cheveux qui apparaît sur le
front ou sous le bonnet; ils sont presque pareillement vêtus
de manteaux à plis, ramenés, chez deux d'entre eux, par-
dessus la tête; d'autres ont la tête coiffée d'un bonnet, l'un,
d'un diadème étroit à pierreries qui indiquerait un prophète-roi
(le premier prophète à droite), un autre (le cinquième) d'une
haute cape qui lui retombe en deux pointes sur les épaules et
qui indique sans doute un grand-prêtre (pi. XXI); de leurs
mains, ils tiennent des phylactères, enroulés encore ou dé-
ployés et retombants ; deux d'entre eux les lisent avec avi-
dité et sont contraints, pour y réussir malgré l'étroitesse des
niches, à un mouvement difficile du bras droit qui rehausse
l'épaule et leur donne une attitude malaisée.
Le type commun de ces statues n'exclut pas, on le voit,
quelque variété ; mais, de toutes, la Sibylle est certainement
la plus vivante. La direction de la tête par rapport au corps
accentue l'impression de mouvement, l'habile chute du man-
teau ne s'exagère point en plis trop contournés; plus simple,
«lie est pourtant moins froide que ses voisins plus tourmentés
d'attitude et de physionomie.
Le tympan — en quatre registres, dont les trois inférieurs
ne sont refaits qu'en deux endroits, et dont le supérieur l'est
romplèlcment — représente la vie du Christ depuis l'entrée
Jérusalem jusqu'à l'Ascension : suite de scènes où l'on
passe de l'une à l'autre directement, presque sans autres
séparations que les trois lignes qui divisent horizontalement
le tympan.
Au premier registre : le Christ, sur son àne, approche de la
porte de Jérusalem, où trois hommes l'attendent; un autre,
126 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
monté sur un arbre, regarde. De l'autre côté de la porte, et
séparée par elle du premier tableau, la Gène : derrière la
table couverte d'une nappe aux plis ondulés, le Christ et les
Apôtres, debout, semblent causer; un seul est assis, comme
effondré, devant Jésus, qui s'appuie doucement sur son épaule ;
devant la table. Judas, accroupi, les mains jointes, regarde
vers le Christ. — Puis, tandis que Judas embrasse le Christ
d'un côté, de l'autre un soldat l'arrête, lui saisit la main
gauche; de sa droite restée libre, le Seigneur touche l'oreille
de Malchus agenouillé à ses pieds. Le Christ avance vers Pilate ;
un homme à la face de nègre le prend au poignet, et va le
frapper; Pilate, assis, coiffé du bonnet à pointes qu'on a vu
tout à l'heure sur la tête de certains des prophètes, lève la
main droite et semble détourner les yeux : geste et physio-
nomie expriment son indifférence. — Dernier tableau à l'ex-
trémité du registre : Jésus à demi nu, les poignets liés autour
d'une mince colonne, est fustigé par deux valets de bourreau.
Au deuxième registre, on voit d'abord le Christ, debout,
la main droite croisée sur l'avant-bras gauche, entre deux per-
sonnages, qui posent sur son front la couronne d'épines ; l'un
d'eux porte le chapeau à longue pointe, ce pileus cornutus,
sorte d'entonnoir renversé, qui était la coiffure imposée aux
Juifs, dans le nord-est de la France et ailleurs, jusqu'au
xv^ siècle, — et dont nous trouverons plus d'une représenta-
tion dans la cathédrale. — A partir d'ici, la figure du Christ
prend plus de valeur, se détache davantage de celles qui l'en-
tourent. Le voici, la démarche alourdie par le poids de la
croix, sur laquelle tirent, par devant, un Juif pareil à celui de
la scène précédente, et une femme, qui tient trois gros clous
dans sa main gauche. Le voici maintenant, au centre du tym-
pan, crucifié, la tête penchée vers le cercueil ouvert d'Adam,
DESCRIPTION ARCHÉOLOGIQUE. 127
qui est étendu au pied de la croix : les artistes du moyen âge,
suivant en cela les théologiens, aimaient à voir le Nouveau
Testament annoncé par l'Ancien, et le squelette d'Adam
devant Jésus crucifié rapprochait ainsi, selon le symbolisme
cher à ce temps * , le Père de l'ancien monde et Celui du nou-
veau, l'humanité perdue par la faute de l'un, rachetée par la
mort de l'autre : « Adae morte novi redit Adae vita priori », dit
une inscription sur un crucifix du xii^ siècle conservé au
Musée de Lunebourg '^. Derrière le Christ, l'Église à sa droite,
recevant dans une coupe le jet de sang qui coule de sa plaie,
la Synagogue à sa gauche, toute de profil, les yeux bandés, la
tête retombant sur la poitrine : ces deux petites figures rap-
pellent l'attitude des deux belles statues de l'Église et de la
Synagogue que nous avons vues au portail sud. A côté de
l'Église, la Vierge, douloureuse, le visage penché vers la croix
que l'Église tient de sa main droite; à côté de la Synagogue,
Jean, la tète appuyée dans la main droite, l'Évangile dans la
main gauche. — Vient ensuite la Descente de Croix. La tète du
Christ s'appuie aux mains de Marie, son bras gauche tire sur
le clou qui le retient encore. Et puis, la Résurrection, une
Résurrection d'autant plus réaliste et vivante, si je puis dire,
que le principal personnage en est absent : un sarcophage orné
de fleurs de lis et monté sur de petites colonnes minces ; au-
dessous, étendus à terre, trois soldats dorment ; un ange assis
1. Voir M\LE, oai». cilé, p. aoo. Voir aussi : Spéculum humanae Salvalionis
(livre de piété écrit par un moine du xiv* siècle, Ludolphe le Saxon, qui vé-
cut une partie de sa vie à Strasbourg), édit. J . Lulz et P. Perdrizet (Meininger,
Mulhouse, 1907-09, 3 vol. in-Zj"), t. II, p. a.'jg. — Et, ici même, p. i35.
2. Dans Ch. Grah, ouv. cilé, p. 7/19. — Voir d'ailleurs une représentation
analogue du cercueil d'Adam au pied de la Croix, dans le Horlus deliciarum,
idit. citée, pi. XWVIII, avec ces mots sur le cercueil : « Ihcronomus refert,
riod Adam sepuUus faeril in Caharie loco, ubi crucijixus est Dominas. »
û?iUGa8A>ITa 3G 'GSHTAO
ia8 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
au bord du sarcophage comme sur la margelle d'un puits,
montre aux Saintes Femmes le linceul vide.
Au troisième registre, la mort de Judas, qui est une restau-
ration, ainsi que le tableau suivant : des monstres sortant de
la gueule ouverte de l'enfer, et un enfant nu qui pose sa
main sur la tête d'Eve : motif difficile à expliquer, qui date
de la réfection de ce groupe. Eve, nue, Adam, nu également,
s'éloignent de l'enfer, entraînés par le Christ en longue robe
avec la croix dans le bras gauche. Voici maintenant Made-
leine à genoux et le Christ faisant le geste de défense : Noli
me tangere; enfin, dans la maison où les Apôtres l'entourent,
saint Thomas incrédule touchant les plaies du Seigneur.
Au quatrième registre, les Apôtres à genoux, Marie et Jean
debout, les anges, le Christ qui s'élève au ciel; toute la scène
est moderne.
Le réalisme de cette œuvre s'affirme par plus d'un trait :
des gestes et des physionomies très vivants, comme l'indiffé-
rence de Pilate ou le Noli me tangere de Jésus, comme le Juif
et la femme aux trois clous tirant sur la croix, comme les sol-
dats dormant sous le sarcophage vide ; plus encore, les costumes
des personnages, le Christ sans nimbe, et cette porte de ville
où l'on va recevoir le Seigneur, et cette maisonnette où saint
Thomas vient chercher la certitude : tout un rappel de la
mise en scène des Mystères contemporains.
Cinq voussures entourent le tympan de scènes sculptées,
modernes, remplaçant des sculptures anciennes détruites pen-
dant la Révolution. La rangée extérieure a élé refaite parle
sculpteur Malade, les quatre intérieures par Vallastre. La pre-
mière représente successivement, chacune des scènes étant sé-
parée de la suivante par le dais qui la recouvre : Dieu créant le
monde, — l'Esprit de Dieu flottant sur les eaux, — Dieu créant
CATHÉDRALE DE STRASBOURG
DEUX PROPHÈTES
(Qrand porUil)
DESCRIPTION ARCHÉOLOGIQUE. 129
le soleil et la lune, — Dieu séparant les eaux d'avec l'air, —
Dieu créant le firmament, — la création des plantes et des arbres
fruitiers, — la création des oiseaux et des poissons, — la création
des autres animaux, — Dieu créant Adam et Eve, — puis
leur défendant le fruit de l'arbre, — Eve séduite par le ser-
pent, x\dam séduit par Eve, — Adam appelé par Dieu, —
Adam et Eve chassés du paradis, — la naissance de Caïn
et d'Abel, — Eve occupée à filer, tandis qu'Adam cultive la
terre, — le sacrifice offert par Gain et Abel, — le crime de Gain,
— et sa fuite. — Dans la deuxième voussure : Abraham
demande grâce pour les Sodomites, — le sacrifice d'Abraham,
— l'arche de Noé, — Noé ivre outragé par Cham, — Jacob
voit en songe les anges monter les degrés de l'échelle, — le
buisson ardent, — le Serpent d'airain, — Moïse fait jaillir de
l'eau du rocher, — Josué et Judas, — Othoniel, premier
juge, — Elie laisse son manteau à Elisée, — Jonas rejeté par
la baleine, — Samson déchire la gueule du lion, — le roi Ézé-
chias prie pour recouvrer la santé, — Josué fait poser une
grande pierre sous un chêne à Sichem, — la conversion du
roi Manassé. — La troisième voussure comprend, en quatorze
scènes, les martyres des douze apôtres et des diacres saint
Etienne et saint Laurent. — La quatrième, douze person-
sonnagcs derrière des pupitres; les deux premiers au bas de
chaque rangée représentent les Evangélistes, avec leurs attri-
buts, — les autres, les huit premiers Docteurs de l'Église,
— La cinquième voussure, enfin, contient les miracles du
Christ : Jésus guérit les malades et les lépreux, rend la vue aux
aveugles, chasse les démons des possédés, ressuscite les morts.
Les portails latéraux. — La disposition des statues est
la même aux portails latéraux qu'au portail central : leur
i3o LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
série commence aux ébrasements du portail et s'achève, de
chaque côté, sur le mur de la façade. Mais les portails latéraux
sont plus étroits que le portail central ; au lieu de quatorze
statues, il n'y en a que douze; et les frises de feuillages, au
lieu de séparer toutes les niches et d'accompagner toutes les
voussures, ne suivent que le bord extérieur de la première et
de la dernière.
Le portail latéral nord. — Le portail latéral nord est celui
des Vertus et des Vices. Ces figures, comme les Prophètes que
nous venons de voir au portail central, comme les Vierges
sages et les Vierges folles que nous verrons au portail latéral
sud, datent d'entre 1290 et i33o environ.
On sait quelle fut l'influence de la littérature religieuse
et morale sur la statuaire des cathédrales; c'est de cette
littérature que sont nées les premières figurations des \ ertus
et des Vices. Le poème de Prudence, la Psychomachie, très ré-
pandu encore au xn* siècle, les dépeignait solidement armées
et combattant les unes contre les autres : dans beaucoup
de représentations contemporaines, comme aux chapiteaux
de Notre-Dame-du-Port, l'équipement ne leur manqua
point, ni les gestes d'eflbrt et de lutte. Puis, peu à peu,
triomphantes, elles avaient pris un air d'assurance : ainsij
deux voussures du porche septentrional de Chartres, où leî
Vertus semblent avoir remporté la victoire sans combattre cl
ne regardent môme pas les Vices vaincus à leurs pieds. Les
statues de Strasbourg, encore armées de la lance, rappellent le
première époque, mais, par leur attitude et leur physionomie,
elles tiennent surtout de la deuxième.
Le front ceint d'une couronne légère ou d'un mince ban-
deau rehaussé de pierreries, vêtues simplement d'une longu<
DESCRIPTION ARCHÉOLOGIQUE. i3i
tunique qu'une ceinture serre gracieusement à la taille ou
couvertes encore d'un manteau qu'un cordon retient aux
épaules ou une agrafe sur la poitrine, droites ou légèrement
déhanchées, elles ont, toutes, à peu près la même douceur
d'expression et de geste; elles jouent avec leurs lances plutôt
qu'elles ne s'en servent; sauf deux ou trois, les monstres
qu'elles écrasent sont plutôt des attributs que des vaincus ; et
l'on regrette que le temps ait usé la lettre des phylactères,
puisque seuls ils auraient permis de reconnaître la Prudence
d'avec la Justice ou le Courage d'avec la Tempérance; si douce
est la lutte, que plus d'une d'entre elles ressemble aux Vierges
de l'autre portail latéral. — On voit combien le type nouveau
prédomine sur l'ancien, dont elles n'ont guère conservé, par
une sorte de respect des traditions, que cette lance de parade
que leurs mains ne savent plus manier. Pour le reste, elles
ont le calme des Vertus assises aux bas-reliefs de Paris, de
Chartres et d'Amiens, où est l'origine certaine et de leur icono-
graphie et de leur esthétique. L'iconographie locale, si l'on en
juge par le Hortas deliciarum d'Herrade de Landsberg* (anté-
rieur d'un siècle, il est vrai), leur aurait plutôt donné le type des
Vertus armées très réellement combattantes; — et l'esthétique
germanique, à Magdebourg', par exemple, en était encore à
ces agitations de plis, à ces bouillonnements du vêtement
que certaines écoles françaises avaient connus au xii" siècle,
et qui, en France, s'étaient alors depuis longtemps apaisés.
Le tympan du portail et les statues des voussures sont des
réfections modernes. Le tympan comprend trois registres : celui
du bas contient l'Adoration des Mages ; celui du milieu le Mas-
sacre des Innocents et la Fuite en Egypte; au sommet, la Pré-
I. Édil. citée, pi. XLIII et suiv. Voir p. 99.
3. Les Vierges sages et les Vierges folles.
t32 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
sentation de Jésus, que Joseph et Marie tiennent debout
sur un autel.
Le portail latéral sud. — Le portail latéral sud est celui des
Vierges sages et des Vierges folles. La parabole de l'Évangile
est connue : le Seigneur ne dit pas l'heure de sa venue ; il faut
être prêt à le recevoir, comme les cinq vierges sages, qui
attendent à la maison l'arrivée de l'épouxet de l'épouse; ils
tardaient ; elles se sont endormies ; mais elles avaient reçu des
lampes et de l'huile, et, ainsi, à quelque heure que ce fût, les
vierges sages pourraient toujours aller au-devant du couple
attendu, même la nuit; tandis que les vierges folles, qui ont
gaspillé leur provision d'huile, seront surprises au dernier
moment et demanderont de l'huile aux sages, qui les ren-
verront au marchand. La parabole ne s'est pas contentée de
rester parabole ; elle s'est spiritualisée elle-même ; du couple
attendu, l'épouse a disparu, l'époux est devenu le céleste
Époux, auquel se consacrent les Vierges sages, tandis que les
Vierges folles obéiront à la voix du Séducteur : thème mora-
lisateur et qu'on peut faire parler aux yeux des foules.
Les douze statues sont disposées comme celles des \ertus :
huit dans les niches du portail (quatre de chaque côté), deux
de chaque côté en façade ; le Séducteur occupe la droite des
Vierges folles, l'Époux la droite des Vierges sages. Aux pieds
de presque toutes ces statues, de minces coussins de pierre qui
dépassent irrégulièrement les socles où ils s'appuient, sou-
lignant ainsi, plus que dans les groupes correspondants des
deux autres portails, les difficultés d'une statuaire faite pour
l'architecture, mais sans qu'on ait toujours mesuré assez
exactement l'adaptation possible de l'une à l'autre. Seuls le
Séducteur et sa voisine, peut-être un peu postérieurs, se
DESCRIPTION ARCHÉOLOGIQUE. i33
dressent sur des plateaux rectangulaires, l'un à biseaux,
l'autre droit, qui s'adaptent carrément aux socles correspon-
dants. Leurs visages n'ont rien d'exagérément troublé, les
plis de leurs manteaux n'offrent pas de mouvements trop
violents : rien ne rappelle ici les attitudes et les expressions
tourmentées où se complaisait l'école germanique contempo-
raine, à Magdebourg, à Erfurt, les \ierges sages manifestant
largement leur joie, les Vierges folles se frappant la poitrine
et sanglotant. Beaucoup de simplicité, au contraire, et de
grâce; presque trop de simplicité : peut-être découvre-t-on
aux Vierges sages une physionomie plus sereine, et à deux
des Vierges folles une sorte de tristesse repentante, qui
peuvent les diversifier ; pourtant leurs places respectives et la
traditionnelle position des lampes droites ou renversées, y
aident plus que leurs attitudes et l'expression de leurs visages.
Le Séducteur et sa voisine sont particulièrement intéressants :
leurs visages à fossettes, souriants, lui, offrant la pomme ten-
tatrice, attirant et fanfaron, dont on ne se défierait pas si l'on
n'apercevait derrière son dos les serpents immondes du vice,
— elle, la main droite à l'épaule, prête à détacher sa robe, déjà
consentante et sans remords, la lampe tombée à terre, — tous
deux tels qu'on les retrouvera, mais plus lourds et grossiers,
à la cathédrale de Bâle : ces figurations accentuent encore
le caractère humain de la parabole moralisatrice.
Le groupe des \ ierges sages et des Vierges folles se rattache
visiblement, comme celui des Vertus, à la statuaire française
contetnporaine. Sans doute, en France, il ne prenait généra-
lement pas, dans la décoration de l'église, une importance
aussi considérable ; on voyait les Vierges sages et les Vierges
folles dans des voussures (Reims) et dans des roses (Bourges),
et l'idée de leur consacrer de grandes statues indépendantes
13
i34 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
pouvait venir de Magdebourg ^ — ce qui, par voie de consé-
quence, aurait produit aussi le groupe symétrique des Vertus
et des Vices, également important à Strasbourg, également
secondaire à Paris ou à Amiens. Il faut toutefois remarquer
qu'à Chartres déjà, dans la baie latérale gauche du portail
septentrional. Vierges et Vertus se trouvaient rassemblées en
un groupe important et compact (mais dans des voussures
encore), avec d'autres figures de signification voisine : les
Fruits du Saint-Esprit, les Béatitudes Célestes. Quoi qu'il en
soit, si même les Vierges de Strasbourg rappellent iconogra-
phiquement celles de Magdebourg, esthétiquement elles en sont
fort loin, comme on l'a vu tout à l'heure, et elles n'ont évi-
demment subi d'autre influence que celle du centre de la
France.
Les piliers sur lesquels se dressent ces douze statues du por-
tail latéral de droite, se terminent en haut, sous les coussins
où s'appuient les pieds des Vierges, par des cubes engagés.
Sur les faces visibles des cubes, dans des médaillons quadri-
lobés, dont chaque côté présente la forme d'une accolade et
qui rappellent ceux de la porte de la Calende et de la porte dos
Libraires à la cathédrale de Rouen, du soubassement extérieur
des chapelles absidales de Notre-Dame de Paris et aussi du
portail d'Andréa Pisano au Baptistère de Florence, on peut
suivre les douze mois du calendrier : dans les médaillons de
droite, les signes du zodiaque, dans les médaillons de gauche,
des scènes de la vie correspondant aux mois. Au-dessous du
Séducteur, le Verseau, signe de janvier, — et un homme à
table ; puis, en suivant dans la direction de la porte : les Pois-
sons (février), et un homme qui se chauffe les pieds; le Bé'
i. Les Vierges de Magdebourg sont de laoo-ia/jo pour Hasak, de la fin
duxin* siècle « pour des Français », dit M. André Michel, ouv. cilé, p. 753.
DESCRIPTION ARCHÉOLOGIQUE. i35
lier (mars) , et un homme qui coupe la vigne ; le Taureau (avril) ,
et un homme qui porte des fleurs; aux pieds de l'Époux, les
Gémeaux (mai), et un cavalier ; puis, en s'éloignant de la porte,
le Cancer (juin), et un faucheur (?); le Lion (juillet), et un
homme qui coupe les épis; la Vierge (août), et un moisson-
neur; un homme avec la Balance (septembre), et un pressoir;
le Scorpion (?) (octobre), et un personnage dont on ne voit
pas le geste : ces deux derniers groupes sous les deux statues
en façade, au sud du portail ; restent, sous les deux statues
en façade au nord, le Sagittaire (?) (novembre), et un homme
coupant du bois à un arbre; le Capricorne (décembre), et un
homme qui tue un cochon.
Dans le tympan (refait) : la résurrection des morts, la sépa-
ration des justes et des réprouvés, le Christ en Juge du monde.
Deux gables, l'un dans l'autre, surmontent le portail. Au
milieu, le roi Salomon assis sur son trône, et, au-dessus du
dais qui le couvre, une Vierge assise avec l'Enfant debout
sur ses genoux. Sur les degrés qui ornent le gable inférieur,
douze lions échelonnés, par groupes de deux qui se tournent
l'un vers l'autre, font la garde du trône royal. Debout au haut
des degrés, à la hauteur des épaules du roi, deux derniers
lions soutiennent de leurs pattes de devant le trône de la
Vierge et forment un lien symbolique entre les deux figures :
plus d'une œuvre d'art établit ainsi la correspondance entre la
Vierge et Salomon, le roi assis sur son trône étant la pré-
figuration de la Sagesse éternelle sur les genoux de la Vierge.
A la hauteur où vient de finir le gable supérieur qui sur-
monte le portail central, au-dessus de la Vierge assise avec
l'Enfant, une légère corniche passe, où s'appuie le bord infé-
rieur d'un immense cercle de fleurs de lis dont la pointe est
i36 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
dirigée vers l'intérieur du cercle. En reirait, la rose, de près;
de sept mètres de rayon, étale ses seize feuilles géminées, au-
tour d'une petite rose à cinq lobes comme centre. Sans doute
ce n'est plus le système de la claire-voie, aucun réseau ne
s'interpose entre la rose et le regard du spectateur; mais, si
je puis dire, c'est encore l'écrin, l'écrin ouvert, où l'œil se
joue à la perspective de cette rose en retrait que les fleurs de
lis couronnent et dont elles augmentent f effet par le jeu de
recul qu'elles lui donnent.
Les statues qui environnent la rose sont modernes ; presque
toutes sont des restaurations. — Au-dessous de la rose, dans
les contreforts évidés, le long de la corniche et de la balus-
trade entre l'étage inférieur et le premier étage, les statues
équestres (en commençant par le nord) de Clovis, Dagobert,.
Rodolphe de Habsbourg (refaites par Malade en i8ii-i8i3),et
Louis XIV (faite par Vallastre sous la Restauration) *, sous des
dais surmontés d'une cigogne à l'extrême bouton de leur
pignon. — Au-dessus de la rose, sur toute la surface du mas-
sif intermédiaire entre les deux tours, plusieurs groupes de
statues, déjà indiquées (en couleurs : vert, bleu, rouge), sur
le projet pour la construction de ce massif (3" moitié du
xiv° siècle), projet qui existe encore à la Maison de l'Œuvre
(voir p. 20 et pi. II). C'est d'abord, au bas de cet étage in-
I. Les autres statues des princes placées aux angles des contreforts, sont
presque toutes de Grass. Voici leur nomenclature, en commençant par le
contrefort du nord-est (derrière la tour nord) pour passer devant la cathé-
drale et finir par le contrefort du sud-est (derrière la tour sud) : au
1" étage : Charles Martel, Louis le Pieux, Lothaire I", Clovis, Dagobert,
Rodolphe de Habsbourg, Louis XIV, Othon II, Othon III, Henri II; — aa
a* étage : Charles le Chauve, Lothaire II, Louis II, Pépin le Bref, Gharle-
magne, Othon I", Henri I", Conrad II, Henri III, Henri IV. Toutes ces
statues, sauf celles de Charles le Chauve et de Henri IV, sont équestres.
CATHÉDRALE DE STRASBOURG
DEUX VERTUS
(Portail latéral)
DESCRIPTION ARCHÉOLOGIQUE. 187
termédiaire et sur toute sa largeur, la Galerie des Apôtres : les
douze Apôtres dans des niches (le premier et le dernier refaits
par Malade, les dix autres par Yallastre) ; dans la niche du
centre, la Vierge; tous, la Vierge et les Apôtres, ont les re-
gards tendus vers le Christ qui s'élève au-dessus de la niche
de la \ierge, dans une auréole elliptique, tenant la croix de
la main gauche, bénissant de la main droite (la \ ierge et le
Christ, ainsi que les anges musiciens sur les niches, sont de
Ph. Grass). Plus haut, des deux côtés des grandes baies, les
quatre Evangélistes, corps d'hommes, avec les têtes de l'ange
et des trois animaux symboliques : l'un au-dessus de l'autre,
Marc et Mathieu au nord, Jean et Luc au sud; et, entre les
deux baies, l'un au-dessus de l'autre également, Ezéchiel et
Jérémie (œuvres de Grass). Plus haut encore, le Jugement
dernier (de Grass toujours, 1849) • ^ ^^ hauteur des pignons
des deux grandes baies, un ange au-dessus de Marc et Mathieu,
un autre au-dessus de Jean et Luc; dans les pignons mêmes, la
Vierge et saint Jean-Baptiste, à genoux; entre les pignons, le
Christ en Juge du monde, l'épée du Verbe sortant de sa
bouche; de chaque côté, près de la pointe des pignons —
dont les ornements extérieurs ont la forme de sarcophages
— des anges sonnant la trompette du Jugement; et, tout à
l'extrémité : sur l'un des pignons, l'Ange abritant dans son
sein l'âme d'un juste sous les traits d'un enfant, sur l'autre,
l'âme d'un damné, sous les traits d'un enfant également, em-
portée par le Diable.
Les tours. — Les deux autres côtés visibles des tours
offrent des aspects analogues à ceux de la façade occidentale.
— Seul, naturellement, l'étage inférieur diffère; du côté nord
et du côté sud, il n'y a pas de portail, mais une haute et large
i38 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
fenêtre géminée dont les deux baies secondaires se subdivisent
elles-mêmes en deux : les deux du milieu vitrées, les deux
autres aveugles ; et, du côté de l'est, l'amorce des bas-côtés emplit
l'espace qui, à l'ouest, est occupé par les portails latéraux de
la façade. — Au deuxième étage (mais sans claire-voie), au troi-
sième aussi, les dispositions sont les mêmes que sur la façade
occidentale. La construction de raccord entre les tours au troi-
sième étage ne présente à l'est qu'une fenêtre, au lieu de
deux à l'ouest, et s'étale, simple et nue, sans aucune orne-
mentation, sur toute la hauteur de l'étage.
La frise symbolique des tours. — Au-dessous de la première
balustrade des tours, sur le côté du nord et sur le côté du sud,
s'étendent deux frises curieuses de la fin du xiii*' ou du début
du xiv^ siècle. A l'intérêt artistique de ces petites scènes qui
se suivent sans interruption, où s'agite, avec beaucoup de
fermeté dans le dessin et de vie dans l'exécution, tout un
petit monde d'êtres humains, d'animaux et de monstres,
s'ajoute un intérêt symbolique puissant : la cathédrale est
vraiment ici un livre d'images pour le peuple, où il se retrouve
lui-même par endroits, et où il retrouve surtout la religion
que lui enseigne, à l'intérieur de l'église, la parole du prêtre :
tantôt (( préfigurations » du Nouveau Testament par l'Ancien,
tantôt simples illustrations de la tradition religieuse emprun-
tées à la nature visible.
De même que dans la représentation des Vertus et des
Vices, on va reconnaître dans cette symbolique l'influence
d'une littérature antérieure, mais très vivante à l'époque où
nous sommes : d'abord, les « Bestiaires », où se retrouvait
l'ancien Physiologus, dont le texte original est perdu, mais
que tous les peuples de l'Occident avaient de bonne heure tra-
DESCRIPTION ARCHÉOLOGIQUE. iSg
duit et commenté, et qui alliait hardiment a la science anti-
que la plus suspecte » avec a l'exégèse chrétienne la plus con-
testable » * ; ensuite, le Spéculum Ecclesiœ d'Honorius d'Autun,
recueil de sermons pour les principales fêtes de l'année, com-
posé au commencement du xn® siècle, où l'auteur, après avoir
raconté l'événement de la vie du Christ commémoré par la
fête du jour, l'accompagnait de rapprochements tirés de
l'Ancien Testament ou d'explications symboliques prises
dans la nature. L'exemple le plus typique de l'influence
du Spéculum Ecclesiœ est le vitrail célèbre de la cathédrale
de Lyon, qui est comme une exacte transposition dans l'art
de la verrerie du rythme d'Honorius d'Autun : la suite des
tableaux régulièrement accompagnés de leurs symboles^. Un
aussi bel ordre ne règne pas aux frises de Strasbourg; mais
le symbolisme, et l'origine de ce symbolisme, n'en sont pas
plus douteux.
La frise du nord se prête particulièrement à ces interpréta-
tions symboliques^. Les deux premières scènes représentent
deux personnages luttant chacun contre un lion. Dans le
premier personnage, à cause de sa cuculle et de sa massue de
fou, de sa demi-nudité aussi, indice d'un habituel cynisme,
on a voulu voir quelque bouffon du temps, combattant, d'ail-
leurs avec succès, contre le lion, symbole ordinaire de Satan :
l'artiste se serait amusé, pour provoquer le sourire de la société
de son temps, à ouvrir la série des champions de la Foi par un
1. É. Mai.e, O'iv. cité, p. 47-
2. É. Mâle, oui», cité, p. 67.
3. Voir : Chardin (Ferd), Notice sur deux has-reliefs de la Cathédrale de
Strasbourg, dans : Revue archéologique, lo* année, i853-5/i; — le P. Cahier,
Nouveaux Mélanges d'Archéologie, d'Histoire et de Littérature, I, Curiosités
mystérieuses, Paris, Didot, 187^, 'm-li". — Nous avons reproduit, pages i,
71, 78, i85 et i9i, quelques-unes de ces scènes.
ao LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
l'ou. Peut-être vaut-il mieux se contenter d'une interpréta-
tion moins soucieuse du détail : les personnages humains des
deux premières scènes, qui abattent chacun un lion, seraient
simplement, et sans mélange d'ironie, David et Samson con-
sidérés comme prédécesseurs du Christ. — La troisième scène
est un clair symbole de la Résurrection : un lion debout sur
trois pattes, la tête tendue vers ses trois lionceaux, que sa
quatrième patte protège : c'était une croyance fort répandue
au moyen âge, qu'en naissant les petits du lion dormaient
trois jours et trois nuits, jusqu'à ce que le père les réveillât
par le bruit de ses rugissements ou la caresse de son haleine :
la véritable naissance après ces trois jours et ces trois nuits,
c'est la Résurrection du Sauveur. — Le quatrième tableau
représente un chasseur perçant de sa lance une licorne qui
s'est réfugiée dans le sein d'une vierge. On sait que la licorne,
bête fabuleuse très populaire au moyen âge, ne pouvait être
atteinte par les chasseurs que lorsqu'elle rencontrait une
vierge sur son chemin : elle s'arrêtait alors, reposait sa tête
sur le sein de la vierge, et les chasseurs s'approchaient... La
Vierge, c'est Marie; la licorne, c'est le Christ, la corne au
milieu du front symbolisant la force invincible du Sauveur ;
le personnage à la lance, c'est l'humanité ingrate, c'est le
vieil Adam qui s'approche pour tuer le nouvel Adam. —
Puis, au pied d'une tour — la tour de Ninive sans doute,
suivant la légende et comme dans le Hortus deliclarum
(pi. XXI), — voici Jonas sortant de la baleine, — laid et
décharné : symbolisme n'exclut pas réalisme, ni même
ironie, et Jonas vient de passer trois jours et trois nuits
d'angoisse et déjeune. Il s'élance, enfin délivré; il est debout,
les bras à demi étendus et dirigés vers le ciel : geste de prière
de tous les peuples anciens, et des premiers chrétiens, et encore
CATHÉDRALE DE STRASBOURG
LE FIANCÉ ET LA VIERGE SAGE
(Portail latéral )
DESCRIPTION ARCHÉOLOGIQUE. i4i
aujourd'hui des prêtres à l'autel. Symbolisme d'autant plus
certain que le Christ s'est appliqué ce type à lui-même : « sica
enimfuii Jonas in ventre ceti tribus diebus et iribas noctibus, sic
erit Filias Hominis in corde terrœ tribus diebus et tribus nocti-
bus » (Evang. Math., xii, 4o) : c'est encore une Résurrection.
— Entre cette scène et la suivante, un peu au-dessus de la
baleine, occupant juste le milieu de la longue frise, un Christ
nimbé et bénissant, les trois premiers doigts levés, les
deux autres repliés. Lui tournant le dos. Moïse montre aux
Hébreux le Serpent d'airain qu'il vient d'élever et qui les
guérira de la blessure des serpents brûlants : annonce de la
Rédemption. Les Juifs, groupés devant le Serpent d'airain,
sont coiffés du bonnet à pointe que nous avons déjà vu au
tympan du portail central. — Suivent deux nouvelles Résur-
rections : le pélican qui, suivant la croyance populaire,
ressuscite ses petits en répandant son sang sur eux (ou les
nourrit de son sang) ; le phénix qui se brûle volontairement
pour renaître de ses cendres. — Au milieu du tableau sui-
vant, Abraham, le regard tourné vers le ciel, d'où l'ange
apparaît, arrêtant son bras, lui montrant le bélier qu'il faut
sacrifier à la place d'Isaac, — tandis que de l'autre côté Isaac
présente sa tête au sacrificateur : Jésus aussi, un jour, portera
sa croix comme Isaac a porté le bois de son bûcher, — et le
sacrifice ne sera pas accompli davantage : Jésus ne sera sacri-
fié que dans sa nature humaine. — Voici maintenant l'aigle
montrant le soleil à ses aiglons, pour rejeter ceux qui ne
sauront pas en supporter l'éclat en face : les aiglons devant le
.soleil, ce sont les hommes devant le Souverain Juge. — Et
voici encore une licorne, l'esprit du mal cette fois, contre
lequel un homme va lutter, comme dans la prière d'Introït du
Dimanche des Rameaux (Ps., xxi, v. 22) : « Salva me ex ore
i/,2 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
leonis et a cornibus unicorniam humilitatem meam)). — Et enfin,
dans le retour d'équerre en avant qui suit la saillie du contre-
fort, une dernière scène : un chasseur qui tue un sanglier
poursuivi lui-même par un bœuf : les ennemis du Christ
s'entre-dévorent, le soldat du Christ triomphe d'eux.
La seconde frise, celle du sud, est plus humaine, ou, du
moins, pour plusieurs sujets, l'intention symbolique n'y
apparait-elle pas aussi nettement. Que tous^ les êtres à forme
animale soient des démons, tous les êtres à forme humaine
des damnés, l'ensemble de la frise du sud un Triomphe de
l'Enfer opposé au Triomphe de la Religion que représenterait
la frise du nord, — ce n'est sans doute là qu'une hypothèse
ingénieuse, qui procède plutôt de notre propre besoin de
comprendre et d'expliquer harmonieusement, qu'elle ne tient
compte de la fantaisie des artistes du temps. — La première
scène, sur le retour en avant vers le contrefort, représente le
supplice du mauvais riche, ou simplement du damné, sous la
forme d'un Juif : le Juif, la tête en bas, coiffée du bonnet carac-
téristique, est fort maltraité par les deux démons : l'un tire sur
une corde par où il lui a attaché lajambe, l'autre, de la partie
postérieure de sa diabolique personne, lui caresse le nez. —
La deuxième scène (la première après l'angle) est peut-être
une allusion à un événement historique. Deux combattants :
un moine, mi-agneau, ailé, la lance et le bouclier en mains,
contre un guerrier, mi-cheval, casqué et moustachu; derrière
eux, un évêque, lion par le bas du corps, avec des pattes pal-
mées : ensemble fantaisiste? souvenir de la guerre de 1262.
les clercs de l'évêque Waltcr de Géroldseck (le moine combat-
tant) contre la bourgeoisie de Strasbourg (l'adversaire cen-
taure), et, à leur suite, l'inspirateur de la querelle, l'évêque,
son pouvoir temporel symbolisé par le corps du lion, son
DESCRIPTION ARCHÉOLOGIQUE. i43
pouvoir spirituel par la houlette qui lui sert de crosse? — Le
tableau suivant n'est pas moins étrange : un homme nu, à
cheval sur un lion, décoche une flèche à une femme, demi-
sirène, qui tient un enfant dans ses bras : flétrissure d'amours
illicites? représentation figurée d'Hérode, roi des Juifs, qui fit
tuer les enfants de Bethléem?... Il est vraiment plus simple
de poursuivre en ne pensant plus qu'à notre quotidienne
Immanité, à ses amusements et à ses vices : les quatre per-
sonnages (animaux par la partie inférieure du corps, toujours)
qui font de la musique : le premier joue de la viole, le troi-
sième de la guitare, le quatrième de la flûte, tandis que le
deuxième chante, ou bat la mesure; — deux jeunes gens,
tout à fait humains, ceux-là, se prennent aux cheveux, litté-
ralement, pour une querelle aux dés : péché de colère; — un
homme sur des pieds de taureau fait danser un chien ou un
ours au son du tambourin : la danse défendue par l'Église?
— une femme lutinée par un homme nu : péché de luxure
(à moins que l'homme, qui porte une lourde pierre, ne soit
Samson, et la femme qui lui tient les cheveux, Dalila?) — une
jeune fille à genoux devant une femme qui semble la bénir;
— un homme qui se tâte le ventre, entre deux monstres qui
n'ont pas l'air de le prendre en pitié : péché de gourmandise?
— enfin, deux nouvelles batailles de monstres, les deux
premiers entre eux, le troisième contre un lion : rappel,
peut-être encore, de quelque événement historique récent,
ou de l'éternelle lutte entre l'esprit du mal et l'esprit du
bien.
On voit que la variété des sujets est grande. Toutes 1rs
conditions, du reste, se réunissaient ici pour laisser le champ
libre à l'artiste : il s'agissait de faire vivre un long espace
habituellement vide ou occupé par une ornementation plus
lU LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
simple, dans une partie de l'édifice où il n'était plus néces-
saire, comme sur un portail, de dresser de grandes ou de
petites statues plus ou moins indépendantes les unes des
autres, mais toutes plus ou moins dépendantes d'un type
traditionnel. D'ailleurs, la place était moins en vue, et si
l'artiste voulait instruire le peuple, il pouvait aussi, sans
inconvénient à cette place, chercher à l'amuser, et à s'amuser.
Le sculpteur de ces frises a profité de sa liberté pour produire,
non seulement une suite de symboles intéressante, mais encore
une œuvre d'art singulièrement vivante.
La plate-forme . — A cette hauteur (66 mètres) s'étend la
plate-forme, d'où l'on domine, presque au pied même de l'édi-
fice, les toits et les cours pittoresques de la ville, — d'où l'on
découvre, au delà, l'immense plaine d'Alsace : tout au nord,
les hauteurs de Wissembourg, — au sud, la montagne et le
couvent de Sainte-Odile, et, plus loin, jusqu'au ballon de
Guebwiller, jusqu'au Jura même; — à l'est, le Rhin, et,
derrière lui, la Forêt-Noire; — à l'ouest, le Donon, Dabo, le
Haut-Barr, les Géroldseck, la côte de Saverne. Sur cette plate-
forme, des milliers et des milliers d'hommes se sont arrêtés
pour admirer, et, au milieu de noms obscurs, plus d'un nom
illustre est taillé dans la pierre : Voltaire, Herder, Goethe,
Lavater, Gay-Lussac. Au côté sud de la plate-forme s'élève la
maisonnette des gardiens qui sont chargés, depuis des temps
lointains, d'offices divers : répéter par une sonnerie à main
celles de l'horloge de la tour (qu'il ne faut pas confondre avec
l'horloge astronomique du croisillon sud), sonner la cloche de
dix heures du soir et en général toutes les sonneries indépen-
dantes du culte, monter la garde jour et nuit autour de la
plat^-forme, donner l'alarme quand le feu éclate en ville :
DESCRIPTION ARCHÉOLOGIQUE. i45
fonctions modestes, qui eurent, pendant le bombardement de
1870, leurs heures héroïques.
La tour du nord prolongée. — La tour du nord, pareille à
celle du sud jusqu'à la plate-forme, continue seule son ascen-
sion, d'abord — ■ l'œuvre d'Ulrich d'Ensingen, au commen-
cement du XV' siècle — jusqu'à 4o mètres au-dessus de la
plate-forme — puis se prolonge en flèche — l'œuvre de Jean
Hûltz, terminée en i439 — jusqu'à une hauteurde 1^3 mètres
au-dessus du sol, accentuant encore par le détail de sa structure
l'impression de transparence et de légèreté que donne l'en-
semble de l'édifice.
A partir de la plate-forme, la tour passe du plan carré à
l'octogone. Les arêtes seules de ses huit angles, ornées de bas
en haut de clochetons superposés, sont massives. Sur les huit
faces au contraire s'ouvrent huit hautes baies terminées en
tiers-point, à jour, chacune d'elles divisée verticalement par
un seul meneau en deux longues baies interrompues à peine,
vers le milieu de leur hauteur, par quelques ornements
découpés également à jour. Ces huit baies sont couronnées
d'arcs en accolades à la hauteur desquels commence une sorte
de second étage, beaucoup moins haut que le premier : c'est
la surélévation due à l'architecte de la flèche, et non prévue
par son prédécesseur : on remarque, en efi'et, ici, à l'intérieur
de la tour, les naissances d'une voûte projetée par le premier
maître et abandonnée par le second. Dans les accolades que
nous venons de voir, passent des arcs renversés, dont le dessin
semble se prolonger par les arcs extrêmes de la tour, enca-
drant dans une sorte d'ellipse les baies de ce second étage,
moins hautes, mais de la même largeur que celles du premier,
et complètement libres, sans meneau vertical, sans ornement
i3
i46 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
horizontal. Le sommet de l'arc en tiers-point qui les ferme,
présente cette amusante particularité, jeu d'architecte du gothi-
que finissant, qu'en se rejoignant en ce point les moulures
des deux côtés de la fenêtre ne s'y continuent pas, mais s'y
répondent : ce qui est en relief au montant et à l'arc d'un
côté, redescend en creux de l'autre. Entre ces petites fenê-
tres et la base de la flèche, comme entre elles et les hautes
fenêtres au-dessous d'elles, les espaces intermédiaires sont
ornés d'élégantes et légères découpures. Autre jeu, enfin :
la voûte par où s'achève ce second étage et la tour avant d'ar-
river à la flèche, est double; ou, plus exactement, à la voûte
est suspendu par de petits piliers un réseau de nervures, avec
des fleurons pendants finement découpés.
Sur toute la hauteur de quatre des côtés de l'octogone,
s'élèvent, contenant les escaliers en limaçon, des tourelles
également à jour : seules aussi leurs arêtes sont massives, et,
jusqu'à la moitié de leur hauteur, ornées de colonnes de clo-
chetons, tandis que leurs faces présentent une suite de hautes
fenêtres, accompagnant en spirales les escaliers. Ces tourelles
ne communiquent avec la tour qu'à quelques mètres au-
dessous de leur plate-forme supérieure, par des pierres plates,
puisjusteàla hauteur de celle-ci par des galeries légères,
laissant ainsi voir des pans de ciel entre elles et la tour, comme
on en voit entre les découpures de la tour même. Elles se
terminent carrément par cette plate-forme, qu'entoure une
simple balustrade ajourée, mais que devaient peut-être cou-
ronner de petites flèches, comme l'a pensé Yiollet-lc-Duc,
d'après les dessins de l'Œuvre Notre-Dame et quelques amorces
qu'on aperçoit encore aux angles de la balustrade. — Ici en-
core, le jeu attire les architectes du temps, non seulement dans
l'ensemble de l'exécution, qui a la hardiesse d'une gageure.
*^^
Schéma de la tour et de la floche, d'après un dessin de Chapuy (1827).
i48 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
mais encore, parfois, dans les détails : les formes des tourelles,
qui paraissent semblables, diffèrent : le plan de deux d'entre
elles (celles de l'ouest) montre une circonférence centrale (proj ec-
tion de l'escalier en limaçon) murée dans un corps hexagonal
dont trois côtés s'épaississent en fortes saillies, celles de la tou-
relle sud-ouest en formes générales carrées, celles de la tourelle
nord-ouest en cannés munis d'antennes aux côtés extérieurs ; —
dans les deux autres (celles de l'est) , la projection de l'escalier est
en hexagone, et le corps extérieur en triangle, dont les saillies
aux angles présentent une pointe plus ou moins proéminente
flanquée de deux rectangles; — enfin, la tourelle du nord-
est offre aux curieux, jusqu'à la moitié de sa hauteur, l'amu-
sement d'un escalier double, deux rampes à limaçon tournant
autour d'un noyau unique et permettant à deux personnes de
monter simultanément en se parlant l'une à l'autre, mais
sans qu'elles puissent se voir.
Au bas de la tour, un peu au-dessus de la plate-forme d'où
elle s'élance, plusieurs statues : du côté ouest : l'Empereur, cou-
ronne en tête, globe et sceptre en main (Henri IV, l'empereur
excommunié et pénitent? Henri VII, empoisonné par un
moine?); le Moine, physionomie fortement expressive, et sans
lourdeur, malgré la disproportion de la tête avec le corps (le
confesseur d'Henri IV ? le moine qui empoisonna Henri VII?) ;
— du côté sud : deux figures de maîtres de l'Œuvre, qu'on a
prises longtemps pour les Juncker de Prag, un saint Laurent
et une sainte Catherine, qui sont postérieures toutes quatre au
Moine et à l'Empereur, et rappellent directement les statues
du Portail Saint-Laurent; d'autres encore, plus difficiles à dis-
tinguer, et dont nous avons parlé à propos du jubé ^.
I. Voir p. 9-10.
m^M^'Mù
m^-^-^'^ ^m^^^imM
m^
■> . • s
Z)
tu
h
<
I-
z
(0
Ul
o
UJ
>
C/)
UJ
■'— n
DESCRIPTION ARCHÉOLOGIQUE. 149
La flèche. — La base de la flèche continue l'octogone du
plan de la tour. — Seules aussi sont massives les arêtes, qui en
s'élevant dessinent une inclinaison vers un centre commun.
Elles sont surmontées chacune de six étages de petites tou-
relles droites, de plan hexagonal, toujours transparentes, qui
contiennent les escaliers : un escalier par arête. L'angle exté-
rieur de chacune de ces petites tourelles posant sur le noyau
de la tourelle inférieure qui la précède, les spirales des esca-
liers se suivent sans interruption, gironnant en sens inverse
d'une tourelle à la suivante, s' engageant l'une dans l'autre au
point de passage, ce qui permet d'avancer rapidement en
hauteur, dans un court espace en largeur. Ces petites tourelles
se terminent carrément, comme les quatre grandes qui flan-
quaient la tour jusqu'à la base de la flèche, mais peut-être
devaient-elles aussi être couronnées de pyramidions ajourés.
— Les espaces entre les arêtes sont également à jour. A la
hauteur de la deuxième série d'escaliers, de grands châssis
évidés indiquent les pans de la pyramide et unissent les
arêtiers. Les frontons de ces châssis portent les inscriptions
suivantes : à l'est : « Chrislas nos revocal w^ et : a Christus
gratis donat »; au sud : u Christus semper régnât », et :
(( Christus et imperat » ; à l'ouest : « Christus rex superat », et :
« Christus rex triumphat »/ au nord : (( Maria glorificat », et :
(( Christus coronat » .
Au haut des six étages de tourelles, la pyramide est tron-
quée. Un autre étage commence, qui de loin semble disposé
comme les précédents; en réalité, sa base n'est plus hexa-
gonale, mais carrée. Aux angles, quatre tourelles contenant
chacune un escalier permettent de poursuivre l'ascension. Ce
parallélépipède sert de plate-forme à la lanterne, massif octo-
gonal qui présente quatre faces pleines alternant avec quatre
i3.
i5o LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
faces évidées : la montée se continue par ces dernières, où
passent des degrés qui s'appuient sur le mur central de la
lanterne, mais qui n'offrent aucun soutien du côté extérieur.
Dernières formes : la lanterne s'élargit en une sorte de cor-
beille ; à l'intérieur de cette corbeille, huit colonnes portent
un dais et forment la couronne*, au milieu de laquelle il y a
encore des degrés autour d'une vis centrale; mais, plus haut,
la montée n'est plus possible que par des crampons de fer :
plus haut, — c'est le dais qui s'allonge, et s'évase ensuite en
une large fleur, pour se resserrer enfin en une colonne octo-
gone où s'attachent quatre branches horizontales formant une
double croix.
A cette (( masse de pierre toute pénétrée d'air et de lumière n ,
comme écrivait Victor Hugo dans ses Lettres sur Le Rhin, « lan-
terne aussi bien que pyramide, qui vibre et qui palpite à tous
les souffles du vent » , les admirations passionnées n'ont pas
manqué à travers les siècles. De notre temps la critique
est venue parfois y mêler sa voix : Viollet-le-Duc, qui ne
pardonnait pas à la construction d'Ulrich et de Hûltz ses tou-
relles terminées trop carrément, accordait qu'elle fût u une
des plus ingénieuses conceptions de l'art gothique à son
déclin », mais « une conception pauvrement exécutée ».
Aussi bien de telles réserves ne sauraient-elles troubler l'admi-
I. On a découvert des inscriptions jusque dans ces régions extrêmes
(« im oberslen Umbgang der Cronen », dit Schad (p. ^/|), répété par Grandidier
(p. 2 23) :« sur la première galerie de la couronne », et par tous leurs suc-
cesseurs) : les paroles de saint Jean sur l'incarnation du Christ : « Jésus Christus
verbixm carofadum est », — « Jésus Chrislus et habilavit in nobis » — , etc. ; —
et (voir Piton, Revue d'Alsace, i855, p. 508), sur les bouquets au-dessus «le
la couronne, au pied du dais, des écussons Renaissance portant divers mono-
grammes et inscriptions : armoiries de la ville, armoiries de l'Œuvre Notre-
Dame, monogramme et nom de l'architecte Heckler, etc..
DESCRIPTION ARCHÉOLOGIQUE. i5i
ration ^u'on éprouve à la vue directe de l'œuvre. Devant elle,
on ne pense pas aux pyramidions chers à Viollet-le-Duc ; on
ne remarque pas davantage que la tour et la flèche viennent
couronner, presque au milieu du xv^ siècle, une façade com-
mencée avant la fin du xiii^ ; loin de se heurter, les diiîérences
de style se fondent dans l'harmonie des lignes ; et la singula-
rité même de cette tour latérale unique n'apparaît plus que
comme une originalité devenue familière aux regards, « plus
belle encore que la beauté », dirait le poète. Toute cette flo-
raison — le mot de l'évèque Conrad revient à l'esprit — ,
toute cette floraison de lignes verticales qui, appliquées
d'abord sur l'immensité du mur depuis la base de l'édifice jus-
qu'à la plate-forme, se sont élancées ensuite librement, les
liantes baies étroites de la tour, les quatre tourelles qui l'ac-
compagnent, à peine rattachées à elle, enfin les arêtes dente-
lées de la flèche, — toute cette construction de grès merveil-
leusement faite de lignes roses où s'encadrent des pans de
lumière, étonne par sa hardiesse, mais, délicate autant que
majestueuse, elle charme et n'accable point. On aime à l'admi-
rer. On n'éprouve rien, ici, de cette tristesse lourde qui tombe
des voûtes romanes, — ni même de cette sérénité un peu grave
qui s'impose à l'âme dans la contemplation des nefs go-
thiques : rêve autant que prière, l'hymne de pierre s'élève,
rien ne l'arrête, il va se confondre, transparent et léger, dans
l'air libre et le ciel bleu.
i52 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
V
LES VITRAUX 1
La cathédrale de Strasbourg contient de nombreuses et
importantes verrières ^, d'époques différentes, et qui ont été
très maltraitées au cours des temps. Inclémences de la nature
et querelles des hommes ont trop souvent endommagé l'édi-
fice pour que la fragilité des vitraux n'en subît pas plus d'une
atteinte. Le bombardement de 1870, notamment, faillit leur
1. DiDRON, Iconographie chrétienne, Paris, Impr. royale, i8^3, in-4°. —
Abbé V. GuERBER, Essai sur les vitraux de la cathédrale de Strasbourg, Stras-
bourg, L.-F. Le Roux, i848, in-S". — L. Schnéegans, Vitrail du XII' siècle à
la Cathédrale de Strasbourg, représentant saint Candide, martyr, clans : Revue
d'Alsace, i853. — Abbé A. Straub, Le symbolisme de la cathédrale de Stras-
bourg, Strasbourg, Huder, i855, in-S". — Ferdinand de Lasteyrie, Histoire
de la peinture sur verre, Paris, Didot, 1867, in-4°. — Baron de Schauenbocrg,
Mémoire sur les plus importantes verrières d'Alsace, dans : Congrès archéolo-
gique de France, 26' session, 1859. — Baptiste Petit-Gérard, Quelques éludes
sur l'art verrier et les vitraux d'Alsace, Strasbourg, Berger-Levrault, i8Gi,in-8°.
— P.-E. Tuefferd, La vie et les œuvres du peintre-verrier Baptiste Petit-Gérard,
dans : Bévue d'Alsace, 1880. — L. Ottin, Le Vitrail, Paris, Laurens, 189G,
in-4°. — - Robert Bruck, Die Elsdssische Glasmalerei vom Beginn des XII*** bis
zum Ende des XVIP*" Jahrhunderts , Strasbourg, W. Heinricb, 1903, in-i",
avec 6 planches (et un album in-fol. de 81 planches). — Straub, Guilhermy,
DuMONT, Klotz, ouv. citês. — Pour préciser quelques détails relatifs aux tra-
vaux de restauration du xix* siècle, j'ai fait appel aux souvenirs de M. Pierre
Petit-Gérard, fils et ancien collaborateur de Baptiste Petit-Gérard; je le re-
mercie de la grande obligeance avec laquelle il a bien voulu me renseigner.
2. Klotz, Réparation générale (187^), p. 2g : « Tous ces vitraux placés
dans 71 fenêtres présentent un ensemble de 192 grandes figures, plus de
80 médaillons avec bustes et petits sujets, environ 3oo panneaux de scènes ou
sujets dans le style légendaire... Leur surface de verre exprimée en nombre
rond n'est pas moins de i 5oo mètres carrés découpés en plus de 5ooooo mor-
ceaux et assemblés en environ 4 Goo panneaux. »
u
_J
_l
o
Ll
LU
O
OU
>
^1
^1
a:
D
Ul
<
Z
UJ
H
DESCRIPTION ARCHÉOLOGIQUE. i53
être fatal : les ouvriers de l'Œuvre Notre-Dame avaient bien
réussi, tandis que tombaient déjà les projectiles, à démonter
tous les panneaux qu'on pouvait atteindre avec des échelles
ou par les galeries — 670 panneaux sur 4 600 — pour les
mettre en sûreté dans la crypte, mais il en restait encore
3 980 en place, sur lesquels i 221 furent totalement ou par-
tiellement brisés.
Aussi bien, diverses circonstances ont-elles été cause, pour
les vitraux, de détériorations particulières. Beaucoup d'entre
€ux ont subi des déplacements dangereux; on n'a d'ailleurs
pas toujours tenu compte des formes architecturales aux-
quelles ils étaient primitivement destinés, et quelques-uns,
faits pour des baies romanes, se sont retrouvés depuis, mal
raccordés, dans des baies gothiques. Plusieurs, en outre,
partiellement détruits, furent étrangement complétés par des
fragments disponibles de quelque voisin aussi mal en point.
Au xvm' siècle enfin, un contrat fut passé avec un vitrier
pour la réparation des vitraux, à raison de deux sols par
pièce remise en plomb, et le vitrier, pour multiplier les deux
sols, commença par multiplier les cassures.
Il est vrai qu'un grand travail de restauration a été entre-
pris au milieu du xix" siècle (sans parler des réparations rendues
nécessaires par les dégâts de la dernière guerre) : le peintre-
verrier Maréchal, de Metz, fit quelques vitraux neufs, qui ne
satisfirent sans doute pas le goût des Strasbourgeois éclairés
pour les restaurations savantes*; puis, à partir de 1 845-47»
I. L'érudit Louis Schneegans, bibliothécaire-adjoint de la ville, écrivit
lettres sur lettres, au Ministre, à Prosper Mérimée, inspecteur général des
Monuments historiques, pour essayer d'obtenir l'annulation de la convention
passée avec Maréchal au sujet des fenêtres du triforium, et il ne se consola
finalement d'être « vaincu n sur cette question qu'en pensant à sa victoire
prochaine sur u le point principal : la suite à donner à la remise en bon état
i54 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
Baptiste Petit-Gérard, avec beaucoup de patience et de science,
s'appliqua à restaurer les vitraux anciens, à les remettre
autant que possible dans leur état primitif. Mais un examen
détaillé de ces travaux nous entraînerait trop loin. Nous nous
contenterons d'avoir donné ces indications générales sur les
divers accidents qui ont affecté la plupart des verrières de la
cathédrale, sans rechercher, à propos de chacune d'elles, quel
déplacement certain, quelle réparation précise elle eut à subir,
— et nous avertissons simplement le lecteur que pour quelques-
unes d'entre elles, les restaurations équivalent à une réfection
presque totale, encore que respectueuse des témoins et de la
tradition. — Nous suivrons dans notre examen l'ordre actuel
des vitraux, en commençant par l'est de l'édifice.
Crypte. — Au fond de la crypte, un vitrail (i'*' moitié du
XIII* siècle) représente un ange aux ailes déployées, habillé
d'une longue tunique qui lui couvre les pieds ; il tient dans
la main droite le globe avec la croix, le sceptre dans la main
gauche.
Chœur. — Depuis la restauration générale du chœur en
i85o, la grande fenêtre qui en occupe le fond, contient
des anciennes verrières» (lettre à Mérimée, 3o juillet 1847, Archives desMonu-
ments historiques) : or, c'est précisément en 18A7 ^"® Petit-Gérard fut seul chargé
pour l'avenir de la restauration de toutes les verrières de la cathédrale. Un peu
plus tard, au Congrès archéologique tenu à Strasbourg en 1869, le baron de
Schauenbourg parla de Maréchal, de Metz, comme d'un artiste habile en
verrières neuves, mais facilement « rebuté par la rude et pénible tâche de
conscience et de patience de Hiire revivre de ses cendres » une verrière an-
cienne, tandis qu'il fit un éloge enthousiaste et sans réserve du peintre,
verrier strasbourgeois, Baptiste Petit-Gérard : « la main intelligente d'un
artiste profondément et spécialement dévoué à cet acte éminent de justice...^
la main d'un artiste blanchi sous les arceaux du dôme..., la main d'un artiste
initié à tous les secrets de la peinture sur verre... » Mémoire cité, p. aao.
DESCRIPTION ARCHÉOLOGIQUE. i55
un vitrail de Baptiste Petit-Gérard, d'après un carton de
Steinheil. Ce vitrail représente la Vierge, les bras étendus,
avec l'Enfant sur ses genoux, telle qu'elle figurait sur l'éten-
dard de la ville et sur un panneau du xiii*" siècle qui ont
disparu pendant le bombardement de 1870, dans l'incendie
de la Bibliothèque Municipale.
Au nord, une figure de saint Henri, bienfaiteur de la cathé-
drale (milieu du xiii^ siècle) ; il est représenté debout entre
deux colonnes surmontées d'un arc en plein cintre où est
inscrit le nom du personnage ; il porte une couronne à trois
fleurons, un sceptre dans la main droite, dans la main gauche
le globe avec une croix au centre; par-dessus sa tunique, un
manteau, retenu au cou par une grande agrafe carrée.
Au sud, sainte Catherine (même époque). Les ornements
architecturaux représentés sur ce vitrail sont pareils à ceux
du précédent, La sainte est habillée d'une longue tunique
qui lui laisse le bras gauche libre, et qu'elle retient de sa main
gauche qui porte en même temps la palme ; sur la tête, une
couronne à larges fleurons.
Croisillon sad. — Les deux roses au-dessus du portail du
croisillon sud (milieu du xiii* siècle) comprennent chacune
une petite rose centrale, entourée d'un cercle de huit roses
tangentes les unes aux autres, qu'entoure un second cercle,
de huit roses aussi, mais séparées par des intervalles vitrés.
On y lit, non sans peine, une comparaison mystique entre les
sacrifices de l'Ancienne Loi et ceux de la Loi Nouvelle, qui
rappelle très directement, jusque dans les détails, le Horlus
deliciarumK
I. Voir édit. citée, pi. xxii et xiui, et p. 1O-19. Le grand cercle qui
entoure la Nouvelle Alliance (pi. xxiii) porte la légende suivante : « Cédai
i56 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
L'ensemble des dix-sept roses de gauche représente l'An-
cienne Loi. Au centre, un personnage à deux têtes, avec l'in-
scription en latin : « Duodecim prophète », image symbolique
des prophètes, qui voit l'avenir comme le passé. Dans les
médaillons qui forment le premier cercle autour de la rose
centrale, des bustes de femmes portant les offrandes des sa-
crifices, avec inscriptions latines explicatives autour des mé-
daillons : l'agneau de l'innocence, « in agno propter innocen-
ciam )), ou le bouc du péché, « in hyrco propter similitudinem
carnis peccati ». Enfin, au second cercle, à la droite des deux
médaillons du haut où des ornements remplacent sans doute
d'anciennes figures disparues, on distingue assez bien, dans
les suivantes, Moïse avec les tables de la loi, puis Abraham
avec le couteau du sacrifice, ou encore, dans le dernier de la
série, à gauche, le chandelier à sept branches.
La rose de droite représente la Nouvelle Loi. Au milieu, le
buste de Melchisédech, figuration de Jésus-Christ, d'après
l'abbé Straub, « type de l'oblation eucharistique du pain et du
vin », dit l'abbé Guerber. Dans les médaillons qui l'entourent,
les vertus chrétiennes, Sobrietas, Castiias, Justitia, Pauper-
tas, etc., représentées par des bustes de femmes. Dans les
médaillons du second cercle, d'autres vertus encore, et les
quatre Évangélistes, bustes d'hommes avec tètes de lion,
d'aigle, de bœuf, d'ange, et, dans le médaillon du haut, le
Christ bénissant.
Au-dessous des deux roses, les fenêtres en verre blanc an-
térieures ont été remplacées, en 1847. P^^ ^^^ vitraux de
Petit-Gérard qui ne se contentait pas, on le voit, de son grand
ovis, capra, bos. sit victima vera sacerdos » — « Qu'il ne soit plus question
d'immoler des brebis, des chèvres et des boeufs ; la vraie victime sera le prêtre
lui-même. »
DESCRIPTION ARCHÉOLOGIQUE. ,5
KrÏ-r! ''t"'"i?;'*' '"™"^ représentent les quatre
Evangehstes Marc, Mathieu, Jean et Luc. dans la partie su-
peneure des fenêtres, -les quatre grands prophètes, Ëz&hiel.
Jeremie, Daniel et Isaïe, dans la partie inférieure
saiMrT'i-^/ ''''•• '•V;^^^^"^''<= ''horloge, quatre personnages,
sain Candide, saint Victor, saint Maurice, saint Exupère le
-rtvrs de la légion thébaine • (fin du ..«siècle, mais refait
lances ou glaives, cottes de mailles et grands boucliers pointus
casques cy indriques dont lun à nasal, ils portent le fostume
de guerre du .11= siècle, tel qu'on le voit dans le HoHus delicia-
vl ■' ^ r ""^""f, ■""■•• P'"^ près du chœur, au-dessus de
Luit m-f ; T"" ^«'"'-^"dré, un saint Christophe de
huit mètres de haut, portant l'Enfant Jésus sur l'épaule
auche (x,„- SI de), la plus grande figure sur vitrail que^'on
-onnaisscLa légende de ce saint était très répandue au moven
ge - le robuste saint Christophe passant un fleuve, l'Enfant
nin sur son épaule _ et d'elle était née cette croyance qu'on
>e pouvait mourir subitement dans la journée où l'onT^^a"
■u son image : de là, les dimensions colossales de la plupart
les représentations de saint Christophe». Dans la fenêtre vIL
.. Dioclétien avait envoyé dans les Gaules son coUèene de ?'Fn,„- « •
..ai. c. converti; ^^t::^^,:^^:^:^'-^. '""-."=
jU R.fo™e:.an., ae .en.e.si.pito:L\v^:;itS3^^^^^
I «
,58 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
sine à gauche du spectateur, se partageant la hauteur du
a"; géfnt, saint Mathieu, en haut, saint Barthélémy, en bas
(.'• moitié du xu.' siècle), tous deux assis, tenant un livre a la
"" En face, au mur ouest, saint Florent, à gauche saint Biulfe,
à droite (I" moitié du xiV siècle), au-dessous desquels deux
bordures représentent, lune, deux hommes portant un ton-
neau, suivis d'un troisième qui porte une hotte. 1 autre deux
hommes tirant et poussant un bœuf par les cornes : signa-
tures probables - et rares dans cette éghse - de donateurs
qui furent ici sans doute la corporation des vignerons et celle
des bouchers.
Croisillon nord. - Les deux roses du croisillon nord sont
beaucoup plus simples que celles du croisillon sud. El es son
divisées chacune en six compartiments par des rayons qu
nartent d'une petite rose centrale, le verre blanc domine, et
Ln'es que près du centre qu'elles sont garnies de verres de
couleur à orn'ement végétal. - Au-dessous de ces deux ro
s'élèvent deux fenêtres autrement vivantes. Celle de droite
; moitié du xii- siècle) comprend quatre médaillons, 1 un
au-dessus de l'autre; les trois premiers (à commencer par le
bLtprésententle Jugement de Salomon ; dans le quatrième
eelii ^en haut, un ange, chaussé, à ^^^^^IT^^;^
qui rappelle par ce détail la tradition byzantme d adleurs re
rnnai%eàplusd'unautreindicedanscesvitraux;ilpench
le corps légèrement en avant et plie le genou gauche ^ il s ap
pro:h^ de'la Vierge qui occupe la partie co-spon -te <!
vitrail voisin, il va se mettre à genoux devant elle . c est 1 ang
,a porte d, l'égli» (pour la transporter à l'hôpiUl i. la ville) ,u'ap.c. lui avoi
coupé les pieds et les mains.
DESCRIPTION ARCHÉOLOGIQUE. lôg
de l'Annonciation. — Dans le médaillon du haut de la fe-
nêtre de gauche (même époque), voici la Vierge, en effet,
assise, les mains faisant le geste de prière ; autour du mé-
daillon, des sarments stylisés s'achèvent en fleurs de lis. Le
restant de la fenêtre se divise en trois panneaux. Celui qui
est juste au-dessous de la Vierge représente, sous des arcs en
plein cintre supportés par des colonnes à chapiteaux romans,
saint Jean-Baptiste, à gauche, saint Jean l'Evangéliste, à
droite, tous deux vêtus d'une sorte de toge romaine, et tenant
des phylactères. Les deux panneaux inférieurs, un peu moins
anciens sans doute (commencement duxiii* siècle), offrent un
décor analogue : des arcs aussi, mais retombant sur une
colonne plus mince, avec des chapiteaux à crochets postérieurs
aux précédents; dans les arcs de l'avant-dernier panneau,
le roi Salomon et la reine de Saba; du dernier, David et
Salomon.
Au mur est, un Christ sur son trône, bénissant de la main
droite, tenant l'Évangile de la main gauche, et, au-dessous
de lui, le diacre saint Laurent, debout, appuyé sur le gril,
les cheveux apparaissant bouclés de chaque côté de la tonsure
(fin du xii** siècle); au bas, en bordure, trois petits bustes de
femmes, nimbées, les mains jointes, représentant peut-être la
Foi, l'Espérance et la Charité (en partie restaurées, et d'ailleurs
moins anciennes). — Dans la fenêtre voisine, proche du chœur :
en haut, sous un dais, la Vierge (milieu du xiii' siècle), la
tête couverte d'une étoffe blanche, portant sur le bras gauche
l'Enfant Jésus, vêtu de blanc : geste tendre de l'Enfant qui de
sa main droite touche le menton de sa Mère, geste protecteur
des mains maternelles, visage de la Mère un peu penché à
droite, les yeux dans les yeux de l'Enfant, tout le groupe est
plein de douceur et de vie. Au-dessous, saint Jean-Baptiste
î6o LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
(même époque), debout, montrant de sa main droite l'Agneau
peint sur la patène qu'il tient dans le bras gauche. La bordure
bleu et azur qui encadre l'ensemble de ces deux figures rap-
pelle l'écusson de vair des pelletiers et fait supposer que ce
vitrail (ou un vitrail plus ancien qu'il remplace? peut-être un
saint Jacques, patron des pelletiers?) fut un don de la corpo-
ration.
Au mur ouest, une Vierge orante, et, au-dessous, un saint
Martin ; à peine quelques fragments sont anciens.
Bas-côté nord. — Les cinq fenêtres du bas-côté nord con
tiennent la célèbre série des rois.
La première et la deuxième (les plus éloignées du 'chœur)
sont les plus anciennes (première moitié du xiii^ siècle) : un
Henri (Henricus rex, dans la circonférence du nimbe), un
Frédéric, puis d'autres, plus sûrement reconnus : Henri H le
saint, surnommé de Bamberg (Henricus Babinbergensis) parce
qu'il résidait habituellement dans cette ville, Otto, Otto H,
Otto ni, Conrad, avec un jeune prince devant lui (le futur
Henri HT). — Dans les trois dernières baies (milieu du
XIV* siècle), un Philippe (de Hohenstaufen?), puis de nouveau
Henri de Bamberg (peut-être parce que les bienfaits dont il
combla la cathédrale lui donnaient droit à une représentation
supplémentaire?*), puis sans doute encore le même, sous le
I. Ou à cause du fait raconté par Grandidier, oav. cité, p. 20 : lors d'ua
voyage à Strasbourg, en 1012, l'empereur renonça à la couronne et voulut se
faire recevoir chanoine ; l'évêque Wernher, pour annuler l'effet de ce dessein,
l'accepta comme chanoine d'abord et lui fit d'après les conciles prêter obéis*
sance à l'Église, puis lui proscrivit, au nom de cette Église, de reprendre la
couronne? Ou plus simplement à cause de quelque inadvertance, lorsque cette
galerie des princes remplaça, totalement ou partiellement, une galerie
■antérieure?
CATHÉDRALE DE STRASBOURG
LE CHRIST AUX OLIVIERS
1
DESCRIPTION ARCHÉOLOGIQUE. i6x
nom de Rex Henricus Claudus (le Boiteux, infirmité qui lui
était survenue lors d'un voyage à Rome où il s'était démis la
jambe), puis l'empereur Frédéric Barberousse (Fredericus im-
perator submersus, ainsi désigné, le Noyé, parce qu'il était
mort en se baignant dans une rivière de Gilicie) ; — ensuite,
la fenêtre de Charlemagne : Charles Martel, père de Pépin le
Bref (Karolus d{i)c{tu)s Martel Pater Bippini), Charlemagne,
{Karolus magnus rex). Pépin (Rex Bippinus Pater Karoli),
Louis le Débonnaire (Ludovicus rex filius Karoli); — enfin,
la descendance de Louis le Débonnaire : l'empereur Lothaire
et ses trois fils, Louis II, qui fut roi d'Italie et empereur,
Lothaire II (quoique l'inscription l'appelle aussi, sans doute
par erreur, Ludovicus), qui reçut la Lotharingie, et Charles,
qui régna sur la Provence. — Tous ces princes ont la tête
ornée du nimbe, quoique presque aucun ne soit reconnu
comme saint; sans doute faut-il voir là un souvenir de la
tradition byzantine : les princes considérés comme délégués
de Dieu. Tous portent la couronne fleuronnée ou fleurdelisée,
tous également le globe et le sceptre, sceptre à fleurons trilo-
bés dont la forme aboutit parfois à la parfaite fleur de lis des
armes de France. Ceux des deux premières fenêtres sont
couverts du manteau qui retombe simplement; le vêtement
des autres est plus compliqué, leur maintien aussi, les coudes
à l'étroit perçant la bordure du vitrail, le sceptre mal assuré
entre les premiers doigts, le petit doigt recroquevillé.
La fenêtre du narthex, de ce côté, est à quatre lancéolés
divisées horizontalement en six compartiments (commence-
ment du XV' siècle). La première, la troisième et la cinquième
rangées horizontales (en commençant par le haut, à gauche)
contiennent des scènes de l'Ancien Testament : la création
d'Adam et d'Eve, Adam et Eve chassés du Paradis, Adam labou-
i4.
i6:3 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
raiit la terre, le meurtre de Gaïn, l'arche de Noé. Les rangées
intermédiaires sont occupées par des médaillons représentant
le Christ tenant le globe d'une main et bénissant de l'autre ;
les ornements qui remplissent l'intervalle entre les médail-
lons renferment, dans leurs enroulements, des lettres isolées
dont on n'a pas encore pu déterminer le sens avec certitude.
Bas-côté sud. — Les vitraux des quatre premières fenêtres
du bas-côté sud (2^ moitié du xiv^ siècle) représentent la vie
du Christ.
Elles sont divisées en quatre lancéolés. — Le premier groupe
(le plus proche du chœur) est consacré plus spécialement à
la vie de la Vierge ; on y voit, entre autres scènes (en com-
mençant par le haut, ''à gauche) : l'Ange apparaissant à sainte
Anne, la Naissance de Marie, son Mariage, l'iVnnonciation,
l'Adoration des Mages, la Fuite en Egypte, le Christ enfant
au temple. Au-dessous, une bande s'étend sur toute la lar-
geur de la fenêtre, avec l'inscription : Ave Maria Graiia
Blena (sic). — Le groupe suivant est plus proprement la vie
du Christ : le Christ et la femme adultère, la résurrection de
Lazare, Madeleine aux pieds du Christ, la guérison du para-
lytique, le miracle des pains, la guérison du lépreux, le ser-
mon sur la montagne. — La troisième fenêtre est celle de la
Passion : (en commençant en bas, à gauche) l'entrée de Jésus-
Christ à Jérusalem, la Cène, le Christ au Jardin des Oliviers,
la trahison de Judas, la flagellation, le couronnement d'épines,
le Christ crucifié entre les deux larrons, la mise au tombeau.
Sur là bande inférieure, l'inscription allemande : « Diz bezei-
chnet die Marier unsers Herren JHV. XPI. der uns hat erloset
vo de ewig Tode » (« Ceci représente la Passion de Noire-
Seigneur Jésas-Chrisl qui nous a délivrés de la mort éternelle »).
DESCRIPTION ARCHÉOLOGIQUE. i63
— Dans la quatrième fenêtre, les scènes qui ont suivi la mort
du Christ : la descente du Christ dans les limbes, la Résur-
rection, les anges apparaissant aux Saintes Femmes, Jésus-
Christ apparaissant aux Apôtres, la pêche miraculeuse, l'As-
cension. En bas, l'inscription : « Got brach der Helle Tar und
nam die. sinen herfur und erstant am driten tag sad (lettres
transposées, pour das) was Tiefel grosse Klag » (« Dieu brisa
la porte des limbes et en fit sortir les siens, il ressuscita le troi-
sième jour, ce qui fut une grande plainte du diable »). — La cin-
quième fenêtre est divisée en trois lancéolés et représente le
Jugement dernier : dans les deux premières lancéolés, cou-
pées en divisions horizontales, les justes élèvent leurs regards
d'adoration vers le ciel où trône le Seigneur; dans la troisième,
un diable colossal.
Le vitrail du narthex de ce côté (commencement du xv* siècle)
représente encore un Jugement dernier (dans des médaillons :
le Christ assis sur un trône, entouré de la Vierge, de deux
saintes et des douze Apôtres), et aussi les œuvres de miséri-
corde appliquées au Christ : le Christ à qui on donne des
vêtements, du pain, un logis, suivant la parole rappelée par
les inscriptions allemandes dont on peut distinguer quelques
détails : « Do ich hungerik was ir spiset mich nût... )) « J'avais
faim et vous ne m'avez pas donné à manger... ))
Chapelle Sainte-Catherine. — On ne trouve sur les vitraux
de la cathédrale de Strasbourg aucune date, aucune inscrip-
tion votive, aucun blason qui permette de les attribuer à une
époque et à un artiste certains. Seuls, ceux de la chapelle
Sainte-Catherine sont considérés généralement comme l'œuvre
du peintre-verrier Jean de Kirchheim, à cause de la corréla-
tion entre l'époque de la construction de cette chapelle (i 33 1-
i64 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
13/49) ^* ^®^^^ ^^ vivait à Strasbourg cet artiste, qualifié
« pictor vitrorum in ecclesia argentinensi » dans un testament de
i348. Ces fenêtres sont au nombre de six, en deux groupes,
comprenant chacun une fenêtre à trois compartiments entre
deux fenêtres à deux compartiments ; la forme de ces lan-
céolés est très allongée (moins de o'",4o de largeur pour
plus de 6 mètres de hauteur). Les quatorze figures représen-
tent les douze Apôtres, généralement avec leurs attributs,
puis Madeleine et Marthe ; les noms des personnages sont in-
diqués sur la bordure horizontale au-dessus des têtes. Entre
les mains de chaque Apôtre, un phylactère portant une strophe
du Credo. Apôtres et saintes sont] couverts, dans la partie su-
périeure du vitrail, d'ornements d'architecture très élevés.
Chapelle Saint-Laurent. — Cette chapelle, primitivement
consacrée à saint Martin, comme on l'a vu, avait été garnie
d'abord de vitraux retraçant la vie de ce saint; mais de ces
vitraux de l'origine il ne reste rien. Ceux qu'elle contient,
(2" moitié du xiv^ siècle) proviennent de l'ancienne église des
Dominicains (aujourd'hui : Temple-Neuf), et il a fallu les
mutiler pour les faire entrer (i833) dans les baies existantes,
fragments rassemblés parfois sans ordre ni discernement.
Deux des fenêtres de la chapelle sont pourtant lisibles et inté-
ressantes. Divisées chacune en trois compartiments de six
panneaux sur la hauteur, elles représentent, dans trois des ran-
gées horizontales, des scènes de la Passion (Noli me tangere, la
Cène, le Christ sur la croix) ;^dans les trois autres, alternant
avec les précédentes, de petits médaillons montrent l'image
du Christ, le globe dans une main et bénissant de l'autre, et,
au-dessus de lui, de chaque côté, une autre petite image repré-
sentant un prophète en buste avec une banderole explicative.
CATHÉDRALE DE STRASBOURG
LE BAPTISTÈRE
DESCRIPTION ARCHÉOLOGIQUE. i65
Triforiam. — Les vitraux du triforium sont modernes. Ceux
du nord, qui sont de Maréchal (quelques-uns de Petit-
Kjérard), représentent les ancêtres royaux du Christ depuis
Jessé. Ceux du sud, œuvre de Baptiste Petit-Gérard, Pierre
Petit-Gérard et Ferdinand Huguelin, d'après les cartons de
Steinheil, font remonter la généalogie du Christ jusqu'au
premier Adam; les dernières baies ont seules conservé les
panneaux d'ornementation (reproductions de panneaux an-
ciens) qui les occupaient jusqu'au travail de Petit-Gérard.
Nef. — Au nord, et en commençant du côté du chœur,
la première des hautes baies de la nef (2* moitié du xiii" siècle)
contient, dans le haut des lancéolés, quatre figures de papes
{S. Clemens, S. Sixtus, S. Urbanus, S. Silvester) et, dans le
bas, quatre diacres (S. Stephanus, S. Laurencius, S. Vincen-
•cius, S. Ciriacus) ; tous barbus, ils ont des visages semblables
et les mêmes attitudes rigides ; les papes portent le palUum
blanc à croix noires, ils sont coiffés de la tiare à une seule
couronne, sorte de bonnet en forme de cône, tiennent
l'évangéliaire de la main gauche et bénissent de la main
droite ; les diacres, leurs cheveux bouclés autour de la tonsure,
tiennent d'une main des palmes et un livre de l'autre. — Dans
la deuxième fenêtre, toujours sur deux rangées, huit guerriers-
martyrs (première moitié du xiii* siècle), vêtus de cottes de
mailles, l'épée ou la lance dans la main droite, le bouclier à
gauche. — En regardant la troisième baie, on est frappé d'abord
par la grandeur des deux figures de droite, qui dépassent de
beaucoup leurs voisines : on les appelle Dux^c/iacius (celui du
haut) c* Dax Marais (celui du bas), martyrs en costumes de
chevaLv^rs, l'un tenant son épée des deux mains, la pointe
tournée vers le haut, l'autre s'appuyant sur la sienne de la main
i66 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
droite. Les six autres figures de cette fenêtre, qui sont sans
doute moins anciennes (commencement du xiv^ siècle :
S.Arbogastus, S. Maximinus, S. Amandus, en haut, S. Sola-
rius, S. Valentinus, S. Justus, en bas), commencent la série
des évêques, — qui ne furent pas tous évêques de Strasbourg,
et qui ne sont nullement placés dans l'ordre chronologique.
Ils portent l'ancienne mitre basse en forme de bonnet pointu,
et un triple vêtement — aube, tunique, chasuble — qui les
drape sans raideur; au-dessus de chacun d'eux, un pinacle,
où l'on aperçoit, sur les clochetons, des petits oiseaux qui
rappellent un détail analogue d'une autre église alsacienne
(Westhoifen). L'évêque Valentin rappelle d'ailleurs très pré-
cisément, par toute son attitude, par la manière dont il tient
sa crosse et la pose sur le bord de la fenêtre, un saint Martin
de cette église. — La quatrième et la cinquième fenêtre
(même époque) sont occupées chacune par huit évêques,
saints ou non; le nimbe porte toujours les noms, mais quel-
ques-uns ne sont pas précédés de l'initiale du mot Sanctas. —
La septième fenêtre (la sixième étant occupée par les orgues)
est un peu postérieure (fin du xiv* siècle) et très différente.
Elle est à deux lancéolés divisées chacune en sept panneaux.
Dans les deux panneaux supérieurs, sous l'arc en tiers-
point qui termine les lancéolés, deux « prophètes « à
barbe blanche, avec des banderoles : l'un est Ezéchiel,
l'autre le philosophe Aristote (sa banderole porte : u Aristo-
tiles dicit »). L'ensemble des douze panneaux inférieurs
représente le combat des Vertus et des Vices ; les unes et les
autres sont également personnifiés par des femmes, aux che-
veux flottants, généralement avec un mince bandeau autour
de la tête ; les Vertus armées de lances terrassent les Vices ;
des banderoles indiquent leurs noms : (à gauche, de haut en
DESCRIPTION ARCHÉOLOGIQUE. 167
bas) l'humilité opposée à l'orgueil, la foi à l'idolâtrie, la
simplicité à la ruse, la tempérance à la gourmandise, la
justice à l'iniquité; — (à droite, de haut en bas) l'espérance
au désespoir, le courage à la trahison, l'union à la discorde,
la chasteté à la luxure, la bienfaisance à la cupidité, la cha-
rité à l'envie. On retrouve, non seulement dans le sujet,
mais encore dans certains gestes (le maniement des lances,
la physionomie des Vices blessés par leurs pointes) le
souvenir de la statuaire du portail voisin ; d'autres vitraux
alsaciens (Niederhaslach) représentent d'ailleurs le même
sujet, avec une disposition presque pareille, quoique avec plus
de recherche dans le vêtement et de correction dans le
dessin.
Au sud, la première fenêtre (proche du chœur) de la nef
contient douze figures (fin du xiii° siècle) distribuées en quatre
compartiments verticaux : trois par compartiment, l'une au-
dessus de l'autre, immédiatement, sans aucun ornement
architectural pour les couvrir et alterner avec les figures,
comme dans les autres verrières de la nef. Ce sont des figures de
saintes (en commençant par le haut, à gauche : la Vierge
avec l'Enfant, puis S. Catarina, S. Cecilia, S. Odilia,
S. Margarita, S. Aurélia, S. Agnes, S. Attala, S. Rosina,
S. Lacia, S. Brigida, S. Barbara), assez semblables les
unes aux autres, quelques tètes tout à fait de face, les
autres légèrement penchées, toutes tenant des palmes d'une
main, l'autre main sur la poitrine. La Vierge est très
douce, très humaine, sans couronne, les bras de l'Enfant ca-
ressant le menton de la Mère. Catherine et Marguerite
sont seules couronnées. — Dans la fenêtre suivante (commen-
cement du xiv' siècle), il n'y a que huit figures (quatre lan-
céolés, mais deux figures seulement dans chacune d'elles);
i68 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
c'est la suite des saintes; debout sous des pinacles, elles-
tiennent toutes des palmes, quelques-unes portent, en outre,
la lampe des Vierges Sages. — Les trois autres fenêtres (même
époque) achèvent la série; toujours huit figures de saintes dans
chacune, toutes avec un diadème sur la tête et des palmes dans-
une main, l'autre main tenant un globe ou relevée vers le cou et
touchant le collier. — La sixième fenêtre (sans doute posté-
rieure : fin du xiv^ siècle ; une de celles qui ont le plus souffert
du bombardement de 1870), quoique divisée de la même ma-
nière que les précédentes, s'en distinguecomplètement. La moi-
tié supérieure des lancéolés est remplie par l'ornementation
architecturale, la moitié inférieure est occupée par les person-
nages : un par compartiment ; mais, malgré cette division, l'ar-
tiste a eu le dessein de représenter une scène d'ensemble : le
Jugement de Salomon. Les trois personnages de droite ont leurs
visages tournés vers le personnage de gauche. Celui-ci figure
Salomon sur son trône, le sceptre dans la main gauche, la
main droite désignant le deuxième compartiment; ici, c'est
la vraie mère, costume et attitude simples, à genoux sur des
marches qui appartiennent au trône du roi; puis, dans le
troisième compartiment, le bourreau, appuyé sur sa grande
épée, et portant sur le bras gauche un enfant d'aspect trop
âgé; enfin, la fausse mère, trop élégante, les cheveux épars^
incomplètement couverts, la main droite levée, la gauche
dans sa riche ceinture. Des inscriptions, le long de la bordure
des fenêtres, expliquent ces divers gestes : « Der Kunic ach Ez
ist din so din Kindelin » (« Le roi : ah ! cest le tien, cest ton
petit enfant »)... a Sol ich daz Kinl slahen in zwey i) (« Dois-je
couper V enfant en deux? »)... — La dernière fenêtre contient
une Adoration des Mages, moderne (Maréchal?).
Presque complètement détruite par un orage en i84o, la
DESCRIPTION ARCHÉOLOGIQUE. 169,
grande rose de la façade occidentale^ toute d'ornementation,
végétale, a été refaite par Petit-Gérard en i845.
VI
MOBILIER
La chaire qui s'élève dans la nef, au côté nord, adossée au
troisième pilier (en venant du chœur), est celle qui fut con-
struite en i486 par Jean Hammerer pour le prédicateur Geiler
de Kaysersberg * . C'est une chaire en pierre, dans le style
gothique fleuri du xv" siècle, riche de statuettes et d'orne-
ments très fouillés : « merveille de délicatesse », a noté Taine,
et il ajoute, à propos d'elle : « le gothique, en finissant, tourne
au bijou ^. » Elle repose sur un pilier octogone central entouré
de six colonnettes qui la soutiennent aux angles ;. sur les faces
du pilier, dans des niches abritées par des dais, les statuettes
de la Vierge et des quatre Évangélistes avec leurs attributs
dans les soubassements ; des saints, des martyrs, des Pères de
l'Église, sur la face extérieure des colonnettes. Le corps même
de la chaire présente, au centre, le Christ sur la Croix, entre
la Vierge et saint Jean, entourés des Apôtres, toujours dans
des niches ; aux colonnettes de séparation de ces niches, des
anges avec les instruments de la Passion. Une « figure immo-
deste », comme dit Grandidier^ (moine et béguine voisinant
de trop près), était sculptée sur le bord antérieur de la chaire
1 . Voir page 34 •
2. Carnets de voyage [i8ô5], (Paris, Hachette, 1897, in-i6), p. SSy.
3- Oav. cité, p. 371.
i5
170 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
(ou sur l'appuie-main de la rampe de l'escalier ?) dès le temps
du prédicateur Geiler, et ce « monument qui était alors,
— ajoute Grandidier, — moins un objet de scandale que
d'instruction publique » n'a été enlevé qu'en 1764.
L'abat-voix contemporain de la construction de la chaire a
été remplacé en 161 7; celui-ci, démoli par précaution, en
même temps que la chaire au début de la Terreur, n'a pas
été remonté avec elle. L'abat-voix actuel est une œuvre de
Vallastre et date de i834-
Le baptistère (devant le portail roman du croisillon nord)
est, lui aussi, un curieux a bijou » de l'époque fleurie, et qui
est dû, comme on l'a vu plus haut, à Jodoque Dotzinger.
maître de l'œuvre (i453).
Plusieurs orgues, successivement, depuis 1260, date des
plus anciennes, ont précédé les orgues actuelles, et toujours à
la même place, dans la sixième travée du triforium nord.
Les orgues actuelles ont été construites en 1713-1716, par
André Silbermann ; elles sont composées de 4o registres et de
2 242 tuyaux.
Le bufl'et polychrome est celui qui contenait déjà les orgues
précédentes ; il date de 1 489 * .
Parmi les quatorze autels de la cathédrale, le plus intéres-
sant est l'autel à triptyque, avec sculptures et peintures,
œuvre du xvi*^^ siècle (i522), qui se trouve au pied du chœur
(dans la nef, au sud). Au milieu du triptyque s'élèvent les
trois statues de saint Nicolas, saint Pancrace et sainte Gathe-
I. Voir p. 35, ce qui concerne les Roraffen.
DESCRIPTION ARCHÉOLOGIQUE. 171
rine, au-dessous desquelles cinq petites niches abritent les
bustes du Christ et des Apôtres ; sur le côté intérieur des deux
volets sont figurés en relief la Naissance du Christ et
l'Adoration des Mages; à l'extérieur, en peinture, saint Cor-
neille, pape, saint Pancrace et sainte Catherine.
Il faut signaler aussi le somptueux autel de la chapelle
Saint-Laurent, élevé, en partie à leurs frais, par huit menui-
siers qui étaient venus s'établir à Strasbourg à la suite des
armées de Louis XIV.
Le maître-autel est l'ancien autel de Massol (1765), mais
qui, après avoir été démoli pendant la Révolution, fut re-
construit, plus modeste qu'à l'origine, en 1 807-1809.
Le groupe du « Mont des Oliviers » * . — Entre la chapelle
Sainte-Catherine et la partie de la clôture ogivale du xviii''
siècle qui aboutit, de ce côté, au portail de l'Horloge se trouve
une petite chapelle, consacrée à saint Michel, qui contient un
célèbre groupe de pierre : Le Mont des Oliviers. Il date de la fin
du XV* siècle : un bourgeois de Strasbourg, Nicolas Rœder, le
fît ériger au cimetière derrière l'église Saint-Thomas en 1498.
Au commencement de la Réforme, ce groupe fut transporté
dans une maison de béguines de la rue Sainte-Elisabeth.
Depuis 1667, il est à la cathédrale, où il eut sa place succes-
sivement dans la chapelle Sainte-Catherine, dans la crypte,
et enfin dans la chapelle qui l'abrite actuellement.
L'œuvre se compose de plusieurs statues au premier plan,
et, plus loin, de nombreux personnages en relief. Les statues
sont celles du Christ à genoux, de l'ange, sur un rocher,
qui lui montre le calice, et des trois disciples endormis. Les
r. Outre PiToji, Kraus, Meyer-Altoha, oiiv. cités, voir : L. Schneeoans,
L'église de Saint-Thomas d Strasboarg, Strasbourg, Schuler, iS^a, in-8°.
172 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
personnages en relief représentent, guidés par Judas, les sol-
dats et le peuple descendant de Jérusalem, dont on aperçoit,
•en haut, au fond, les maisons et les tours. La belle sérénité
douloureuse du Christ en prière, l'agitation de la foule qui
se presse, curieuse et haineuse, donnent à cet ensemble beau-
coup de grandeur et de vie.
L'horloge^. — Une première horloge, construite en i352, —
peu après celle de Padoue, avant celle de Paris (l'horloge de
la tour du Palais), — était placée dans le croisillon sud, comme
l'horloge actuelle, mais au mur ouest; on voit encore, dans le
mur qui fait face à l'horloge d'aujourd'hui, les consoles en
pierre qui servaient à soutenir l'ancienne. Cette première hor-
loge offrait déjà quelques-unes des curiosités qui se sont trans-
mises dans les horloges suivantes, sous une forme identique
ou analogue : le coq chantant et battant des ailes, trois mages
s'inclinant, au coup de midi, devant la Vierge. Le défaut d'en-
tretien, la rouille finirent par paralyser le mouvement, et, en
1547, l'CEuvre Notre-Dame décida la construction d'une
horloge nouvelle.
Par suite de divers incidents, le projet ne reçut d'abord
I. Projet pour la réparation, le perfectionnement ou la construction à neuf de
.l'horloge astronomique de la Cathédrale de Strasbourg, par M. Schwilguk,
artiste mécanicien, horloger et professeur de mathématiques, dans : Journal
de la Société des Sciences, arts et agriculture du Bas-Bhin, 1837. — Fargeaud,
iRapport à la Section des Sciences physiques et mathématiques, db Cusst,
Rapport à la Section des Beaux-Arts, dans : Congrès Scientifique de France,
(lo* Session, Strasbourg, 18^2), Paris, Derache, i843, 2 vol. in-8". —
"Ch. Schwilgué, Description abrégée de l'horloge astronomique de la Cathédrale
de Strasbourg. Strasbourg, Dannbach, iSlxlx, petit in-12. — A. Stolbkrg,
Tobias Stimmers Malereien an der astronomischen Mûnsteruhr zu Strassbarg,
•Strasbourg, Heitz, 1898, in-8° ; — Tobias Stimmer, sein Leben und seine
Werfee, Strasbourg, Heitz, 1901, in-8°.
CATHÉDRALE DE STRASBOURG
LA CHAIRE
DESCRIPTION ARCHÉOLOGIQUE. 178
qu'un commencement d'exécution, puis il fut repris, en 1670,
par Conrad Dasypodius, un professeur de mathématiques de
l'Université de Strasbourg, fils d'un professeur de grec qui
s'appelait Rauhfûss — pied vêla — et qui avait hellénisé son
nom. Il eut comme collaborateurs David Wolkenstein, astro-
nome, de Breslau, les frères Isaac et Josias Habrecht, horlo-
gers, de Schaffhouse, l'architecte Uhlberger, Tobias Stimmer,
peintre et sculpteur. Cette deuxième horloge marcha pour la
première fois le 24 juin 1574. Avec son astrolabe et son calen-
drier, avec ses personnages allégoriques mobiles, elle précédait
dignement, pour l'intérêt scientifique comme pour l'amuse-
ment des curieux, l'horloge actuelle : représentation exacte de
l'état des connaissances du xvi' siècle, devait dire le construc-
teur de la troisième horloge, « elle était pour son temps un vé-
ritable chef-d'œuvre » . — On a raconté, on raconte encore sou-
vent que les Strasbourgeois s'enorgueillirent de cette œuvre
jusqu'à la cruauté, et qu'ils firent crever les yeux à l'inventeur
pour l'empêcher d'en construire une pareille dans un autre
pays. Peut-être trouve-t-on l'origine de cette légende dans ce
fait qu'avant l'achèvement des mécanismes de l'horloge de
Strasbourg, Josias Habrecht fut appelé par l'archevêque de
Cologne qui voulait faire faire une horloge astronomique
dans son château de Kayserswœrth, et que ce voyage coïncida
avec la maladie d'une sœur de Josias, qui devint aveugle
vers la même époque?... La deuxième horloge fonctionna jus-
qu'en 1789.
L'horloge actuelle est l'œuvre d'un mécanicien strasbour-
geois, J. B. Schwilgué, qui commença à y travailler en i838
et l'acheva en 1842. Aucune des pièces d'horlogerie anciennes
n'a pu être utilisée (elles sont encore visibles au Musée de
l'Œuvre Notre-Dame), mais le buffet de l'ancienne horloge a
i5,
174 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
été conservé, et l'ensemble archi tectonique est resté le même
qu'autrefois.
Au bas du monument, une sphère céleste indique le temps
sidéral, c'est-à-dire le temps des passages successifs d'une
même étoile au méridien du même lieu : elle est disposée ici
pour le méridien de Strasbourg.
Derrière la sphère céleste s'étend, sur une longueur de
II mètres (3", 26 de hauteur), le soubassement du buffet de
l'horloge. Il est divisé en trois compartiments.
Celui du milieu est consacré au calendrier. Un anneau
métallique de 9 mètres de circonférence porte toutes les indi-
cations d'un calendrier perpétuel : mois, dates, noms des
saints, fêtes fixes ; il avance d'une division à chaque minuit ;
les jours supplémentaires des années bissextiles, ainsi que les
indications des fêtes mobiles, se placent automatiquement à
leur rang. En bas, à gauche, une petite statue d'Apollon
indique d'une flèche la date sur cet anneau mobile ; Diane se
contente, sans office spécial, de lui faire pendant à droite.
— La partie comprise à l'intérieur de l'anneau du calendrier
est destinée aux indications du temps solaire, c'est-à-dire du
temps mesuré par les passages successifs du soleil au méridien
d'un même lieu. Cercle d'argent où sont marquées les heures
de jour et les heures de nuit, horizon mobile, disque doré
(le soleil), globe mi-partie argent et noir (la lune), la terre,
au centre, figurée par l'hémisphère septentrional, lequel est
orienté de manière que le méridien de Strasbourg se trouve
dans la verticale : les rapports de ces diverses figurations entre
elles représentent le lever et le coucher du soleil, le temps vrai,
le mouvement diurne vrai de la lune autour de la terre, les
phases de la lune, les éclipses de soleil et de lune. — Dans les
angles autour du calendrier, des peintures de Tobias Stimmcr
DESCRIPTION ARCHÉOLOGIQUE. 17$
(1539-1084) ' l'Assyrie, la Perse, la Grèce et Rome, représen-
tées par quatre guerriers armés.
Les deux compartiments voisins sont consacrés : l'un (à gau-
che du spectateur) oMcomput ecclésiastique, dont le mécanisme
sert à déterminer, le 3i décembre, à minuit : le millésime de
l'année nouvelle, toutes les indications des cycles (cycle so-
laire, cycle lunaire ou nombre d'or) pour cette année, les lettres
dominicales qui, dans les calendriers perpétuels, marquent le
dimanche, la date de Pâques qui, transmise immédiatement
au calendrier, entraîne avec elle la fixation des autres fêtes
qui en dépendent ; l'autre compartiment (à droite) aux équations
solaires et lunaires, dont les organes mécaniques amènent,
avec une parfaite précision, et pour un temps indéfini, la re-
présentation des mouvements apparents du soleil et de la lune.
Les deux corniches superposées, au-dessus du soubassement
que nous venons de décrire, sont occupées par des peintures
de Tobias Stimmer, panneaux tout en largeur (le premier a
exactement 1 74 centimètres dans ce sens et 36 centimètres
seulement sur la hauteur) : — sur les côtés, à gauche : la
Création (le monde sort du chaos; au milieu, un globe avec
le mot Dieu en hébreu, en grec et en latin), et la Résurrec-
tion (un rayon de soleil traverse diagonalement le panneau,
et les morts se réveillent à cette lueur) ; à droite : le Jugement
dernier (le Christ en Juge du monde, les bras étendus, le
sceptre et la palme dans la main droite, le glaive et la disci-
pline dans la main gauche) et le Triomphe de la Foi (la
Mort au milieu du panneau; d'un côté, une femme richement
vctue élève dans sa main la coupe de la vie mondaine; de
l'autre, trois femmes, l'une, les mains jointes, les yeux levés
au ciel, une autre tenant un cœur dans sa main, une troisième
la croix, représentent la Foi, l'Espérance et la Charité); — au
176 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
milieu, dans la corniche supérieure, représentées par deux
femmes étendues, la Mort, châtiment du péché, la Vie éter-
nelle, récompense de la vertu ; tandis que la corniche inférieure
est percée, au milieu, d'une ouverture par où l'on voit ap-
paraître sur une saillie, successivement, les sept jours de la
semaine sous la forme de sept divinités traînées par des chars
antiques : Diane, le lundi ; Mars, le mardi ; Mercure, le mer-
credi; Jupiter, le jeudi; Vénus, le vendredi; Saturne, le sa-
medi; Apollon, le dimanche.
Au-dessus, la galerie des lions, ainsi nommée à cause des
deux lions, avec les armes de Strasbourg, qui proviennent
de l'ancienne horloge ; contrairement à une légende persis-
tante, ils n'ont jamais rugi. Au milieu de la galerie, un petit
cadran destiné à l'indication du temps moyen, c'est-à-dire des
heures égales, d'usage courant, dont l'avance sur les heures
solaires les plus longues compense à la fin de l'année le
retard sur les plus courtes. Aux côtés de ce cadran, deux
anges : l'un, avec un sceptre et un timbre, sonne le premier
coup de chaque quart d'heure ; l'autre tient un sablier, qu'il
retourne au dernier coup du quatrième quart de la sonnerie
des heures.
La galerie des lions est surmontée d'un planétaire construit
d'après le système de Copernic. Au centre d'un cadran, un
disque doré (le soleil) d'où partent douze rayons qui aboutis-
sent, sur la circonférence du cadran, aux signes du zodiaque;
sept petites sphères mobiles représentent Mercure, Vénus, la
Terre, Mars, Jupiter, Saturne, la Lune, et leurs mouvements
autour du soleil — le disque doré — lequel reste immobile.
— Dans les angles autour du planétaire, quatre peintures de
Tobias Stimmer : les quatre saisons figurées par les quatre
âges de l'humanité.
CATHÉDRALE DE STRASBOURG
L'HORLOGE
DESCRIPTION ARCHÉOLOGIQUE. 177
Le globe qui est au-dessus du planétaire est destiné à rendre
visibles les phases de la lune.
Plus haut, on voit les statuettes mobiles qui, avec les chars
-des jours de la semaine et les anges de la galerie des lions,
attirent plus particulièrement l'attention de la foule. Deux
compartiments sont placés l'un au-dessus de l'autre. Dans
celui du bas, quatre figurines — les quatre âges — défilent
successivement, quart d'heure par quart d'heure, devant la
Mort qui se dresse au milieu, entre deux timbres, la faux
dans une main, un os dans l'autre : les quatre âges, en pas-
sant, frappent sur un des timbres le second coup des quarts
d'heure (dont le premier est sonné, comme on l'a vu, par un
des anges de la galerie des lions), et, à chaque heure, la Mort
laisse tomber sur l'autre timbre l'os qu'elle tient dans la main
droite : éternelle, elle sonne la nuit même, tandis que les
quatre âges, passagers, ne fonctionnent que pendant le jour.
Dans le compartiment du haut, le Christ, debout, tient la
croix de la main gauche et bénit de la main droite ; au dernier
coup de midi frappé par la Mort dans le compartiment infé-
rieur, les douze Apôtres passent devant le Christ et le saluent,
tandis que le coq placé au sommet de la tourelle, à gauche,
bat des ailes, agite sa tête et chante trois fois : souvenir du
reniement de Pierre.
Le dôme qui couronne cet ensemble est orné de statuettes :
au centre, le Prophète Isaïe, par Grass; autour de lui, les
Évangélistes.
La tourelle de gauche est ornée de plusieurs peintures.
En haut, Uranie, Muse de l'astronomie, plus bas, Copernic,
provenant l'un et l'autre de l'ancienne horloge (encore
deux œuvres de Stimmer); enfin, un portrait de J.-B.
Scjiwilgué, l'auteur de l'horloge nouvelle (fait par Guérin
178 LA CATHÉDRALE DÉ STRASBOURG.
en 1843). Sur la face de la tourelle vers le chœur, les t^'ois
Parques.
A droite, un escalier à limaçon permet d'atteindre les
étages supérieurs de l'horloge et aussi la galerie qui donne
au dehors.
Les moteurs qui actionnent les diverses parties de l'horloge,
dépendent tous d'un moteur central qu'on remonte tous les
huit jours.
L'indication des heures, des minutes et des jours de la
semaine se transmet à l'extérieur de l'édifice, sur le cadran
qui est au-dessus du portail sud.
L'heure donnée par l'horloge, aussi bien au cadran exté-
rieur du portail qu'au cadran du temps moyen de la galerie
des lions, est l'heure astronomique, qui retarde de 29 minutes
sur l'heure de l'Europe centrale maintenant usitée à Stras-
. bourg.
Sans doute le constructeur de l'horloge du xix* siècle a pris
comme modèle celle du xyi% mais il a grandement ajouté à
son modèle, en profitant des progrès de la science. Les an-
ciennes indications étaient en partie figurées par la peinture
. et ne pouvaient servir que pour des périodes restreintes ; elles
sont reproduites maintenant, mais avec des indications sup-
plémentaires, mécaniquement et à perpétuité. Le fils de
J.-B. Schwilgué pouvait non sans raison glorifier son père
d'avoir fait autre chose qu'une simple restauration : « une
œuvre toute neuve d'invention et d'exécution, dit-il, une
. œuvre qui marque avec la même exactitude des secondes et
des périodes dépassant 26 mille années )).
Les Tapisseries. — La cathédrale de Strasbourg possède
quatorze belles tapisseries du xvii^ siècle, qui ne sont visibles
DESCRIPTION ARCHÉOLOGIQUE. 179
que pendant quelques jours lors de la Fête-Dieu, où elles
sont suspendues tout le long de la nef entre les piliers*.
Elles représentent quatorze scènes de la Vie de la Vierge :
1° La Naissance; 2° La Présentation au Temple; 3° Le Mariage
de la Vierge ; 4° L'Annonciation ; 5° La Visitation ; 6" La Na-
tivité du Christ; 7" L'Adoration des Rois; 8" La Fuite en
Egypte ; 9" La Purification ; 10" Jésus au milieu des Docteurs ;
II" Les Noces de Cana; 12° La Mort de la Vierge; iS" L'As-
somption; 14" Le Couronnement de la Vierge.
Les dimensions de ces tapisseries varient entre 4"", 70 et
4"", 90 de hauteur, 5 mètres et 6", 20 de largeur. La bordure à
enfants mêlés de guirlandes de fleurs et de fruits qui encadre
chacune d'elles, contient : en haut, dans un cartouche cen-
tral, la légende en latin du sujet représenté; dans deux autres
cartouches de la partie supérieure, de chaque côté du cartou-
che central, les armes et les initiales (A D C R) de Richelieu
(Armand Duplessis, Cardinal de Richelieu); aux angles infé-
rieurs, le blason de l'abbé Le Masle, prieur des Roches, qui
fut jusqu'à la mort du cardinal son secrétaire et son homme
de confiance (une seule, la deuxième, porte le blason de
l'abbé Charpentier, également secrétaire du cardinal); en bas
aussi, dans un cartouche central, une mention latine indi-
quant que ces tapisseries ont été achetées par le chapitre de
Strasbourg en 1789; enfin, sept de ces tapisseries^ sont signées
en toutes lettres par Pierre Damour, tapissier d'origine pari-
1. Ces tapisseries ont été ctudices pour la première fois, et très complète-
ment, par M. Jules Guiffrey flans trois articles de la Revue alsacienne illustrée
(IV, 1902) : La Vie de la Vierge, Élude sur les tapisseries conservées d la
ithèdrale de Slrcubourg. C'est ce travail dont nous donnons ici une rapido
ualyse.
2. Une des sept autres, Le Mariage de la Vierge, porte la marque des
.itcliers bruxellois; six n'ont pas d'indication d'origine.
fc
i8o LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
sienne qui travailla d'abord à Reims et qui établit ensuite à
Paris (vers i65o) un atelier libre : les tapisseries de Strasbourg
ne sont donc pas des « Gobelins », comme on les appelle
souvent.
Presque toutes ces indications concordent entre elles, ainsi
qu'avec le caractère des tapisseries; une seule ne s'explique
pas au premier abord : la mention avec la date de 1739 sur
les cartouches inférieurs. Or, elle ne date pas de l'origine :
c'est une pièce de remplacement qui occupe sans doute dans
ce cartouche la place d'indications antérieures.
Les tapisseries de Strasbourg sont bien du xvii* siècle. Elles
se rapportent à un fait historique : Louis XIII, reconnaissant
delà naissance du Dauphin (i638), avait voué le royaume à
la Vierge ; c'est en conséquence de ce vœu et pour obéir aux
intentions de Richelieu, que cette Vie de la Vierge fut entre-
prise et offerte au chapitre de Notre-Dame de Paris, où elle
fut afiFectée à la décoration du chœur. Les deux premières
furent exécutées immédiatement (i64o), d'après des peintures
de Philippe de Champaigne ; les deux suivantes ont été faites
entre 1640 et 1662, les dix dernières de 1662 à 1657.
Lors des travaux qui modifièrent la décoration du chœur
de Notre-Dame de Paris (i 699-1 71 4). il n'y eut sans doute
plus de place pour ces tapisseries, qui furent par la suite con-
fiées successivement à quelques autres paroisses parisiennes,
et que le chapitre, finalement, essaya de vendre : en 1739,.
celui de Strasbourg les acheta, pour 10 000 livres.
Les tableaux ne sont ni nombreux ni importants : une
Fuite en Egypte de Fragonard (sans doute Alexandre Frago-
nard, fils d'Honoré?); un Christ en Croix d'après Prud'hon;
V Assomption de la Vierge, par Steiber; la Mise au tombeau.
DESCRIPTION ARCHÉOLOGIQUE. i8r
par Klein; et, à la sacristie du Chapitre, V Adoration des
Bergers, par Guérin (sans doute Gabriel-Christian, le neveu du
célèbre miniaturiste strasbourgeois de la fin du xviii^ siècle,
Jean Guérin).
Les portes^ de bronze qui fermaient le portail principal
avant la Révolution furent enlevées le 4 frimaire an II pour
être portées à l'arsenal : on les croyait massives, elles n'étaient
qu'en bois, avec un revêtement superficiel qui ne fournit que
187 livres de métal. En 1889, le Conseil Municipal vota un
crédit de 80 000 fr. pour leur rétablissement ; mais la réalisa-
tion de ce projet n'alla pas sans de longues et vives discus-
sions, dont on retrouve l'écho dans les Archives des Monu-
ments historiques. Malgré le vote du Conseil Municipal, Rlotz,
l'architecte de la cathédrale, insistait pour que les portes nou
velles fussent des portes en bois avec ferrures ciselées, comme
celles du portail Sainte-Anne de Notre-Dame de Paris * ; fina-
1. Voir ; G. Klotz, Recherches sur un bas-relief en brome allribaé aax an-
ciennes portes de la cathédrale..., dans : Bulletin de la Société pour la conser-
vation des Monuments historiques d'Alsace, 187/J-1875 ; voir aussi, — pour les
portes nouvelles, — Les Nouveaux Vantaux de la porte principale de la cathé-
drale de Strasbourg, Strasbourg, Le Roux, 1879, ii'i-S", et Ed. GERSPAcn,
Auguste Steinheil, dans : Revue alsacienne, i885.
3. Klotz envoie lettre sur lettre au ministère : le vote du Conseil munici-
pal, écrit-il, a été « entièrement émis sous l'impression des nouvelles portes
de la Madeleine à Paris » : mais, pour « une façade du xni* et du xiv* siè-
cle» n, « une clôture en bronze serait un anachronisme » : « la richesse de
la porte en bronze se détachant sur les murs nu» de l'époque grecque, ro-
maine et byzantine... nuirait au contraire dans un portail du xiv* siècle aux
nombreux bas-reliefs et statues en pierre » ; d'ailleurs, « à toutes les époqties,
une porte, lorsqu'elle indiquait une ouverture, ressemblait toujours à une
porte et non à une partie intégrante de la muraille » ; enfin, on n'a pas de
documents suffisants pour reproduire exactement l'ancienne porte (lettre au
ministre, 11 aoûti8/i3; lettre à Grille de Beuzelin, 37 avril i843). En oppo-
sition avec Klotz agit Schneegans, l'érudit et ardent archiviste de la Ville ;
16
i82 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
lement, il dut céder à l'opinion contraire, celle du Conseil
Municipal, de Schneegans, de Mérimée, du Conseil des Bâti-
ments civils : ce sont, en effet, des « portes en bronze »
(c'est-à-dire recouvertes de bronze), qui ont été placées au
portail principal, — en 1879 seulement, mais Klotz étant
toujours architecte de la cathédrale.
Les vantaux nouveaux sont en bois de pin, de 6 mètres de
hauteur sur 2 mètres de largeur, fixés par hiiit pentures ap-
parentes à l'intérieur. La décoration au repoussé du revêtement
de métal, d'après les dessins de Steinheil, comprend des scènes
de la vie du Christ et de la Vierge, des personnages de l'An-
cien et du Nouveau Testament, des ornements empruntés au
règne végétal. Tout en haut, des vers latins qui existaient déjà
sur les anciennes portes et une mention commémorative de
la construction des nouvelles; au-dessous, quatre planètes,
d'un côté, et trois de l'autre, avec leurs noms en latin; puis,
représentés dans des niches, sainte Marguerite, sainte Agnès,
sainte Catherine et la Vierge, à gauche, le Christ, saint Pierre,
il envoie, lui aussi, des mémoires au ministre ; il affirme que les portes de
bronze d'avant la Révolution sont bel et bien l'œuvre d'un contemporain
d'Erwin et que, par conséquent, leur rétablissement ne serait pas contraire à
la tradition gothique; en outre, il a retrouvé le serrurier qui, en 1798,
dépouilla les portes de leurs plaques métalliques, il a retrouvé les traces et
même l'empreinte de ces anciens ornements ; rien ne s'oppose donc à la
réfection des anciennes portes. Le Conseil des Bâtiments civils (26 octobre
i8/j3, 3 avril i845), Mérimée, inspecteur général des monuments historiques
(^Rapport du 2/1 mai i8/i4), se prononcent contre le projet Klotz et approu-
vent en principe, sinon dans tous ses détails, le projet Schneegans. Voici
une des réserves faites par Mérimée, et qui montre que, sur un point du
moins, il partageait les préoccupations de Klotz ; « 11 faut d'abord éviter de
continuer sur les portes l'ornementation des voussures. Les figures ne doi-
vent avoir qu'un très faible relief et la différence entre le bronze et la pierre
doit être indiquée par la différence du travail. » (Archives des Monuments histo-
riques.)
DESCRIPTION ARCHÉOLOGIQUE. i83
saint Paul et saint Michel à droite. Tout en bas, des scènes de
combat figurant la lutte de l'homme et de l'esprit du mal ; la
dernière scène, au coin de droite, représente simplement une
famille revenant de la chasse.
Les cloches. — Les cloches^ sont au nombre de neuf, dont
quatre sont affectées au service religieux, les cinq autres au
service de la ville ou aux sonneries de l'horloge.
Les cloches du premier groupe sont placées dans le clocher
proprement dit, au-dessus de la grande rose de la façade occi-
dentale. Une seule d'entre elles, le gros bourdon, a traversé
sans encombre l'époque révolutionnaire, où elle fut conservée
pour annoncer les services du culte de l'Être suprême ; c'est
une cloche de plus de deux mètres de diamètre, fondue en
1437, par Jean Gremp, de Strasbourg; elle pèse 9000 kilos
et il faut six hommes pour la mettre en branle. Des trois
autres, deux ont été fondues par Mathieu Edel en 1806; la
dernière par son fils en 181 4, en remplacement d'une cloche
qui s'appelait Napoléon et qui, placée dans la tour en i8o5,
se fendit, si l'on en croit la tradition, le jour même où parvint
à Strasbourg la nouvelle de l'abdication de l'Empereur.
Les cinq autres cloches, placées dans la tour octogone au-
dessous de la plate-forme, sont des cloches de service civil, qui
n'ont pas souffert pendant la période révolutionnaire. La plus
ancienne d'entre elles (1696, d'après Scyboth, 1696, d'après
Piton) pèse 2 100 kilos et sert de timbre à l'horloge de la tour
I. Il subsiste encore quelque incertitude dans l'histoire des cloches de la
cathédrale. Nous avons suivi de préférence l'article (non signe) d'Ad. Seyboth,
paru dans le Journal d'Alsace-Lorraine, et qui se trouve, aux Archives de la
Ville de Strasbourg, dans un recueil que l'auteur avait constitué, sans doute
en vue d'une suite à donner à son Strasbourg historique et pittoresque.
i84 LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG.
pour la sonnerie des heures ; deux autres cloches, moins impor-
tantes, l'une de 778 kilos, l'autre de 423 kilos, fondues en 1 787,
servent à la sonnerie des quarts d'heure. La cloche qui annon-
çait autrefois la fermeture des portes de la ville et qu'on
sonne encore aujourd'hui tous les soirs de 10 heures à 10 i/4»
pèse 2 225 kilos et a été fondue par César Bonbon et Jean Rosier
à la fin du xvii" siècle. Enfin, une cloche de 5 000 kilos, fondue
en 1 774» est munie de deux marteaux qui servent aux gardiens
de la plate-forme, l'un pour répéter à chaque heure la sonnerie
de l'horloge, l'autre en cas d'alarme, pour sonner le tocsin.
LA MAISON DE L'ŒUVRE NOTRE-DAME
La construction de la Maison de l'Œuvre Notre-Dame*
(Frauenhaus),où sont réunis les services de l'Œuvre (sur la place
du Château, vis-à-vis de la façade sud de la cathédrale) remonte
à i347- Elle ne comprenait d'abord que la partie de l'est, celle
qui est voisine du château. Quand on reconstruisit l'édifice en
1 578-1581, on y ajouta l'aile de l'ouest : l'ensemble forme la
Maison de l'Œuvre actuelle. De cette époque datent le por-
tail à retrait en biais et à coquilles (dans le mur qui joint les
deux ailes), et, à l'intérieur, le curieux escalier qui s'enroule
en spirale autour d'un noyau transparent dessiné par trois
minces colonnettes à chapiteaux élégants. Au sommet de l'aile
ouest, une statue de guerrier romain appuyé sur sa lance;
au coin de l'autre aile, une statue de la Vierge avec l'Enfant,
qui a longtemps occupé le trumeau du portail principal de la
cathédrale.
I . La première acquisition d'une maison pour l'administration de l'Œuvre
fut faite en 1374, sur ce même emplacement. Voir p. i3.
DESCRIPTION ARCHÉOLOGIQUE. i85
C'est ici que sont conservés, dans les locaux de l'adminis-
tration de l'Œuvre, les anciens plans et élévations sur parche-
min dont nous avons parlé plus haut * : moitié sud de la
façade occidentale, y compris la rose; la même, à l'intérieur;
moitié nord de la façade occidentale, avec la tour; l'ensemble
de la tour octogone et de la flèche, depuis la plate-forme jus-
qu'à la couronne; le milieu de la façade occidentale, avec
l'indication peinte des statues : la Vierge et les Apôtres, le
Christ, les Évangélistes, le Jugement dernier; d'autres élé-
vations se rapportant au portail Saint-Laurent, à la chaire,
aux orgues, etc.
Le rez-de-chaussée de la Maison de l'Œuvre-Notre-Dame
sert de musée ; on y voit les statues originales de l'Église et
de la Synagogue, beaucoup de débris de sculptures provenant
de la cathédrale, un fragment de l'inscription d'Erwin qui
figurait sur la chapelle de la Vierge^, les pièces de l'ancienne
horloge astronomique, et aussi une belle œuvre en bois sculpté,
polychrome, de la fin du xv' siècle, divisée en trois scènes qui
représentent la Naissance du Christ, l'Adoration des Mages et
la Circoncision.
1. Voir p. i6, 23, i36.
2. Voir p. 22 et l'en-têtede la Table des Matières, p. i8g.
i6.
A
B
C
D
E
F
G
H
J
LEGEND
Chapelle Saint- Jean-Baptiste
Chapelle Saint-André (p. 87)
Chapelle Saint-Laurent (aiitrel
Chapelle Sainte-Catherine (ou <
Sacristie Saint-Laurent (p. 3i
Sacristie du Chapitre (p. 45).
Tombeau d'Erwin (^p. 22).
Tombeau de Conrad de Lichten
Portail roman et baptistère (p.
K Ancien puits (p. 3 et 116).
L Pilier des Anges (p. 85).
M Vestibule nouveau de style goth
N Trésor.
O Chaire (p. 33 et 169).
P Orgues (p. 170).
R Horloge (p. 172).
S Chapelle Saint-Michel et Mont-.^^
ù:
ReproducUoo
interdite.
Atelier» D. A. Lobouft.
L\ CATHÉDHALK
ï^TKASBOURG
S«o'.^V';<>?ii-s*3!fc.
LISTE DES ILLUSTRATIONS
PLANCHES HORS TEXTE
1. — Vue générale.
II. — La Galerie des Apôtres (fragment du projet original).
III. — Vue du côté nord (d'après une ancienne gravure).
IV. — Vue générale (une ancienne lithographie).
V. — La Crypte.
VI. — Le Pilier des Anges.
VII. — Détails du Pilier des Anges (Moulages du Musée du
Trocadéro, à Paris).
VIII. — La Chapelle Saint- André.
IX. — Façade du croisillon méridional.
X. — Portail du croisillon méridional (Porte de l'Horloge).
XI. — L'Ancien et le Nouveau Testament (Porte de l'Horloge).
XII. — L'Ancien Testament (fragment).
XIII. — Tympan du portail méridional : La Mort de la Vierge.
XIV. — — — — : Le Couronnement de
la Vierge.
XV. — Portail du croisillon septentrional (Saint-Laurent).
XVI. — Vue de la nef.
XVII. — Le bas-côté sud.
XVIII. — La Mort de la Vierge (Chapelle Sainte-Catherine).
XIX. — Les portails de la façade principale.
XX. — Tympan du grand portail.
i88 LISTE DES ILLUSTRATIONS.
XXI. — Les Prophètes (grand portail),
XXII. — Deux Prophètes ( — — ).
XXIII. — Deux Vertus (Portail latéral nord).
XXIV. — Le Fiancé et la Vierge sage (Portail latéral sud).
XXV. — - Les Vierges folles et le Tentateur ( — — — ).
XXVI. — Le Tentateur et la Vierge folle (Détails).
XXVII. — Le Christ aux Oliviers.
XXVIII. — Le Baptistère.
XXIX. — La Chaire.
XXX. — L'Horloge.
Plan de la cathédrale de Strasbourg (à la fin du volume).
ILLUSTRATIONS DANS LE TEXTE
Pages.
Fragments de la frise symbolique des tours, i, 71, 78, 1 85, igi
Le jubé, d'après une gravure de Brunn.
Restitution schématique du projet d'Erwin, d'après les dessins
de l'Œuvre Notre-Dame 17
Monument élevé dans le chœur de la cathédrale pour la Fête
de la Raison (3o brumaire an II), d'après une gravure du
temps 67
Schéma de la tour et de la flèche, d'après un dessin de Chapuy
(1827) i47
Fragment de l'inscription de la chapelle de la Vierge. ... 189
TABLE DES MATIÈRES
PREMIÈRE PARTIE
Notice historique.
Pages.
I, — Les origines (jusqu'au xi* siècle) i
IL — La construction de la cathédrale (du xi" siècle jusqu'à
1275) 6
ÏII. — Les travaux d'Erwin et l'achèvement de la tour (1276-
liiSg) 12
IV. — La cathédrale et la Réforme 3i
V. — DeLouisXIVàlaRévoluaon(i68i-i789) 43
VI. — La cathédrale depuis la Révolution jusqu'à nos jours. . ^9
DEUXIEME PARTIE
Description archéologique.
I. — Aspect général 78
IL — La crypte, le chœur et le transept 76
La crypte 76
Le chœur 79
Le transept 81
190 TABLE DES MATIÈRES.
Pages. Pages.
Le Portail roman 83
Le Pilier des Anges 85
La chapelle Saint- André 87
La chapelle Saint-Jean-Baptiste 91
Les portails du transept 9 5
La porte de l'Horloge 96
Le portail Saint- Laurent io4
III. — La nef et les bas-côtés 107
La nef ^ 107
Les bas-côtés ii4
Les chapelles Sainte-Catherine (ou de la
Croix) et Saint-Martin (aujourd'hui Saint-
Laurent) 117
L'extérieur des bas-côtés 118
IV. — Le narthex et la façade occidentale. — Les tours. —
La flèche. 121
Le narthex I3i
La façade occidentale 122
Le portail central 128
Les portails latéraux 129
Le portail latéral nord i3o
Le portail latéral sud 182
Les tours 187
La frise symbolique des tours 1 38
La plate-forme i44
La tour du nord prolongée i45
La flèche i49
V. -— Les Vitraux i5*
Crypte i54
Choeur i54
Croisillon sud i55
Croisillon nord i58
Bas-côté nord 160
Bas-côté sud 163
TABLE DES MATIÈRES. 19 1
Pages. Pages.
Chapelle Sainte-Catherine i63
Chapelle Saint-Laurent 164
Triforium i65
Nef i65
Façade occidentale 168
VI, — Mobilier 169
Chaire 169
Baptistère 170
Orgues 170
Autels 170
Le groupe du « Mont des Oliviers ». . . . 171
Horloge 172
Tapisseries 178
Tableaux 180
Portes. 181
Cloches i83
La Maison de l'Œuvre Notre-Dame .... 184
Liste des illustrations iSt
A. Longuet, imprimeur-éditeur.
CHEZ LE MÊME ÉDITEUR
NOTICES
HISTORIQUES ET ARCHÉOLOQIQUES
sur les Grands Monuments
publiées sous la direction de M. Paul Vitry
Conservateur adjoint au Musée du Louvre
L'Église Abbatiale de Saint- Denis et ses Tombeaux,
par Paul Vitry et Gaston Brièrb, attaché au Musée National de
Versailles, i volume in-i8 illustré de i8 planches hors texte et
d'un plan, broché 2 fr. 50
La Cathédrale Notre-Dame de Paris, par Marcel
AuBERT, Archiviste Paléographe, attaché à la Bibliothèque
Nationale, i volume in-i8 illustré de i8 planches hors texte et
d'un plan, broché 2 fr. 50
EN PRÉPARATION :
Le Palais de Justice et la Sainte-Chapelle, par Hknbi Strim.
sous-chef de section aux Archives Nationales.
L'Abbaye de Westminster, par Paul Bitkr.
Le Palais des Papes d'Avignon, par Robebt Michki., Archiviste
Paléographe, ancien membre de TËcole française de Rome.
La Cathédrale de BurgOS, par Emile Bertaux, professeur à l'Uni-
versité de Lyon,
D'autres volumes suivront dans cette série.
SERIES D'ALBUMS GRAND IN.4° SOLEIL
nécessaires aux Artistes
aux Amateurs, aux Ouvriers d'Art
Documents de Sculpture Française : U Moyen Age. — La
Renaissance. — Les Temps modernes.
Chefs-d'œuvre d*Art japonais.
Pierre Puget décorateur.
Le Musée des Arts Décoratifs : Le Bois. — Le Métal. — Les
Arts de la terre — Les Tissus.
La Bibliothèque et le Musée des Arts Décoratifs : Les Des-
sins originaux des Maîtres décorateurs.
PARIS. D.-A. losacET. — 49564.
*
PLEASE DO NOT REMOVE
CARDS OR SLIPS FROM THIS POCKET
UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY
Delahache, Georges
NA La cathédrale de
bbbl Strasbourg
S8DM4
ROBA
ï __„,__.__ ^a.